Guapo – Guapo

ENTRETIEN : GUAPO

 

Origine : Grande Bretagne
Style : Zeuhl / musique nouvelle
Formé en : 1994
Line-up :
Dave Smith – batterie
Daniel O’ Sullivan – claviers, guitare
Matt Thompson- basse, guitare
Discographie :
Five Suns (2004)


Electron libre des musiques indépendantes depuis plus d’une décennie, les Anglais de Guapo se découvrent un goût pour le progressif avec Five Suns, album en forme de nouveau départ, aux forts accents de zeuhl et de musique noisy. C’est au cours du festival des Tritonales que le trio a pu nous parler de ses projets de l’année.

Progressia : Revenons aux débuts de votre carrière, avant la sortie de Five Suns
Guapo
: Cela fait bientôt dix ans que le groupe existe, même si pour nos premiers albums, nous étions signés sur des labels bien moins importants que Cuneiform, notamment des labels de rock indépendants, comme Pandemonium. Chacun de nos disques est très différent du précédent, et je crois que n’avons jamais évolué dans un genre particulier où l’on pourrait nous catégoriser. Je suppose que nous étions plus  » dérangeant  » que la plupart des groupes indépendants. Tout au plus pouvait-on nous rapprocher de la scène noisy japonaise, notamment par rapport à ce que nous faisions il y a disons… cinq ans.

En 2001, vous avez signé sur Cuneiform Records. Comment cela s’est-il passé ?
Nous avions réalisé les démos de ce qui allait devenir en ayant à l’esprit de sortir ce disque en 2002 sur un nouveau label, plus important. Cuneiform a été le premier à nous contacter avec une offre appropriée, et nous l’avons choisi parmi les trois propositions que nous avions reçues. Nous étions très enthousiasmés par Cuneiform, car c’est un label très respecté du monde  » underground « .

Vous n’aviez pas peur d’être affiliés au monde du rock progressif avec cette signature ?
Nous sentions que cette proposition était parfaite pour notre nouvel album. Mais nous n’avons pas pour autant signé un contrait d’exclusivité. Le prochain album sortira d’ailleurs sur Ipecac (NDJ : le label de Mike Patton, ex-Faith No More, actuel membre de Fantomas et Mister Bungle), et un autre peut être sur Neurot. Ainsi, nous nous sentons totalement libres artistiquement, et ne nous estimons pas du tout affiliés au monde du progressif. Nous respectons bien des groupes de ce genre, et nous respectons Cuneiform et les groupes de son catalogue, mais notre liberté reste la priorité.

Comment expliquez-vous que la musique de Guapo ait tout de même glissé vers le progressif, ou à tout le moins vers des sonorités très 70’s et expérimentales ?
Je crois qu’effectivement, c’est une question de son. La manière dont nous sonnons est aussi importante que notre processus de composition. Le groupe sonne ainsi actuellement, mais personne ne peut prévoir ce qui se passera dans le futur. Notre prochain album sera probablement assez proche de Five Suns, avec des idées similaires, mais nous avons d’autres titres en préparation qui s’en éloignent sensiblement. Je crois que l’arrivée de Daniel (NDJ : O’ Sullivan, aux claviers) nous a également amené à changer notre son, il y a deux ou trois ans : nous sommes alors entrés dans une autre dynamique de groupe. Pendant les cinq années précédentes, nous n’étions que deux, ce qui limitait considérablement nos possibilités de formuler nos idées et de parvenir à des titres achevés.

Quelles sont vos influences ?
Elles sont nombreuses. Pour Five Suns, nous avons écrit des titres plus psychédéliques qu’auparavant, influencés par Terry Riley, la musique japonaise ou les musiques hypnotiques. Bref, tout ce qui est exigeant et qui implique un travail sur le son et les dissonances. Et manifestement, cette évolution semble satisfaire notre public !

L’année dernière, vous avez joué aux Tritonales l’intégralité du morceau Five Suns. Ce titre est-il le résultat d’un travail d’improvisation et de performances sur scène ?
En fait, nous avons joué en concert différentes versions très différentes de ce titre, certaines bien plus courtes, mais d’autre plus longues (NDJ : soit plus des quarante-cinq minutes du titre dans sa version actuelle !). Nous sommes partis d’un morceau court de dix minutes avant de l’étendre, et finalement, la version définitive n’a jamais été jouée avant d’être enregistrée. Les performances sur scène nous ont permis de voir rapidement ce qui ne fonctionnait pas, mais le travail en studio nous a également permis de beaucoup expérimenter sur les sons et les niveaux sonores de ce morceau. Au final, ce fut un long travail de  » filtrage « .

Deux titres courts ont été ajoutés sur l’album, l’un violent, l’autre atmosphérique. Doit-on les considérer comme des morceaux à part entière, ou s’agissait-il surtout d’atteindre l’heure de musique sur l’album ?
Nous avons écrit ces morceaux à la demande de Cuneiform, afin de réaliser un album entier. Il nous parlait de la possibilité de faire jouer Guapo à la radio et d’obtenir du temps d’écoute, en particulier aux Etats-Unis. Mais en fait, ce que les radios ont fait, et c’est surprenant, c’est qu’elles ont bien plus passé la version intégrale du morceau Five Suns ! Mais cela n’a pas été inutile, et nous avons même pris beaucoup de plaisir à trouver, en deux mois, des titres en complément de Five Suns, plus courts, mais qui restent dans l’esprit de l’album. Evidemment, nous n’avons rien fait de  » radio-friendly « , mais ce fut un exercice intéressant. Les deux titres sonnent plus frais, peut être, que leur prédécesseur.

L’aspect visuel, tant en concert que pour votre promotion, semble essentiel. Comment travaillez-vous l’identité du groupe de ce point de vue ?
Sur cet aspect, il est certain que le concept se précise une fois que la musique est composée. Nous sommes tous amateurs d’art et de films, il est donc naturel de chercher à mélanger musique et image. Nous avons d’ailleurs récemment travaillé sur des projections, pour une école spécialisée. En fait, cette identité s’est développée au cours des dernières années, depuis notre rencontre avec le Japonais vivant à Londres, avec qui nous travaillons au site du groupe, à la pochette et aux images illustrant le livret. Il est important à nos yeux qu’il soit extérieur au groupe et qu’il nous propose des idées. Nous ne voulions surtout pas utiliser les codes graphiques conventionnels, les photos de groupe, en rang d’oignons, sans vouloir être prétentieux. Il faut essayer d’être intriguant et intéressant.

On ne peut pas passer sous silence l’influence de Magma sur Five Suns ! (rires)
En fait, beaucoup de gens pensent que nous avons fait un EP de reprises de Magma. En fait, il s’agissait d’une blague : ce disque s’intitulait Guapo vs Magma, et nous y reprenions les codes et le lettrage du groupe. Et les gens ont été trompés ! Au sujet de l’influence, il est vrai que cela s’entend sur Five Suns, mais je pense que cela va s’estomper avec les nouveaux morceaux, et les deux prochains albums. Mais, bien sûr, nous apprécions leur travail, et nous utilisons aussi une partie de leur instrumentation. Nous sommes d’énormes fans, mais il est dangereux de trop vouloir nous catégoriser dans ce courant. Surtout que nous serions effrayés d’être comparés à eux, tant ils sont bons ! Cette idée nous terrifie !

Pourquoi avoir fait le choix d’être un groupe entièrement instrumental ?
Nous utilisions des voix il y a quelques années, mais nous avons arrêté : Matt (NDJ : Thompson, le bassiste) n’était pas à l’aise dans ce registre, comme chacun d’entre nous, en fait ! Il y a déjà suffisamment de mauvais chanteurs sur le circuit, inutile d’en rajouter (rires) ! Peut-être utiliserons-nous à nouveaux des voix dans le futur, mais sûrement pas d’une manière traditionnelle. Trop de groupes se sentent obligés d’avoir un chanteur, ce qui nuit à l’instrumentation : la voix devient le centre d’attention, et les instruments ne font plus qu’accompagner le chant. Pour l’instant, l’instrumentation suffit à notre manière de composer et de nous concentrer sur l’instrumentation. À l’avenir, nous pourrons utiliser des vocalistes, mais pour leur faire chanter des  » sons  » plus que des textes. Pour Five Suns, je ne vois pas comment nous aurions pu inclure un chanteur !

Tu parlais d’instrumentation… quels sont les avantages et les inconvénients à cet égard d’être un  » power trio  » ?
Le seul inconvénient que je vois est la difficulté de restituer notre répertoire studio, même si nous avons ajouté un autre claviériste pour la scène. Mais enfin, ce n’est pas un véritable inconvénient, c’est juste une autre manière d’interpréter, plus sauvage. Notre formation nous pousse à tout lâcher, pour être aussi puissant que possible et délivrer la performance la plus massive possible, d’autant plus que notre album se compose de nombreuses couches sonores, de sorte que l’on croirait que quatre ou cinq musiciens jouent en même temps. Quant à l’avantage le plus important d’être un trio… Il se trouve dans le fait qu’à trois, nous arrivons vraiment à atteindre notre potentiel en terme de composition, il y a moins besoin de faire des compromis, et plus de place pour insérer les idées de chacun, notamment en studio.

Sur scène, vous avez néanmoins senti la nécessité d’inclure un second clavier…
Pour le moment, oui. Pour les compositions de Five Suns, il nous a semblé nécessaire d’avoir un second clavier, l’album étant fortement composé à partir de cet instrument. Mais en termes de groupe, nous resterons à court terme un trio, c’est la bonne formule.

Pour terminer sur l’instrumentation, pourquoi ressentez-vous le besoin de recourir à des instruments aussi  » vintage  » que le Fender Rhodes ou le Mellotron ?
Parce que nous n’avons pas trouvé mieux en terme de sonorités ! Ces instruments sonnent mieux que les synthétiseurs digitaux. Le danger d’utiliser un piano, c’est d’être limité par une seule sonorité,qui plus est dans un registre de volume assez bas, contrairement aux Fender Rhodes, dont les textures riches et puissantes, qui font mouche, en particulier dans un contexte de scène. Nous ne sommes pas des collectionneurs fanatiques d’instruments du passé. Il se trouve juste que ces instruments sont plus appropriés pour la musique très massive de Guapo.

Vous avez joué en première partie de Fantomas. Comment s’est passé cette tournée européenne ?
C’était fantastique. Ce fut très étrange de jouer devant des milliers de fans de heavy metal (rires) ! On se sent tout petit devant de tels publics, et ce fut très intéressant, en terme d’esthétique, de confronter nos musiques. Nous avons pu jouer devant des personnes qui ne nous connaissaient pas, et qui nous découvraient. Fantomas s’adresse au grand public et pourtant ils ne font aucune concession : leur style est si bizarre, encore plus que ceux de Slayer ou Faith No More. Ils travaillent incroyablement dur et c’est un plaisir de les voir soir après soir, depuis le côté de la scène, surtout qu’ils changent souvent leur set-list.

Pour vous c’est un exemple d’intégrité et de réussite ?
Difficile à dire, car chaque membre de Fantomas était connu avant de démarrer ce projet, qui est devenu un super-groupe de gens reconnus dans des styles différents. Mais il est vrai qu’ils auraient pu capitaliser sur les styles en question et au lieu de cela, ils se sont remis en question, sans se compromettre et c’est évidemment une position que l’on ne peut que respecter. Ils ont la liberté financière de faire ce qu’ils veulent et ils en usent remarquablement. Et c’est vrai qu’en dix années d’existence, nous n’avons pas non plus cédé à la facilité artistique, et cette absence de compromis chez Fantomas, c’est aussi notre ligne directrice. Le fait qu’ils jouent une musique si étrange et qu’ils réussissent à la communiquer à un public assez large est une source d’espoir pour un groupe comme Guapo ! Et nous offrir l’opportunité de toucher ce public, c’est un superbe cadeau, quelque soit sa réaction.

À propos du futur de Guapo, vous travaillez donc sur deux nouveaux albums. Pouvez-vous nous en dire plus sur leur contenu et date de sortie ?
Tout est loin d’être fini. Le premier album sortira en janvier 2005 sur Ipecac. Il s’agit de la poursuite de notre travail sur Five Suns, avec des titres longs à l’instrumentation développée, peut être encore plus aventureux. Le second sortira peut être cette année, plus sûrement en 2005, et devrait être plus psychédélique : c’est une sorte d’aboutissement dans le sens où nous sommes plus sûrs de là où nous allons, et que les compositions sont encore plus  » saisissantes « . Les titres seront plus courts, dans un format plus traditionnel. Il sortira sur Neurot, un label qui s’occupe également de Neurosis. En fait, nous marchons un peu à l’envers, puisque le disque qui est quasi-terminé sortira après celui qui encore en cours d’écriture !

Propos recueillis par Djul

site web : http://www.guapo.co.uk