– Rock indépendant
DOSSIER : Rock indépendant : le Progressif des années 00 ?
Alors que la plupart des médias continuent à considérer le progressif comme un genre à bannir, pompier, élitiste et ringard, on constate un mouvement initié au milieu des années 90 et par lequel le progressif s’insère, insidieusement mais inéluctablement, dans un autre genre bien plus hype, le rock indépendant. Serait-ce à dire que l’exposition publique et le renouveau du progressif passent aussi, et peut être même d’abord, par ce rock qui refuse l’étiquette « prog » mais qui en fait sans le savoir ou le reconnaître ?
1. Génèse d’un dangereux mélange des genres
Ce mouvement de rapprochement de deux genres qui ne s’apprécient guère a été initié au milieu des années 90, tant en Angleterre qu’aux Etats-Unis, avec des groupes phares de cette époque, dont les chiffres de vente dépassent les six unités.
Du côté de la perfide Albion, Radiohead, après un The Bends très pop mais dérivant déjà vers des horizons plus expérimentaux (« Fake Plastic Trees », « My Iron Lung »), sort OK Computer. Cité comme référence par toute la nouvelle génération de musiciens progressifs (Anathema, Porcupine Tree…) ou non (Muse ou Archive), ce disque mêlant songwriting typiquement anglais et expérimentations électroniques réussit ce dont rêvaient beaucoup : atteindre le grand public tout en proposant un son nouveau (on s’arrachera par la suite leur producteur, Nigel Godrich). Entre morceaux complètement déjantés (« Fitter Happier » et sa voix d’outre-tombe, « Subterranean Homesick Alien » et son rythme fou) ou chansons imparables, mais drapées d’idées neuves (« Exit Music », « Climbing Up The Walls »), le disque est irrésistible.
De l’autre côté de l’Atlantique, le mouvement grunge, aussi contesté soit-il, a offert quelques monuments au rock, dont certains sont emprunts de références au rock des années 70, dont le progressif. Ten de Pearl Jam enchaîne les titres d’une durée anormalement longue et surprend par son côté épique, tandis que Soundgarden et son chef d’œuvre SuperUnknown revisite Led Zeppelin, Black Sabbath et le psychédélisme. Mais c’est surtout du côté de l’OVNI Mellon Collie and the Infinite Sadness des Smashing Pumpkins que la grandiloquence progressive est la plus marquée. Sorti en 1995, après le succès du plus convenu mais magnifique Siamese Dream, ce double album en forme de prise de risque maximum s’ouvre sur deux titres aux ambitions symphoniques en complète contradiction avec le rock « sale » du moment. De même, les cinq derniers titres du premier disque, et notamment le long « Porcelina of the Vast Oceans », développent des climats atmosphériques et planants rappelant Pink Floyd. Le second volume, plus direct, recèle quelques perles, comme « Through The Eyes of Ruby ».
Si ce mouvement vers le rock des années 70 de groupes grand public est manifeste, le rapprochement inverse est également notable : des formations progressives, inspirées par ce mouvement, sont aujourd’hui potentiellement « commerciales », et aussi proches du rock indépendant que du progressif. Si Porcupine Tree en est l’illustration la plus flagrante, avec à la clé une signature sur une major, n’oublions pas Anathema, passé du metal au progressif pour s’orienter vers une musique plus accessible depuis deux albums, Aeon Spoke (du death de Cynic aux ballades acoustiques !), Paatos, Pineapple Thief ou Vulgar Unicorn, ce dernier illustrant sur ces albums le brassage de genres tentés par certains artistes progressifs, mêlant électronique, jazz, ou pop.
Le terrain était donc fertile à l’éclosion de groupes de rock grand public qui, prenant la suite d’une génération pas si perdue que cela, ne seraient pas effrayés par les expérimentations et l’abolition des contraintes du format « Beatles » de la chanson de trois minutes. Cette nouvelle génération est surtout marquée par un éclatement des genres et des styles, de sorte que metal, rock, fusion ne constituent plus des frontières étanches. Si la visibilité des genres musicaux en sort atténuée, elle pousse en revanche le public à aller au-delà des étiquettes et à avoir une démarche plus individuelle, ce qui ne peut qu’être positif. Au sein de cette famille recomposée, nombreux sont ceux qui méritent le qualificatif de « progressif », quand bien même certains le refusent explicitement. C’est d’ailleurs sur cette base totalement arbitraire que nous avons classé certains d’entre eux : des groupes explicitement progressifs, des groupes honteusement progressifs et des groupes « progressifs sans le savoir ».
Nous vous proposons donc un rapide tour d’horizon des jeunes (et moins) jeunes pousses composant le paysage rock actuel et répondant à la définition du progressif telle que notre rédaction avait essayé de la poser, il y a deux ans (consulter notre dossier). Ce panorama très rapide permettra de se rendre compte à la fois de la diversité des « genres » dans lesquels évoluent ces groupes « non identifiés » mais aussi l’incroyable vivacité d’une scène qui n’a pas fini de nous étonner. A nos lecteurs de piocher parmi ces musiques très disparates pour y trouver leur perle rare.
2. Des groupes explicitement progressifs
Tool
Dès le début de sa carrière, Tool n’a pas hésité à clamer son amour pour des groupes comme King Crimson et, plus étonnant, Yes. Auteurs de deux albums essentiels, le cinglé Aenima et le plus abordable Lateralus, les Américains, emmenés par le tourmenté chanteur Maynard et l’un des batteurs les plus impressionnants de ces dernières années, Danny Carey, ont connu un succès mondial inattendu. Souvent présenté comme fondateur du mouvement néo-metal, pour ce son particulièrement dur concocté par David Botrill (producteur de King Crimson sur Thrak), Tool est pourtant bien plus que cela, de par ses ambiances sombres, ses rythmiques déjantées ou ses structures alambiquées (« Third Eye » est un vrai morceau progressif, avec une structure complexe et un souffle épique niché derrière son aspect névrosé). Par ailleurs, sur scène, le groupe adopte une véritable cohérence visuelle, à la manière de Peter Gabriel. C’est d’ailleurs au cours de l’été 2001 que Tool propose à King Crimson de les accompagner, pour aider la bande de Fripp et Belew à élargir son public en touchant les plus jeunes. Retour de politesse, Danny Carey apparaît sur le dernier album solo d’Adrian Belew, Side One. A la limite du progressif et du metal, Tool est sans aucun doute le groupe de musique « dure » le plus sophistiqué et le plus insaisissable qui soit, et a modifié en profondeur le paysage musical actuel.
Oceansize
C’est écrit dans leur biographie officielle : Pink Floyd ou Can sont en compagnie des Cardiacs les principales influences revendiquées par Oceansize. Nous n ‘en sommes pas étonnés, mais en revanche, il manque une référence à King Crimson, bien présent à l’écoute de leur premier et prometteur album Effloresce. Melting pot où se mêlent Jeff Buckley, Tool et le Floyd, la musique d’Oceansize possède, comme le nom du groupe l’indique, un spectre particulièrement étendu. Un nouveau mini-CD, Music For Nurses, indique que le groupe d’abord issu de la scène « pop » s’est endurci, la voix de Mike Vennart tirant de plus en plus vers celle, polymorphe, de Mike Patton, et les rythmes s’accélérant. Outre les vocaux, Oceansize est aussi reconnu pour la perfection de son jeu à trois guitares, lesquelles ont souvent des parties totalement différentes, voire décalées (là encore, King Crimson, vous connaissez ?) aboutissant à un mur du son proprement phénoménal. Everyone Into Position, sorti tout récemment, poursuit le chemin tracé par Effloresce tout en adoptant une voie plus planante, plus proche du post rock de Mogwaï. Le groupe mancunien sera vraisemblablement appelé à jouer l’un des premiers rôles de la scène alternative ces prochaines années, à l’instar de leurs homologues de Aereogramme et de Amplifier.
Archive
« Pink Floyd est clairement une de nos grandes influences, on le revendique et on est assez content que les gens pensent à eux en nous écoutant », dixit Craig Walker. Voici qui est sans équivoque de la part de l’un des membres d’une formation de trip hop qui, après deux albums en dents de scie (l’excellent Londinium et le pathétique Take My Head), revisite Wish You Were Here sur son troisième album, You All Look the Same To Me, jusque dans ses sonorités (le clavier-clavecin sur « Again »). Avec deux titres de plus de quinze minutes et quelques effets de production un peu modernes pour masquer l’aspect particulièrement « vintage » de l’ensemble, Archive met les pieds dans le plat, sans pourtant se faire laminer par la presse indépendante ! Sur scène, avec trois guitares et deux claviers, les Anglais confirment, mais leur dernier album en date Noise déçoit quelque peu.
(and you will know us by) The Trail of Dead
Selon Conrad Keely, le leader-chanteur de ce groupe d’Américains issus de la scène « noisy » : « Je dois [mes influences] à mes parents qui étaient de gros fans de rock psychédélique et progressif, de Pink Floyd à Steve Hillage en passant par Rush et Kate Bush. C’est ce que j’ai écouté en grandissant. ». Tout est dit. Bouleversant sa musique au quatrième album pour s’envoler vers plus de musicalité et enfin être reconnu en tant que compositeur, Trail Of Dead allie rock psychédélique avec The Wall pour un résultat détonnant de puissance. N’ayant jamais peur de la grandiloquence, TOD se permet tout : chœurs diaphanes, interludes de musiques russes, grandes envolées au piano… mais sait faire hurler les guitares en temps voulu. Vinnie Cavanagh d’Anathema ne s’y est pas trompé et vénère le groupe. Worlds Apart est certainement l’un des disques essentiels de 2005, tandis que son prédécesseur, Source Tags and Codes (2002), plus énervé, était déjà plein de promesses encore inachevées.
David Sylvian
Débutant sa carrière comme chanteur permanenté au sein de Japan, un groupe de pop synthétique pas si loin du progressif que cela, avec Richard Barbieri (Porcupine Tree) aux claviers, David Sylvian est un artiste à la carrière solo atypique. L’une des forces du chanteur/compositeur est de savoir très bien s’entourer, de Ryuichi Sakamoto à Bill Frisell, en passant par Marc Ribot, Jerry Marotta, Trey Gunn, David Botrill ou Robert Fripp : toute la galaxie du King Crimson récent ainsi que de nombreux artistes contemporains d’intérêt ont côtoyé le bonhomme. Sylvian a d’ailleurs failli devenir « progressif malgré lui » en passant une audition pour devenir chanteur du King Crimson ressuscité du début des années 90. Mais l’artiste, sorte de face sombre de David Bowie doté d’une voix grave et reconnaissable entre milles, préféra utiliser cette décennie – et la suivante – pour sortir des disques tous aussi beaux les uns que les autres : le fondateur Secrets of the Beehive en 1987, débordant de perles noires (« Let The Hapiness In »), mais aussi The First Day, sorte de laboratoire pré-King Crimson 1994 sur lequel Fripp, Gunn et le producteur Botrill apprendront à travailler ensemble, ou le récent Dead Bees on A Cake, aux sonorités à la fois modernes et « world ». Ne jouant jamais la carte de la facilité, dotant ses morceaux d’une production toujours bluffante, Sylvian est un artiste à part et à découvrir.
Anja Garbarek
Précédée par une réputation qui doit (un peu) à son saxophoniste de père (Jan, de son prénom), Anja a sorti un seul disque depuis le début de sa courte carrière, en 2001 : Smiling and Waving. Elle a pourtant droit de citer ici, notamment du fait des artistes dont elle a réussi à s’entourer : Steven Wilson à la production et sur quelques instruments, Théo Travis, le flûtiste de Porcupine Tree et Gong, Robert Wyatt pour un joli duo, Mark Hollis de Talk Talk, ou encore Steve Jansen et Richard Barbieri, ex-Japan. Du très beau monde pour un très bel album, plein de silences et de moments de pure folie (« Big Mouth »), simple et pourtant très travaillé du point de vue de la production. La voix de la jeune fille n’est pas sans rappeler celle de Björk, en plus posée néanmoins, de sorte que des hymnes comme « Stay Tuned » évoqueront la sublime Beth Gibbons de Portishead. A quand la confirmation ?
3. Des groupes honteusement progressifs
The Mars Volta
« Nous sommes vraiment fatigués de ces styles et de ces questions », dit le guitariste, co-fondateur et producteur Omar Rodriguez-Lopez. « Album concept ? Comment est-ce que n’importe quel projet immense qui nous vole pratiquement toute notre vie pendant un an peut ne pas avoir un concept ? Progressif ? Comment est-ce que de la musique ou de l’art innovateur, qui a pour but de faire nous faire réfléchir peut ne pas être progressif ? ». Bottant en touche lorsque l’on parle de progressif, le co-leader de The Mars Volta en a sans doute assez que les médias lui parlent de références comme Led Zeppelin, King Crimson, Pink Floyd ou Santana. Dérivé du groupe de hardcore halluciné At The Drive-In, The Mars Volta propose sur ses deux premiers albums, dont le premier fut chroniqué dans nos colonnes, une musique complètement explosive, complexe rythmiquement et portée par la voix stridente de Cedric. Sur Frances The Mute, le groupe va encore plus loin, avec un dernier titre de trente minutes en plusieurs parties, des titres en latin, des breaks latinos… et risque plus encore de perdre la partie « grand public » de ceux qui les suivaient jusqu’alors. D’autant que leur musique s’est encore durcie et densifiée, de sorte que de Led Zeppelin, le groupe semble avoir dérivé vers King Crimson. Qu’ils ne s’étonnent alors pas que les journalistes continuent à les interroger sur leurs influences !
Air – I Monster
« Quoi ? Air, l’horrible groupe de bobos versaillais dans Progressia ? J’arrête mon abonnement ! ». Et pourtant… Après un premier album légèrement psychédélique, c’est avec la glauquissime B.O. de Virgin Suicides, composée à base d’instruments rock et de vieux claviers, que Air révèle sa nature « progressive », même s’ils vous diront le contraire. Ce disque, faisant parfois penser au progressif venu du froid pour ses mellotrons désincarnés, ainsi que le second album du groupe 10 000 hertz Legend, plus sophistiqué et expérimental, démontre que le duo sait y faire lorsqu’il s’agit de pondre des morceaux alambiqués, aux ambiances franchement différentes (« Dirty Trip ») sous amphétamines et sombre (« Dead Bodies ») d’un côté, (« Don’t Be Light »), « Caramel Prisonner » floydien en diable de l’autre. Depuis, Air est un peu rentré dans le rang avec son dernier Walkie Talkie, plus convenu, malgré la merveille « Alone in Kyoto », composé pour le film Lost In Translation.
Plus récemment, les Anglais de I Monster ont démontré sur leur premier disque, Neveroddoreven des capacités similaires à utiliser une technologie dépassée (notamment le mellotron et le moog) pour l’intégrer dans un ensemble plus moderne.
Mercury Rev – Flaming Lips
Présenter ces deux groupes ensemble… Certes. Mais pourquoi ? Ils ont en fait bien des choses en commun, à commencer par un amour de la musique psychédélique naïve, entre Robert Wyatt et le Floyd des débuts. Si Flaming Lips préfère jouer sur l’aspect ludique du genre avec des albums « spatiaux » et crée un univers fantasque peuplé de bruits et sonorités rétros, Mercury Rev préfère le spleen orchestral, ce qui aboutit à des albums colorés comme The Soft Bulletin pour le premier et à des disques doux-amers comme All Is Dream pour le second. Attention : dans les deux cas, la voix suraiguë et très typée du chanteur peut rebuter !
4. Des groupes progressifs sans le savoir
Mogwai
Groupe issu de la scène indépendante anglaise, Mogwai se distingue très vite de ses compatriotes à tendance naturelle pop pour naviguer dans des eaux plus troubles. Sur le magique Rock Action , les Ecossais combinent musiques électroniques et stridences électriques, pour faire avec des instruments ce que Massive Attack fait avec des machines. « You Don’t Know Jesus » est typique des montagnes russes développées par le groupe. Catégorisé comme »post rock », alors que sa musique torturée est bien moins « paisible » que celle d’un Sigur Ros, Mogwai se sent obligé de ne pas faire mentir la presse et sort Happy Songs for Happy People, où l’influence de Tangerine Dream et de la musique répétitive se fait sentir… pesamment. Leur prochain album sort prochainement. Reste à voir quelle en sera la direction.
Muse
Le cas de Muse est épineux. La question de savoir si le groupe se rattache au mouvement progressif, à l’instar d’un Radiohead, dont il a «emprunté» certains tics (la voix de Matthew Bellamy faisant irrésistiblement penser à celle de Tom Yorke), n’a pas fini de faire couler de l’encre. C’est sur le deuxième album de ce groupe de rock puissant, Origin of Symmetry, que les effets de production audacieux et une certaine virtuosité dans l’exécution ont pu semer le doute. Muse enfonce ensuite le clou avec un concept album apocalyptique, Absolution , où les claviers, les emprunts à la musique classique et une esthétique très recherchée, œuvre de Storm Thorgeson (Pink Floyd, Dream Theater, parmi tant d’autres), finissent de convaincre de l’existence de la filiation. Le groupe, lui, continue à entretenir un certain mystère sur ses influences… .
Björk
Diva adorée de Jack Lang et de tous les ministres de la Culture successifs, le cas Björk ne se limite pas à la figure de la harpie qui tabasse des journalistes dans les aéroports. Empruntant son profil de carrière à la grande Kate Bush, l’Islandaise démarre sa carrière à l’adolescence, avant d’être aidée par quelques producteurs et un label pour une carrière solo au départ fulgurant, avec Debut puis Post. Ce melting pot musical génial, survolé par la voix vénusienne de Bjork, est confondant d’originalité. Du strident « Violently Happy », en passant par l’épique « Hyper-Ballad », jusqu’au « tubesque » et pourtant franchement barré « It’s Oh So Quiet », le parcours de ce petit bout de femme a rapidement fait d’elle une incontournable du paysage contemporain… dépassant le cadre musical grâce à des clips mémorables (« Army of me », « All is Full of Love »). Medulla, sorti en 2005, enfonce le clou et est entièrement construit à base de voix, pour un résultat certes difficile d’accès, mais remarquablement abouti. La rumeur court que Bjork aurait enregistré le disque avec des instruments avant de le réenregistrer piste à piste de manière uniquement vocale. Unique.
Godspeed You! Black Emperor
GY!BE est une entité mouvante formée en 1994 à Montréal, qui comprend actuellement neuf musiciens et qui est distribué par le label canadien underground Constellation. Cette formation est devenue avec le temps l’un des leaders de la scène post rock, en particulier depuis qu’elle a fait la Une du New Musical Express en 1999. En quatre albums, le groupe a imposé sa marque : musique planante, torturée, des morceaux longs voir très longs (jusqu’à trente minutes) et des structures très complexes, pour un rock de chambre très ambiant, développant les mélodies et les sons de façon répétée et en longs crescendos. Le minimalisme de certains titres oblige parfois à la patience, mais c’est pour finir en pure extase. Les compositions du groupe aboutissent à un état de médiation et d’hypnotisme qui, ajouté à des éléments visuels, « raconte » un film. L’instrumentation, complexe, est composée de trois guitares, deux basses, un cor d’harmonie, un violon, un alto, un violoncelle et des percussions. Cependant, les musiciens déclarent : « Nous sommes des musiciens médiocres qui jouons au-dessus de nos capacités techniques. Dans le fond, nous faisons une musique qui nous dépasse ». Leurs deux derniers albums, le double Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven et Yanqui U.X.O (ou armes anti-personnel américaines), sont sans doute les plus recommandables. GY!BE est également connu pour des prises de position politiques sans concessions. Ainsi, sur son dernier album, le groupe dénonce les relations entre les grandes firmes de l’industrie du disque et l’industrie d’armement. Leur porte-parole, le guitariste Efrim Menuck, a sévèrement condamné l’attitude d’un Radiohead, qui, s’il dénonce le gouvernement britannique dans la guerre irakienne, n’en est pas moins distribué par une « major ».
Dead Can Dance
Terminons par l’exemple le plus flagrant de « transformation » d’un groupe indépendant en groupe progressif. Débutant sa carrière en 1984 avec un album éponyme hué (à tort) à sa sortie par toute la scène gothique, l’accusant de plagiat, le duo Brendan Perry / Lisa Gerrard rectifie le tir en se privant de tout instrument rock dès son second album, le symphonique et désespéré Spleen & Ideal. Leur chef d’œuvre, Within the Realms of a Dying Sun, ajoute des claviers et une production plus moderne à l’ensemble. Lors de la période 1985-1987, le groupe redéfinit les critères de la musique « classique », pour en faire une musique plus accessible, presque populaire, tout en gardant un univers propre. Par la suite, Dead Can Dance évolue de plus en plus vers les musiques du monde et les musiques « historiques » (nées des recherches menées par le duo sur des instruments, des chants et des textes de l’époque médiévale ou de l’Angleterre baroque). Proprement inclassable, et toujours sans aucune compromission (pas de publicité ou de photos, intégrité artistique unanimement reconnue), le groupe a récemment atomisé le Palais des Congrès, après une longue parenthèse de près de sept années.
Dossier réalisé par Djul
(avec l’assistance de Jean-Daniel Kleisl)