Ron Thal – Ron Thal
Origine : USA
Style : Metal disjoncté
Formé en : 1995
Dernier album : Uncool (2002)
Ron Thal, artiste en vogue de la scène prog actuelle, vient de terminer une tournée franco-hollandaise couronnée de succès. Tournée réussie égalant fatigue et autres coups de barre, quelques heures avant son concert niçois, le prodige new-yorkais, miné par une grippe et le départ précipité de son batteur, Ron avait préféré garder ses forces pour le show et annuler notre interview. Qu’importe ! De retour chez lui, le moral regonflé à bloc, il nous répond enfin dans cet entretien plein de nouvelles croustillantes, de références et d’instantanés de la tournée passée.
Progressia : 9.11 s’est-il bien vendu, et as-tu réuni les fonds que tu espérais ?
Ron Thal : Au cours de l’année dernière, j’ai écrit un disque de happy-punk et de nu-metal pour Carlin Publishing (ndlr : société responsable de nombreuses musiques de films et de séries aux USA, notamment Buffy contre les vampires) et je suis en train de terminer un album de hip-hop. J’ai produit un artiste electro-pop proche de Moby : Q*Ball, ainsi que les groupes de hard-core Most Precious Blood et The Wage Of Sin, un artiste "antifolk" du nom de Cathy-Ann, et je vais ouvrir mon propre studio à Princeton, dans le New Jersey. J’ai sorti la version non-française de Uncool (qui n’était alors disponible qu’en France) et j’ai fait quelques shows en tant que guitariste pour Q*Ball. Enfin, j’ai obtenu une licence pour une demie-douzaine de programmes sur MTV, dont The Osbournes (ndlr: avec Ozzy, sa femme etc) pour ma musique et celle des artistes que je produis. 9.11 a bien marché, mais honnêtement, je n’ai pas gagné beaucoup d’argent sur les ventes de disques. J’aurais voulu réunir bien plus de fonds, puisque je reverse 100% des bénéfices de l’album à la Croix Rouge américaine. Mais je suis heureux d’avoir pu aider d’une certaine manière.
Comment s’est passée la tournée jusque là ?
Très fatigant. Le batteur a décidé après le premier concert qu’il ne voulait plus jouer de musique, qu’il ne pouvait plus combattre ses démons, qu’il allait arrêter la musique etc. et a par conséquent quitté la tournée. C’était un véritable cauchemar. Après deux jours de répétition, tout était parfait. Mais alors que l’heure du premier concert approchait, il a pris peur et nous a lâché cette bombe en fin de soirée. Il a égoïstement bâclé les concerts de Bordeaux et Toulouse, et nous l’avons finalement renvoyé chez lui par le premier train. Le batteur de Kooma est resté très tard cette nuit-là, a appris tous nos morceaux et a ainsi pu jouer le show suivant avec nous – c’était la chose la plus incroyable que j’avais jamais vue. Puis Dennis Leflang de Suncaged a terminé sa tournée en Allemagne et au Danemark et nous a rejoint pour enchaîner la série de concerts. J’étais lessivé et vraiment déprimé, nous étions tous des zombies à cause du peu d’heures de sommeil et j’ai ensuite attrapé la grippe d’un des membres de l’équipe avec qui j’avais partagé une chambre. Quand nous nous sommes rencontrés à Nice toi et moi, j’étais à deux doigts de m’effondrer, à cause du stress et de ma difficulté à respirer. Mais le show doit continuer, ce qu’il a fait, et tout s’est amélioré de soir en soir. Pour les dernières prestations à Paris, nous avons tous donné quelques-uns uns de nos meilleurs concerts. Je me fabriquais des cocktails de médicaments pour le rhume à base de sirop, de gouttes et de médicaments anti-allergiques afin de pouvoir terminer les concerts. La fumée de cigarette a fait des ravages sur ma gorge, qui est malheureusement ma grande faiblesse. Si je dois bientôt tourner à nouveau, je le ferai dans une bulle en plastique (rires) !
Uncool était extrêmement original, puis tu es revenu sur 9.11 à un style plus proche de celui de Hermit. A quoi doit on s’attendre dans le futur concernant Bumblefoot ? Pouvons nous espérer une suite à Uncool ?
Je ne sais pas à quoi il faut s’attendre… Je dois terminer une sorte d’album patchwork composé de morceaux inédits qui ne figuraient pas sur Hermit, Hands, Uncool et 9.11 – et qui s’appellera sûrement Thumbs Down. Après cela, je pourrai commencer de nouvelles choses…
Comment décrirais-tu la musique de Bumblefoot à quelqu’un qui ne l’a jamais écoutée ?
Si je devais mettre une étiquette, ce serait "Rock expérimental à la Mr. Bungle, combinant différents styles et un jeu de guitare technique". Ou j’appellerais peut-être tout simplement ça du disco (rires) !
Sur chaque album, ton jeu de guitare fretless progresse énormément, jusqu’à devenir sur 9.11 l’instrument que tu utilises le plus. Peux-tu nous en dire plus sur cette histoire d’amour ?
La fretless me permet d’explorer les dissonances d’une nouvelle façon, de combiner des fréquences qui ne sont pas très agréables à l’oreille… La dynamique est également plus expressive : quand tu fais un glissé sur la fretless, le déclin des harmoniques est plus sensible à l’attaque du médiator, donnant plus de vie aux notes. Tout est un peu plus "précieux" car il y a moins de chance de jouer à chaque fois avec exactement la même expression.
Peux-tu expliquer à nos lecteurs d’où vient le concept de Bumblefoot ?
Ulcerative pododermatitis (NdT : dermatite ulcérisante du pied), également connu sous le nom de « bumblefoot » , est une inflammation des pattes des oiseaux, des cochons d’Inde, des lapins et des rats. L’inflammation est causée habituellement par un Staphylococcus aureaus (staphylocoque doré), mais peut être transmise par d’autres bactéries. L’infection apparaît quand la bactérie entre en contact avec une plaie, par exemple, sur la patte. Un des traitements pour le bumblefoot est de masser la patte de l’animal avec une crème pour les hémorroïdes.
J’ai entendu que tu allais enregistrer quelque chose avec John Petrucci (Dream Theater). Est-ce vrai ou juste une rumeur répandue sur le web ?
Juste une rumeur internet. J’ai demandé à M. Petrucci d’apparaître en invité sur 9.11 mais il était trop occupé avec Dream Theater d’une part et la composition de morceaux pour le G3 d’autre part. A part ça, nous n’avons jamais planifié quoi que ce soit ensemble.
Lors de tes prestations scéniques, tu as pu jouer avec pas mal de groupes affiliés au progressif. Avec ton approche sans limites de la musique, qualifierais-tu Bumblefoot de progressif ?
Je dirais que la musique de Bumblefoot est progressive, avec toutes ses mesures asymétriques et ses parties de guitare techniques. L’étiqueter metal progressif serait cependant déroutant, et l’appellation prog rock renvoie à des groupes plus "classiques", comme Yes, Jethro Tull, etc. Je ressens ma musique comme un test de Rorschach (ndlr : le test psychologique de la tâche d’encre que tout le monde connaît : une tâche vous est montrée, vous dites ce que vous y voyez), où chacun voit ce qu’il a envie de voir. C’est une partie du message de la jaquette de 9.11 : la première idée est qu’il est temps de se regarder soi-même et de faire face à ce que nous sommes véritablement, la deuxième étant que les gens ne voient que ce qu’ils ont vraiment envie de voir. Quelle que soit la manière dont une personne interprète un art, qu’il s’agisse de musique, de peinture ou autre, elle donne un indice sur ce qu’elle est.
Qu’écoutes-tu en ce moment ?
Du vieux Motown comme The Four Tops et Smokey Robinson, et de la pop des années soixante / soixante-dix également : Engelbert Humperdinck (ndlr : il ne s’agit pas ici du compositeur allemand du même nom, né en 1854 et mort en 1921 – un peu de culture ne fait pas de mal – mais d’un bellâtre américain, sorte de Julio Iglesias et de Barry Manilow local) et Frankie Valli (ndrc : de Frankie Valli and the Four Seasons, concurrents directs des Beach Boys, qui ont repris en Anglais « cette année-là » sous le titre « oh what a night » . Valli a aussi écrit et chanté le thème du film Grease).
Pourrais-tu, pour chacun de tes albums, nous parler de ton état d’esprit du moment, ce que tu écoutais à l’époque, tes influences, tes objectifs et si tu étais alors content du résultat ?
J’ai été fier de chacun de mes albums, mais ce sentiment est toujours resté très éphémère. Après une semaine, mes perspectives changent et je me mets à chercher ce que je ferai différemment sur le prochain. Je ne les ai d’ailleurs jamais réécoutés. Pour Uncool, je me suis énormément amusé et je me moquais de ce que l’on pourrait penser de ce disque. J’aime beaucoup des morceaux comme « Delilah » et « Ronald’s Coming Back Now », que j’adore jouer live. Pour 9.11, je voulais qu’il s’agisse d’un ensemble de morceaux liés par une même idée : tu planifies une direction dans ta vie mais un événement soudain massacre tous tes plans. D’où la phrase « we make plans, God laughs » (Nous faisons des plans, Dieu rit) sur « Lost » . Les morceaux de ce disque représentent trois ans de ce type de galères : à titre d’exemple, lorsque notre batteur a décidé de ne plus jouer dans un groupe un mois avant la sortie d’Uncool en France, j’ai écris « Fly in a batter ». Nous devions participer à un énorme festival à Astaffort, et le batteur est parti quelques semaines avant le concert. Je me suis retrouvé seul et suis parti jouer avec le groupe de Christophe Godin. Cette expérience m’a inspiré « Time » . L’album devait s’appeler Guitars Suck, ce qui aurait bien résumé mon état d’esprit : tout ce que je voulais faire, c’était de la musique, mais cela amenait beaucoup de personnes indésirables dans ma vie et je n’arrivais finalement pas à la gagner en tant que musicien. Et alors que le disque était sur le point d’être terminé, l’attaque terroriste du 11 septembre en a changé la direction et l’a transformé en quelque chose que je pouvais utiliser pour aider les gens. Hands est le premier disque que j’ai pu sortir sans qu’un label me dise quoi et comment chanter, chanter, quoi écrire, etc. J’y ai mis beaucoup de titres que Shrapnel avait retirés de Hermit (« Swatting Flies » , « What I Knew » , « Shrunk » , « Dummy » , « Cactus » , « Dirty Pantloons » ), en en profitant pour les modifier. J’étais fatigué et j’avais l’impression d’avoir été un robot sous contrôle depuis des années. Faire ce disque m’a permis de me sentir mieux. En ce qui concerne Hermit, j’avais enregistré un album que les responsables de mon label d’alors avaient rejeté car ils le trouvaient « trop sombre », me donnant pour consigne d’écrire des choses plus marrantes. J’ai donc composé des titres comme « Rowboat » ou « I Can’t Play the Blues » , puis le label y a ajouté quelques morceaux sombres (« Sweetmeat » , « Gray » , « Unsound » ) et en a retiré d’autres plus joyeux (« Cactus » , « Pantloons » ). Cette double direction ne m’a pas plu. Je détestais également le fait que le label réduise toute pochette d’album à un mec tenant sa guitare. Puis ils l’ont masterisé dans un studio du type « 3 albums pour 100$ » et l’ont fait sonner comme une cassette distordue. Je ne suis vraiment pas content de cet album. Enfin, The Adventures Of Bumblefoot : les dirigeants du label m’ont dit vouloir commencer par un disque instrumental, alors qu’ils m’avaient signé pour le groupe dans lequel je jouais à l’époque, dans un style Red Hot Chili Peppers / Rage Against The Machine. Ils m’avaient dit vouloir arrêter de sortir des CD de guitare et produire de vrais groupes… Les labels sont vraiment prêts à dire n’importe quoi pour vous faire signer. J’ai donc fait ce que je devais faire. Je suis assez content du résultat, bien que la jaquette de la version US soit floue car le label se foutait finalement bien de la qualité. Ce disque aurait eu beaucoup plus de succès si la maison de disques avait fait correctement son travail et promu ses artistes, au lieu de les utiliser pour un fond de catalogue vendu à une boite étrangère (ndlr : en l’occurrence, le label hollandais Roadrunner). Dieu bénisse Internet ! J’ai horreur de penser qu’il y a encore peut de temps, un nombre incroyable de guitaristes, qui essayaient de sortir leur premier album, a du se tourner vers des labels aussi minables, comme j’ai aussi eu à le faire, parce qu’il n’existait pas encore de sites de vente en ligne sur le web. Réellement, merci mon Dieu pour Internet !