– Prog Rock Fest
FESTIVAL : PROG ROCK FEST
Un festival de rock progressif, c’est avant tout une messe, un moment où on appuie sur « pause », où on rencontre des gens qui eux aussi, vibrent en écoutant la musique qui les font rêver depuis des années. Un festival de rock progressif, c’est un événement qu’on quittera forcément à regret. Un festival de rock progressif, c’est un échange, c’est un moment de recueillement, un moment de joie, un moment simple, un moment inoubliable. L’ambiance générale Quelques faits, évidents, laissent un goût amer dans la bouche : si les groupes avaient été mauvais, tout aurait été si simple… Si l’organisation avait été en-dessous de tout, il aurait été si facile de céder à la critique et de donner ironiquement rendez-vous aux éventuels courageux l’année suivante. Tout y était bel et bon : organisation, groupes, musique (il faudra y revenir, ceci dit…) et pourtant, le Prog Rock Fest n’était pas un festival de rock progressif. Tout cela n’était pas une question de moyen, pire encore, n’a été de la faute à personne ; mieux encore, espérons qu’il sera reconduit l’année prochaine… Alors…une amertume ? Oui, pourtant. Les trois groupes présents avaient leur petit public, peu dense au demeurant (cent vingt personnes environ), qui a accueilli plutôt fraîchement (appelons ainsi quelques applaudissements polis et autres cris faisant bonne figure) les artistes qu’il ne connaissait pas. Il y avait les amis de Kourtyl, ceux de Rosa Luxemburg, de Black Noodle Project et quelques intéressés, clairsemés, qui écoutaient les concerts en professionnels ; ceux-là ne rêvent visiblement plus depuis longtemps. Pour donner un bon état de l’ambiance, considérons que ce festival fut accueilli par le public comme une longue première partie : vous savez, ce moment si particulier où on attend quelqu’un d’autre, tout en prenant son mal en patience entre les morceaux qu’on entend sans vraiment les écouter, juste poliment… Le fond, justement, parlons-en un peu… Kourtyl Set-list : Instruduction Introental – Princesse – Gabrielle – Damnée – 6 Rênes – Un Monde parfait – Le Royaume de Mû. Le chanteur se présente : « Je vois des visages familiers. » Etait-ce bien un point sur lequel il fallait vraiment insister ? Ce genre de phrase, bien innocente et partant d’un bon sentiment, confère à l’ambiance un côté « petite famille », petit cercle hermétique. Première impression, donc : on ne se sent pas intégré avec une introduction pareille, on ne se sent pas chez soi ; bien plus, on se sent de trop. Heureusement, il reste la musique. Là n’est pas le lieu et l’endroit pour juger de la « proguitude » de Kourtyl, disons pour faire simple que nous avons affaire à un groupe français classique, techniquement capable de bonnes choses, mais qui doit apprendre à sourire un peu, à plaisanter, à fraterniser avec le public. L’atmosphère n’est pas à la féérie mais à la gravité, l’ambiance est bien sombre, les lumières se cantonnent au noir, violet ou bleu marine. Cette monochromie est angoissante. Kourtyl nous distilla donc pendant une grosse demi-heure sa musique qui, techniquement, est irréprochable : mention spéciale pour le bassiste Briac Maillard qui sut, à de nombreuses reprises, valoriser sa présence, notamment dans le final de certains morceaux. Ce jeune musicien a bien compris son rôle : est un bon bassiste celui qui se fait tranquillement oublier mais qui, épisodiquement, vient nous prouver que son absence nuirait cruellement à l’harmonie de l’ensemble. L’atmosphère générale délivrée par Kourtyl se veut à cheval entre Porcupine Tree (« 6 Rênes ») et Ex Vagus (pour l’emphase et les moments de révolte du chanteur Paulo Curralo), en y ajoutant parfois un soupçon orientalisant (« Princesse »), mais dans l’ensemble, tout cela est de facture très classique. La guitare de Jérémie Calani viendra compléter brillamment chacune des compositions, parfois d’ailleurs au détriment de ses petits camarades… « Ça va, on ne s’ennuie pas ? » nous demande le chanteur, peu de temps avant la fin du set. Ne jamais demander une chose pareille à son public, sinon, évidemment qu’on va l’ennuyer. Jouer sa musique, sourire, prendre du plaisir, le partager, oser. Voilà tout ce qu’on attend. Bilan sur Kourtyl : bon groupe, un peu vert peut-être, et qui aurait sans doute eu sa place en deuxième partie de programmation, parce que ceux qui suivent, Rosa Luxemburg, auront été les véritables artistes prog de la soirée. Ce qui est important dans un festival, c’est d’installer une atmosphère, de poser des repères pour que le public, qui connaît mal les groupes, ne se sente pas totalement perdu. Kourtyl a fait de son mieux, avec un son qui aurait peut-être mérité un peu plus de rigueur, mais ils n’y étaient pour rien. Il manquait la petite touche de fantaisie qui aurait permis une introduction en bonne et due forme. Rosa Luxemburg Set-list : Video intro – J’étais je suis je serai – La commune de Berlin-Rosa – L’attente hâtive (avec zouk) – L’architecte – Nos âmes perdues – Le changement (avec des extraits de « Watcher of the skies » et de « Firth of Fifth » de Genesis) Premier constat : ouf, enfin un sourire ! « Maintenant, mes frères, nous allons chanter, Amen ! ». Rosa Luxemburg ne se prend pas au sérieux, vient faire rire. L’introduction, un tantinet longuette, nous montre les membres du groupe faire les andouilles pendant les séances d’enregistrement. On est dans la détente, voire une certaine forme de dilettantisme (la chanteuse n’a pas quitté son chewing-gum de tout le set, saluons la performance !). La chanteuse, parlons-en : une voix juste, claire, simple, comme le prog français sait en dénicher depuis Maïko d’Arakeen jusqu’à Sa Majesté Roy de Lac Placide. Un léger petit nuage vient obscurcir ce climat serein : la gravité des textes. The Black Noodle Project Set-list :Introspection – Where everything is Dark – Lost (I miss you) – To Pink from Blue – Coming up for Air (nouveau morceau) – Garden of Delights – Somewhere between Here & There – She Prefers her Dreams. Rosa Luxemburg avait bien chauffé l’ambiance, et Black Noodle Project peut arriver tranquillement nous proposer un set d’une grande qualité artistique. Un petit reproche, c’est à la limite un peu trop bien organisé, froid, distant. Le noir et bleu marine introspectifs reviennent de plus belle, les morceaux sont plus graves, plus longs aussi, plus structurés. Il faut en prendre notre parti : le prog aujourd’hui se doit d’être sérieux, chevelu et introspectif. Il est loin le temps des Arlequins et des attaques d’Alien… Dans l’ensemble, et cela vaudra pour les trois concerts, tout cela manque de joie et de féérie. Ce qui est remarquable dans ce jeune groupe, c’est la capacité à interpréter des morceaux parfaitement structurés, où la batterie reste discrète (contrairement à Kourtyl, par exemple) avec un chant qui, lui non plus, n’est peut-être pas assez présent. L’ambiance est à cheval entre Landmarq et Porcupine Tree, avec quelques tentatives crypto-floydiennes parfaitement maîtrisées. Les soli sont vraiment très réussis (par exemple sur « Lost, I miss You ») mais les arrêts des chansons ont tendance à être un peu brutaux, c’est dommage. Un solo de guitare, il faut le laisser vivre, respirer, et ne pas l’étouffer brutalement parce que la set-list le réclame. Le temps était limité, ceci explique peut-être cela… On ressort de ce « Festival de Rock Progressif » mi-figue mi-raisin. C’est une évidence, les groupes furent à la hauteur, tous les trois, et si de petites erreurs de parcours se laissent entendre, de-ci, de-là, elles peuvent bien être pardonnées : tous débutent, sont jeunes et ont foi dans ce qu’ils font, là est l’essentiel. Sur l’organisation, rien à dire non plus : les concerts étaient ponctuels, et hormis l’effroyable musique de remplissage entre chaque set, tout était plutôt bon enfant. Le public, sage, calme et poli : à sa décharge, il ne connaissait pas les groupes et n’a guère eu de possibilité de réagir. C’est là précisément que le bât blesse : le prog d’aujourd’hui est désespérant de tristesse, il manque de fantaisie, il est triste, adulte, grave, introspectif et n’a plus rien à voir avec la frénésie adolescente des grands anciens. Voilà finalement ce qui laisse un goût amer dans la bouche : on ne sait plus vraiment rêver. Notre époque n’est certes pas propice au sourire, mais rappelons-nous alors un peu que ce qui fit le succès du prog dans les années 70, c’était justement sa capacité à faire découvrir un ailleurs au public, ainsi que son talent à proposer l’évasion, le rêve, le déraillement… et à l’époque, les choses n’allaient guère mieux qu’aujourd’hui… Jérôme Walczak Page Myspace : http://www.myspace.com/progrockfest |