Dolorosa – Dolorosa

ENTRETIEN : DOLOROSA

  Origine : France
Style : pop/rock hypnotique
Formé en : 2000
Composition :
Vincenzo Grosso – voix, guitares, basse, percussions, tin whistle
Nicolas Roger – guitare électrique, xaphoon
Daniel Palomo Vinuesa – saxophones soprano, saxophones baryton, ewi
Dernier album : De mutation en mutation (2006)
Visuels : Vincenzo Grosso

À travers son premier album de mutation en mutation le leader du groupe Dolorosa, Vincenzo Grosso, nous avait plus qu’agréablementcsurpris : il s’y révélait un musicien accompli, parfaitement maître de son art — une sorte de pop/rock hypnotique, presque zeuhlienne — et un talent remarquable pour vous ensorceler avec ses chansons magnifiquement pulsées, en forme de songes noirs et « visionnaires ». En interview, loin des clairs-obscurs de sa musique mais sans pour autant mâcher ses mots, le bonhomme se révèle charmant, simple et passionné. Ce fut donc un vrai plaisir.

Progressia : Comment as-tu débuté la musique ?
Vincenzo Grosso :
J’ai commencé à douze ans. Trois semaines après mes premiers cours de guitare, j’ai créé un groupe avec mon cousin Abel (rires). Puis je me suis mis à la batterie deux ou trois ans après. À ce moment-là, ça a pris une autre dimension. On a eu diverses formations mais la plus marquante reste Moohn qui a existé près de cinq années pendant lesquelles nous avons beaucoup joué, enregistré et tourné. Ce fut un excellent apprentissage pour une musique assez exigeante.

Quel type de musique jouiez-vous à cette époque ?
C’était du progressif, mais plus proche de Crimson que de Yes. Nous formions un trio de guitare/basse/batterie avec une guitare très puissante. On a eu la chance de jouer en Italie et d’enregistrer un live qui devait être pressé à des milliers d’exemplaires… ce qui ne s’est jamais fait. Ce fut quand même une superbe expérience. Le bassiste du groupe est parti au moment où tout marchait bien pour nous. Il était fatigué car nous jouions tous les jours et que cela devenait un cercle fermé parfois étouffant. En Italie, les gens ont vraiment accroché, c’était du délire. Ils montaient sur scène et on se demandait : « Font-ils ça pour tous les groupes ? ». C’était très intense. On pensait que ça allait le motiver mais ça l’a malheureusement paralysé. Je ne lui jette pas la pierre. On sent les choses ou pas. Il a compris qu’il n’était pas fait pour ça. Ensuite on s’est mis rapidement à chercher un autre bassiste mais nous n’avons jamais retrouvé l’alchimie.

Ça ne s’explique pas…
En effet. Nous n’étions plus que deux à jouer tous les soirs… pour rien. Au bout d’un moment, je me suis dit qu’il fallait casser le moule et j’ai donc intégré différentes formations à gauche et à droite, notamment un groupe de metal appelé Aksis et Molskine, un groupe de punk-rock. En 2000, j’ai eu un problème de santé, un bout de sciatique sectionné. J’ai commencé à ne plus pouvoir sentir ma jambe et à avoir très mal. Bref, la batterie, c’était fini. Difficile de te décrire mon état d’esprit, j’étais assommé. Cette descente aux enfers a duré quelques semaines avant que je réagisse et commence à écrire à la guitare. Les titres « Dans le fond » et « Les Fantômes » ont été composés à cette période.

Tu crées alors Dolorosa. Dans Dolorosa il y a douleur, non ?
C’est un choix un peu romantique. Au départ je voulais que le projet s’appelle Via Dolorosa, le chemin de croix. Mais j’ai fini par trouver plus intéressant et moins limitatif de l’appeler simplement Dolorosa. En plus d’une sonorité italienne qui me plaît du fait de mes origines, il y a un côté sombre qui convient à ce projet.

Ta musique est très originale, très typée pop « zeuhlienne » du fait de la pulsion primitive constitutive. Qu’en penses-tu ?
La pulsion vient quand je compose. Elle est ensuite renforcée par la basse et les chœurs qui sont clairement influencés par Magma bien que rythmiquement, l’ensemble sonne plutôt krautrock à ce qu’on dit… J’ai pratiqué la batterie pendant quinze ans et cette pulsion est toujours présente, elle est dans ma tête lorsque je joue de la guitare. Bien que je ne sois pas un expert de la six cordes, mon jeu reste carré (rires). Je revendique également le côté hypnotique et aéré de ma musique. Je pense qu’un rythme doit être accessible. Cependant, si l’on se penche davantage sur les rythmes de mes compositions, on verra qu’ils ne sont pas si simples et que j’emploie beaucoup de mesures impaires. Par exemple, un morceau comme « En sommeil » est un cinq temps…

C’est vrai que cette pulsion qui s’exprime dans ton album paraît simple et semble se suffire à elle-même.
Exactement. C’est aussi un challenge de faire passer ces mesures composées sans que l’auditeur ne les remarque. En outre, si on tente de les taper avec les pieds, c’est une autre histoire. En fait j’aime bien qu’il y ait une possibilité d’écoute à plusieurs niveaux.

On retrouve également un esprit « scène française » dans tes chansons. Qu’en penses-tu ?
Si tu le dis… mais sincèrement, je n’écoute absolument rien de français, excepté certains vieux titres de Hubert-Félix Thiéfaine ; et encore, je les écoute bon gré, mal gré, lorsqu’un pote met le disque dans la platine à la maison. La scène française ne m’attire pas, même dans les paroles. Même Jacques Brel, qui était un grand auteur et compositeur, n’éveille rien en moi… trop de pathos peut-être.

Ta musique inspire-t-elle tes textes ou est-ce le contraire ?
Il n’existe aucune règle. Parfois, il arrive que je me documente plus qu’à l’accoutumée. Pour aboutir à un simple texte, je peux parfois écrire une vingtaine de pages. Je travaille également beaucoup sur les sonorités. Le premier titre du disque par exemple, « De mutation en mutation », traite des nuances qui existent entre la frayeur, la peur et la crainte qui (dé)possèdent notre esprit. Par ailleurs, je parle souvent des visions, des illusions. Ce sont ces éléments qui constituent le thème principal du disque.

Ces visions décrivent-elles un monde inventé ?
J’aurais bien aimé inventer tout ça mais ce sont aussi bien évidemment, des moments que j’ai vécu. Dans l’album il y a un personnage, seul, qui essaye de communiquer comme il peut. Il se retrouve bloqué car il n’a plus les mots. Il ne lui reste que des images devenues des sentiments négatifs et qui l’isolent. Il attend la vraie communication et sûrement pas la publicité, la télé… le matraquage par l’image. Il voit la modernité, les changements promis mais qui, fondamentalement, ne changeront pas sa vie. La véritable mutation est ailleurs. Je joue sur certaines ambiguïtés pour bénéficier de plusieurs lectures possibles.

Tes influences décrites sur ton site sont clairement progressives. Quelle part retiens-tu aujourd’hui de ce mouvement complètement éclaté ?
Je retiens surtout l’inventivité, une époque où les musiciens se permettaient plus de choses que maintenant. Je vais peut-être me faire des ennemis, mais j’ai l’impression qu’ils étaient meilleurs. De bons musiciens, il y en a encore certes, mais à l’époque ils sortaient des disques. Aujourd’hui il n’y a pas beaucoup de place pour l’inventivité et la prise de risque. Il faut que ça se vende tout de suite. À chaque fois, on cible une chapelle alors que la réalité montre bien que le public n’est pas aussi cloisonné que les maisons de disque le sous-entendent. Les gens sont capables d’écouter un peu de tout selon leurs humeurs.

D’ailleurs il est surprenant de constater une attirance pour des groupes comme Meshuggah ou Tool qui restent très éloignés de ta propre musique.
Pas tant que ça ! Je ne vais évidemment pas jouer dans la cour de Meshuggah qui sont des maîtres, mais j’aime leurs climats. Concernant Tool, j’adore la voix de Maynard James Keenan. Je suis également un grand fan de Slayer même si je ne me vois pas en jouer. Tous ces groupes me nourrissent par l’aspect rythmique qu’il m’arrive de jouer sur certains thèmes très durs, à la guitare acoustique par exemple. Je vais mettre à profit cette recherche pour de nouveaux morceaux : retrouver l’énergie et la tension dont je parlais avec un son acoustique.

Dans ce qui se fait aujourd’hui, que retiens-tu ?
Des groupes qui possèdent une vraie personnalité. J’aime beaucoup les Finlandais au nom imprononçable : Alamaailman Vasarat, c’est vraiment délirant et génial. J’écoute également Neurosis. Ce ne sont pas de grands techniciens, mais ils arrivent à créer leurs ambiance. On peut écouter leurs disques un bon paquet de fois, il n’y a rien à jeter.

Et dans la première génération de la musique progressive ?
J’aime beaucoup Can, les premiers Amon Düül II, Guru Guru, des groupes énergiques et hypnotiques. Le must reste Van der Graaf Generator, je ne m’en lasserai jamais. C’es aussi le cas des albums solos de Peter Hammill, même si j’ai un peu décroché pendant les années quatre-vingt. C’est LE song writer ! Ce type représente un monde à part. Sur scène, il est capable d’interprêter des morceaux moyens sur disque et de les rendre inoubliables ! Cependant, il a un problème avec le son sur ses récents disques. Il s’essaie à une certaine modernité mais n’y arrive pas (rires) ! Ces boîtes à rythmes ressemblent à des claquements de porte (rires). Peu importe, c’est un artiste et il a su rester lui-même en enrichissant sa musique de sonorités différentes. Ça marche, ça ne marche pas, mais au moins il le fait.

Le web a-t-il changé la donne pour vous les musiciens ?
C’est une liberté. Ceux qui veulent la limiter sont, comme par hasard, les grosses maisons de disque. Le téléchargement gratuit est évidemment un moyen de toucher un maximum de personnes, de pratiquer le bouche à oreille. Je souhaite que le public soit responsable et qu’il puisse faire la différence entre une grosse production et un artiste underground, pour qui être signé chez un label n’est pas forcément une chance si la distribution et la promotion ne suivent pas.

Pour finir, comment se présente la scène pour toi ?
Sur le disque, je joue la plus grosse partie des instruments, ça m’oblige donc à une relecture. Je travaille le live avec Daniel Palomo Vinuesa. Nous allons enregistrer quatre titres pour démarcher des concerts et présenter le son de Dolorosa en live : trois titres issus de De mutation en mutation et un petit nouveau. Tout se fera en duo. Guitare électro-acoustique et voix pour moi, Daniel aux saxophones soprano et baryton et à son instrument à vent électronique (l’ewi) qui lui permet de balancer des boucles et de créer des climats formidables. C’est une grande chance pour moi de l’avoir rencontré grâce à Domenico Solazzo (Panopticon). Humainement et musicalement c’est une expérience enrichissante.

Propos recueillis par Christophe Manhès

site web : http://www.dolorosa-music.com

retour au sommaire