ENTRETIEN : ZAKARYA
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Origine : France Style : Klezmer expérimental Formé en : 1999 Composition : Yves Weyh – accordéon Alexandre Wimmer – guitare, électronique Vincent Posty – guitare basse Pascal Gully – batterie Dernier album : 413A (2006) |
La formation d’Yves Weyh trace sa route avec une intransigeance qui lui réussit. Le mélange explosif d’accords brûlants et d’expériences oulipiennes s’intègre avec bonheur au sein du catalogue de John Zorn « Radical Jewish Culture ». Après la bonne surprise que constituait 413A, un entretien que Yves Weyh a accepté avec plaisir était donc incontournable
Quelle est l’origine de Zakarya ? Pouvez-vous décrire brièvement votre parcours musical ? Yves Weyh :Au départ en 1999, ce sont quatre musiciens qui ont envie de jouer ensemble, sans vraiment savoir quoi (première répétition en octobre). Au fil du temps, nous nous sommes aperçus que nous ne voulions pas nous enfermer dans un style particulier et que nous avions tous un bagage musical très large : klezmer, rock, musiques improvisées, électroniques, ou encore contemporaines. Comme nous le répétons souvent, nous nous efforçons donc d’utiliser tous ces codes sans nous préoccuper des questions de styles. Zakarya pille en effet allègrement les courants musicaux les plus hétéroclites : à la musique dansante, il prend son caractère direct et populaire; au rock, le son de groupe; aux créations contemporaines, la polyrythmie et l’atonalité; au jazz, l’improvisation; aux musiques klezmer ou balkaniques, leurs mélodies. Un seul mot d’ordre : composer une oeuvre personnelle, rigoureuse et ludique.
Comment s’est opérée la rencontre avec Zorn et son label Tzadik ? C’est un peu par hasard que Zorn a entendu mes compositions pour un autre groupe jouant des chansons yiddish traditionnelles. Il m’a alors proposé de faire un disque pour Tzadik avec mes compositions. Zakarya, de par son orientation musicale, était le groupe idéal pour ce projet. Notre premier disque éponyme est alors sorti en 2001.
A-t-il émis un avis sur votre travail ? Zorn ne s’autorise aucun droit de regard sur celui-ci. Nous sommes totalement libres de faire ce que nous voulons. A partir du moment où il s’est engagé, il nous a fait une confiance totale, découvrant la musique à la réception du master et la publiant telle quelle. C’est une grande chance !
Concernant la spécificité de l’étiquette « Radical Jewish Culture », comment expliquer cette émulation autour de ce répertoire très ciblé qu’est la musique juive ? Il faut se rappeler que Tzadik est d’abord un label dont le but est de produire de la musique d’avant-garde et expérimentale qui se décline au sein de différents catalogues : New Japan (avec uniquement des musiciens japonais) ou Radical Jewish Culture … Le catalogue Radical Jewish Culture ne se propose donc pas de produire de la musique juive mais de la musique juive expérimentale et d’avant-garde, comme Zorn l’explique très bien sur son site. Lorsqu’ il parle de musique juive sur Tzadik, il s’agit donc de quelque chose de tout à fait particulier. Le travail de Zakarya est dans cet esprit : concilier les codes d’une musique traditionnelle et ceux de celle du XXIème siècle (électronique, improvisée, contemporaine, rock…).
L’appropriation de cette histoire commune se fait-elle naturellement et sans arrières pensées ou y a-t-il parfois des réticences à trop « maltraiter » un héritage culturel ? Cela peut gêner les gardiens du temple mais ne me pose pas de problème pour autant. Au contraire, ce sont des questions très intéressantes qui demandent à s’orienter vers des directions nouvelles plutôt que d’utiliser celles déjà existantes.
Depuis quand pratiques-tu l’accordéon ? Je joue de l’accordéon depuis l’âge de six ans (NdlR : Yves Weyh est maintenant âgé de quarante ans) J’ai commencé par faire des bals, des soirées dansantes vers onze ans avant de découvrir le jazz et les musiques improvisées à dix-sept ans. Je suis professionnel depuis 1993.
As-tu toujours axé ta pratique sur le répertoire klezmer ou est-ce une influence parmi d’autres ? J’ai joué et continue à me promener dans des répertoires très différents : chansons, musiques traditionnelles, improvisées, expérimentales, mais aussi pièces musicales pour le théâtre ou la danse contemporaine…
Ton instrument souffre d’une image un peu négative dans l’imaginaire collectif malgré un répertoire et des possibilités multiples : cela t’affecte-t-il ? L’image de l’accordéon ringard a plus ou moins disparu. La période de purgatoire est finie ! En fait, je ne fais pas de fixation sur l’instrument : pour moi, c’est juste un outil servant à construire quelque chose. Pour tout dire, je ne me sens pas profondément accordéoniste mais simplement musicien.
T’inspires-tu d’autres accordéonistes ? J’écoute très peu de musique et encore moins d’accordéon. Tout au long de mon parcours, j’ai eu tendance à chercher mon propre style plutôt qu’à m’inspirer de « maîtres ». Je n’ai pas de musicien fétiche, cela ne m’intéresse pas. L’accordéon est un instrument comme un autre, capable du pire comme du meilleur. Tout dépend de ce que l’on joue et comment. Ceci dit, malgré le fait qu’il soit accepté par le public et dé-ringardisé, il n’y a pas grand chose de neuf dans le domaine.
Comment s’est initiée la rencontre avec Marc Ribot ? John Zorn m’a proposé de l’inviter sur notre troisième album. J’ai évidemment accepté.
A-t-il eu une influence votre orientation musicale ? La proposition a été déstabilisante et très constructive. Déstabilisante parce que la musique était déjà prête et ne demandait plus qu’à être enregistrée quand Zorn m’a proposé cette collaboration. J’ai donc dû revoir beaucoup de choses. Constructive parce que justement, j’ai dû voir notre répertoire sous un autre angle en incluant un invité non prévu au départ. C’était tout simplement passionnant de poursuivre la recherche musicale pour un matériel que je croyais définitif. L’arrivée de Marc Ribot a donc influencé la musique de notre troisième album, mais l’esprit demeure le même avec ou sans lui. 413A reste un album de Zakarya. Il a vraiment joué le jeu et est resté humblement à notre service et à notre écoute.
Seriez-vous tentés par une participation au pharaonique projet « Book of Angels » de Zorn ? Pourquoi pas ?
Avez-vous donné des concerts hors de France ? Zakarya joue plus à l’étranger qu’en France : Pologne, Hollande, Belgique, Suisse, Italie, Allemagne…
N’est-il pas parfois délicat de rendre compte sur scène de la complexité et de l’hétérogénéité de vos compositions ? Non.
Y’a-t-il un risque selon vous de n’avoir pas assez de « marge de manœuvre » devant le public ou bien parvenez-vous à vous adapter à celui-ci ? Nous n’essayons pas de nous adapter à tel ou tel public. Nous jouons simplement notre musique telle qu’elle est.
Que penses-tu de la multiplication des moyens d’accéder à la musique (internet, téléchargements) ? En ressentez-vous plutôt les avantages ou les inconvénients ? Une chose est sûre, la musique est en pleine mutation. L’objet CD est moribond et de nouvelles choses arrivent. J’ai du mal à répondre. Je ne me sens pas sociologue ou philosophe et j’avoue que tout cela m’échappe un peu. Je suis obligé d’en tenir compte puisque cela fait partie de mon environnement mais je n’ai pas de théorie à ce propos.
Quels sont les musiciens que vous écoutez actuellement ou qui vous inspirent ? Je n’écoute pratiquement pas de musique, mais mes centres d’intérêt sont variés. Cela va de Monteverdi à Stockhausen en passant par John Cage…
Et plus globalement, quels sont-ils au niveau artistique ? En fait mes intérêts artistiques sont très vastes : cela va de la littérature (de Rabelais à Perec en passant par Hugo et les écrivains américains) à la peinture classique, moderne ou contemporaine, le cinéma, la bande dessinée… Je pense qu’il y a du bon partout (et du mauvais aussi !)
Quels sont vos projets ? Faire des concerts, des disques. Nous préparons un quatrième album pour Tzadik qui sortira fin 2008 avec toujours les mêmes ingrédients : compositions, improvisations, musiques traditionnelles, rock, structures expérimentales (palindromes par exemple)…
Un dernier mot pour les lecteurs de Progressia ? Vive Progressia ?
Propos recueillis par Mathieu Carré
site web : http://www.myspace.com/zakaryacontact
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