Ayreon – Ayreon
Origine : Pays-Bas
Style : opéra rock épique
Formé en : 1995
Composition :
Arjen A. Lucassen – guitare, basse, claviers
Ed Warby – batterie
Dernier album : 01011001 (2008)
Ayreon ne cesse de tisser une toile nébuleuse et développe, depuis maintenant dix ans, une histoire où d’étranges créatures sont les acteurs d’une expérience concernant le genre humain. Réitérant l’exploit de réunir également la crème des artistes de l’univers progressif, le géant batave nous ouvre les voies de la compréhension de cette alchimie qui a su rallier avec le temps un nombre conséquent d’admirateurs.
Progressia : The Human Equation reste sans conteste un de tes grands succès artistique, critique et commercial. Quel est ton sentiment avec un recul de quatre ans ?
Arjen Anthony Lucassen : Cet album a définitivement repris le flambeau de Into the Electric Castle dans le cœur des fans. (Souriant) J’ai toujours cru à son potentiel bien que je ne pensais pas réitérer l’exploit de son aîné. Pour un artiste, c’est génial que la reconnaissance soit à nouveau au rendez-vous.
Quelles en sont les raisons d’après toi ?
J’y pense tous les jours. Je me demande pourquoi un album tel qu’Actual Fantasy n’a jamais décollé, pourquoi Into the Electric Castle continue de se vendre, pourquoi The Human Equation est plus populaire que le diptyque The Universal Migrator… Bref, je n’en ai aucune idée ! Quand j’y réfléchis, je me dis que c’est probablement pour telle raison… ou pour une autre (rires). Il est certain que les personnes ont pu s’identifier aux sentiments dépeints dansThe Human Equation. C’est une histoire qui peut toucher et sensibiliser le public. Chacun peut se retrouver dans bon nombre de problématiques : les liens entre père et fils, l’adultère ou un ami qui se retrouve dans le coma. En même temps, combien de personnes peuvent s’identifier à des histoires d’aliens et de Romains dans un château électrique (rires) ? C’est là tout le paradoxe !
Que peux-tu nous dire à propos de la musique, de cette combinaison entre le rock et le metal progressif ?
C’est la recette depuis les débuts d’Ayreon. Je n’ai pas privilégié un style plus qu’un autre. Il est vrai cependant que le concept est plus clair sur The Human Equation. Le personnage principal évolue jour après jour par le biais de ses émotions incarnées par les chanteurs. L’histoire est simple, il est donc facile d’en pénétrer l’univers. Il y a également deux raisons expliquant cet essor. Tout d’abord, les albums précédents étaient sous l’égide de Transmission Records, qui ne possédait malheureusement pas une bonne distribution. Cela n’est plus le cas à présent puisque InsideOut Music détient un parc plus important. Internet a également permis une promotion à plus grande échelle qu’en 1998. Il est tellement simple d’écouter et de récupérer des titres d’artistes de tous horizons. C’est un phénomène qui reste cependant bien épineux. Pour en revenir à Actual Fantasy, même si je l’ai réédité avec un beau visuel, affublé d’un « Revisited », logé dans un superbe coffret avec un son en 5.1, il ne s’est pas mieux vendu.
Parlons à présent de ton nouvel album 01011001 !
Tu peux l’appeler 01, c’est son petit prénom (rires) ou plutôt un code binaire. C’est avant tout la suite de Into the Electric Castle. Je ne voulais pas qu’il s’intitule Into the Electric Castle II car cela sonnait trop cliché (rires) et que la musique est différente ainsi que les chanteurs. Bref, l’histoire restait plate et parlait d’aliens dénommés « Forever », qui regroupent dans un même lieu des personnes issues de différentes époques afin de pratiquer une expérience sur les sentiments humains. J’ai donc voulu expliciter le propos et présenter davantage ces aliens et leur lieu d’origine : la planète Y (NDLR : titre figurant sur Flight of the Migrator. Nous taisons ici intentionnellement les propos d’Arjen pour ne rien révéler du concept et des rebondissements s’articulant autour des cinq derniers albums en date). Pour faire simple, nous dépendons toujours plus de la technologie qui nous permet d’obtenir tout plus rapidement et plus facilement. Ces aliens ne peuvent se passer des ordinateurs puisqu’ils leur permettent de rester en vie sur cette planète. C’est pour cette raison que j’ai choisi un code universel qui n’est autre que la lettre Y. A l’origine, l’album devait s’intituler « The Sixth Extinction » mais devant le prononciation qui risquait d’éclabousser vos voisins, j’ai opté pour une appellation moins hasardeuse (rires). Ce titre fait bien entendu écho à la sempiternelle question : pourquoi sommes-nous là ? (NDLR : la lettre Y en anglais se prononce [wai])
En sachant qu’il existe une connexion entre tous tes albums, comment procèdes-tu pour établir le contexte ? Avais-tu déjà une idée précise en tête lors de la conception de ton premier effort The Final Experiment ?
A priori non puisque je pensais que ce serait mon dernier album ! Après être parti de Vengeance, je voulais proposer une musique plus personnelle avec des combinaisons progressives, folkloriques et électroniques. Je pensais que ça ne plairait pas à grand monde mais, qu’importent les préjugés, je me suis tout de même lancé dans l’aventure. A ma grande surprise, l’album a commencé à se vendre et ma maison de disques a souhaité que je continue dans cette voie sous le nom Ayreon, qui était censé n’être que l’appellation d’un seul projet, The Final Experiment. Le deuxième album Actual Fantasy a donc vu le jour mais n’était en rien connecté au premier puisqu’il se basait sur des films. Tout a vraiment commencé à se mettre en place avec Into the Electric Castle, l’univers s’est assemblé progressivement et s’est élargi d’album en album avec pour chacun leur lot de références.
Quels sont les éléments dont tu parlais qui se sont présentés d’eux-mêmes pour ce nouveau chapitre ?
A quoi pouvait ressembler la planète Y et pourquoi les « Forever » ont perdu leurs émotions ? J’avais une vision bien propre avant que ces éléments ne soient illustrés sur l’album : toute cette architecture et ces machines qui dépendent de cette technologie, en référence à ce qui se passe sur Terre.
Que penses-tu des nouvelles séries télévisées à succès ? Ne trouves-tu pas que leur construction narrative ressemble à celle que tu emploies ?
Effectivement, j’aime beaucoup Lost, les 4400, Prison Break et surtout X-Files avec sa mythologie, la conspiration et les enquêtes qui ne cessent de s’entrecroiser. Vous pouvez trouver une référence à cette série en écoutant le titre « The Truth Is in Here » (rires). Je reste très influencé par ces shows et si j’utilise des outils scénaristiques qui s’en rapprochent, cela reste complètement inconscient. D’ailleurs, je me suis rendu compte, après coup, que le titre « The Sixth Extinction » était un épisode d’X-Files. Je ne l’ai pas subtilisé consciemment, c’est juste de l’inspiration (rires) !
Quel est ton point de vue sur les phénomènes extraordinaires ?
Je suis une personne réaliste et je pense qu’un tas de choses restent à prouver. Il est fort probable, comme l’exposent certaines théories, que l’ADN suit une évolution. Si tu me demandes si je crois en la réincarnation, je te réponds que cela reste une option mais je reste cependant quelqu’un de sobre et de cartésien.
Quels sont les artistes qui t’ont influencé dernièrement ? Tu nous as dit il y a quelques années que tu préférais rester en dehors de la société et vivre seul dans ta forêt ?
(rires) Jamais en ce qui concerne la musique, j’essaie au maximum de me tenir au courant de l’actualité par le biais de la presse. C’est vrai que je sors très peu et préfère rester concentré en studio pour produire chaque nouvel album. Parfois, je tombe sur de très bonnes surprises comme le dernier album de Katatonia The Great Cold Distance qui m’a beaucoup inspiré ou bien encore Muse, Porcupine Tree et Rammstein ainsi que les productions underground. Je n’hésite pas acheter leurs albums si cela me plaît. Si vous écoutez le début du titre « Ages of Shadows », vous comprendrez que j’aime le son allemand brut de décoffrage.
A propos de la distribution vocale, tu nous as dit lors de notre dernier entretien vouloir travailler avec Jorn Lande, Tom Englund, Hansi Kürsch et Daniel Gildenlöw…
(souriant) C’est vrai ? Disons que j’ai un très grand respect pour eux et que j’ai toujours souhaité les avoir sur mes albums. J’aime retrouver les capacités de chacun, comme les grands chœurs de Hansi chez Blind Guardian, la force de Jorn Lande…
Il est d’autant plus symbolique qu’on pourrait croire que tu as écris le titre « River of Time » pour Hansi !
C’est la première chose qu’il a dite en écoutant ce morceau (rires). C’est un homme droit et sincère avec un indéniable talent. Il vit comme il l’entend et c’est un plaisir de travailler avec lui.
Jorn Lande a la réputation d’être une personne à la très forte personnalité…
J’ai rencontré quelques difficultés pour l’embaucher. Au départ, lorsque j’ai entendu sa voix, j’ai pensé à un clone de David Coverdale et de Dio et que je préférai dans tous les cas travailler avec eux. Mais en tendant l’oreille, je me suis aperçu qu’il était peut-être meilleur car il possédait finalement un style bien à lui. Je l’ai alors contacté. J’ai dû dresser tout un argumentaire en esquissant toutes les tonalités possibles pour un chanteur. Je l’ai peut-être effrayé car il a refusé (rires). Je lui ai donc envoyé du matériel afin qu’il se fasse une idée. Il a finalement accepté et lorsqu’il est venu en studio, il était endiablé et ne cessait d’émettre des propositions. Le DVD présent sur l’édition spéciale vous montrera de quoi il est capable (rires) ! C’est un gars fou mais très doux.
Que dire des autres membres de l’aventure ?
On retrouve certains cas semblables aux précédents albums. Phideaux Xavier m’avait envoyé un disque que j’ai écouté avec le reste de la pile de CD que je reçois. Quand je trouve le temps d’en écouter, je me rends compte que certaines personnes sortent parfois du lot à l’instar de Phideaux ou de Magali Luyten, et je me demande alors comment j’ai pu rater ces artistes. Ils sont pour la plupart fans d’Ayreon et sont inscrits à la lettre d’information. Pour en revenir à Phideaux, son dernier album Doomsday Afternoon s’est placé dans mon top 10, c’est un véritable chef d’oeuvre, tout le monde devrait l’écouter ! Cet homme mérite une meilleure reconnaissance et je suis heureux de pouvoir l’aider par le biais d’Ayreon.
D’ailleurs, quelle histoire se cache derrière le titre « Web of Lies » ?
J’ai pour habitude de ne pas donner de nom à mes personnages. Pour ce nouvel album, j’ai demandé aux artistes incarnant « Forever » de choisir des symboles qui les représenteraient. Steve Lee a choisi le yin et le yang, Floor Jansen le signe oméga, Daniel Gildenlöw a choisi le signe de reproduction protégée, même si je lui ai rétorqué que cela ne faisait pas très « alien » avant que je ne le lui concède (rires). Les humains n’en ont cependant pas, alors pourquoi ne pas utiliser leurs noms ? J’ai donc demandé à Simone Simons si elle n’y voyait pas d’inconvénients et elle m’a répondu qu’au contraire, c’était plutôt un compliment ! Même si ce sont leurs vrais noms, ils jouent un rôle. Je ne pense pas que Simone ait besoin de fréquenter des sites de rencontres pour faire connaissance avec des hommes et ce titre reste une petite blague, car après avoir dialogué avec PX (NDLR : Phideaux Xavier), elle parle à un certain OL, qui n’est autre qu’Oliver Palotai, le claviériste de Kamelot (rires). Je parle également de « little Steve » dans « Connect the Dots » qui n’est autre qu’un clin d’œil à Steven Wilson puisqu’il parle souvent du sujet abordé dans ce titre dans ses albums.
Puisque tu parlais de Katatonia, Jonas P. Renkse se maquille-t-il également en studio ?
C’est vrai qu’on peut penser, en regardant la photo de l’album, qu’il est mort depuis quelques années (rires). Il est pourtant si gentil, si calme et si poli. C’est un grand mélomane. C’est le meilleur ami de Mikael Åkerfeldt d’Opeth et il travaille dans un grand magasin de musique à Stockholm. J’y suis allé et j’ai vraiment été étonné de voir dans les rayons autant de disques de progressif et de metal dont personne n’a jamais entendu parler. Je ne devrais pas le dire mais quand tu le rencontres malgré sa tête de chanteur de death metal, tu te rends compte que ce type est adorable.
Des artistes ont-il refusé de collaborer pour 01011001 ?
Oui malheureusement : Steven Wilson a toujours refusé ainsi que Steve Walsh. Ray Wilson m’a également répondu dans un mail de manière très sèche : « C’est un concept-album, je ne suis pas ton homme. »… Je me demande parfois pourquoi certains sont si fermés d’esprit. Si un gars qui joue du hip-hop vient me voir pour un projet, bien que je ne sois pas fan de cette musique, je me dirais « pourquoi pas, essayons pour voir ! ». C’est de progressif dont on parle, qui par extension regroupe des genres de tous horizons qui ne cessent de progresser et où l’ouverture d’esprit est essentielle. J’ai donc voulu répondre à Ray Wilson en envoyant un mail incendiaire mais je me suis finalement rétracté (rires). C’est dommage qu’il en soit ainsi.
Avec toutes ces personnalités possédant souvent un très fort caractère, comment se passe le processus d’écriture des lignes vocales ?
J’ai toujours le chant en tête. Mais si l’artiste a une meilleure idée, je le laisse bien évidemment l’interpréter à sa guise. Si je dois changer quoi que ce soit pour que le résultat soit meilleur alors je le fais. Parfois, je me dis que je n’ai rien à apprendre à des types comme Bob Catley qui ont vendu des milliers d’albums. Bob s’est pourtant laissé guider par mes idées. Je lui disais : « Bob, tu peux faire mieux ! », ce à quoi il répondait « Oui, tu as raison, recommençons ! ». Tous les artistes ont fait un travail remarquable. Vous verrez d’ailleurs quelques surprises sur le DVD.
Jeff Bertels est à Ayreon ce que Roger Dean est à Rush ou Yes. Il ne cesse de contribuer à l’esthétique de tes couvertures d’albums. Il est cependant à noter que Matthias Noren, avec qui tu as pu collaborer, à dû fermer ses portes pour cessation d’activité.
Vous m’apprenez quelque chose… C’est vraiment regrettable. C’est un artiste si doué. Tout peut aller à vau-l’eau d’un jour à l’autre dans le milieu artistique, si les maisons de disques ou les artistes ne respectent les termes du contrat vis-à-vis d’un illustrateur. Je ne peux que lui souhaiter de garder la tête haute. Je me sens un peu responsable de ne pas avoir travaillé avec lui cette fois-ci. J’ai reçu beaucoup de messages de personnes qui souhaitaient s’occuper des illustrations et de la mise en page de l’album. Je suis tombé sur Felipe Machado qui fait un boulot remarquable (NDLR : un artiste qui travaille actuellement avec Lucasfilm pour le nouvel Indiana Jones et s’est occupé entre autres de visuels pour Star Wars Episode III). J’avais parlé à Mathias peu de temps après pour lui dire que j’étais désolé de ne pouvoir l’engager sur ce coup-là. Il m’a répondu qu’il comprenait parfaitement. Je ne connaissais malheureusement pas la suite de l’histoire.
Quels sont tes projets à présent ? Vas-tu publier des singles, partir en tournée, réaliser un nouvel album de Star One ?
Aucun single n’est prévu pour le moment, c’est à InsideOut Music d’en décider. Aucune date de concert non plus. Je n’ai pas de projet particulier, je laisse les choses se faire et venir à moi. Il est cependant probable qu’un nouveau Star One voie le jour, c’est dans mes petits papiers, bien que je n’ai pas encore d’idée spécifique à ce sujet.
Après la sortie de The Human Equation, tu disais avoir traversé une période sombre…
Absolument, j’ai eu ma première vraie dépression. Après tout ce travail, j’ai ressenti un énorme vide en moi. C’était une période vraiment négative, je n’avais plus le courage de faire quoi que ce soit mais c’est passé, heureusement pour moi.
Si tu avais le choix d’adapter un de tes albums au cinéma, lequel serait-ce ?
Le problème, c’est que j’aimerais qu’il y ait plein d’effets et d’explosions partout (rires). Into the Electric Castle se prêterait bien évidemment au challenge car son histoire reste à mon sens facilement adaptable pour le grand écran.
Un dernier mot pour les fans français et les lecteurs de Progressia ?
Prog on ! Prog on (rires) !