Porcupine Tree - In Absentia (Deluxe Edition)

Sorti le: 21/02/2020

Par Chrysostome Ricaud

Label: KScope

Site: https://porcupinetree.com/

Sans même attendre le prétexte de son vingtième anniversaire, Porcupine Tree avait sorti en 2020 une réédition deluxe de son grand tournant musical initialement paru en 2002, In Absentia. Celle-ci se trouvant encore aujourd’hui, on se l’est procurée pour déterminer si les apports méritent qu’on débourse la coquette somme de 85 euros ! Nous n’évoquerons pas ici le contenu de l’album original (si c’est ce que vous cherchez, nous vous invitons à lire la critique parue à l’époque, quand le webzine s’appelait encore Progressia). L’objet de cette chronique est d’évaluer l’intérêt du livre et des disques bonus proposés dans cette édition deluxe.

Commençons par le livre. De dimensions légèrement plus petites qu’un vinyle, il fera un bel objet de décoration dans votre salon à condition de ne pas être rebuté par son visuel effrayant. Parmi ses cent pages, on trouve d’ailleurs d’autres photos horrifiques de Lasse Hoile. Il s’agissait à l’époque de la première collaboration de Steven Wilson avec le photographe-vidéaste danois qui est par la suite devenu son partenaire privilégié dans ce ce domaine. Peu convaincu par les propositions des artistes responsables des couvertures des précédents albums, Wilson a trouvé dans la photo de Lasse le parfait pendant de l’œuvre qu’il venait de créer, les textes de plusieurs chansons de celui-ci évoquant tourments intérieurs et tueurs en série. Car c’est là le premier grand plus de cette édition si vous êtes fan du groupe : le journaliste Stephen Humphries a pu interviewer tous les protagonistes de l’époque pour nous révéler le making ofi (dont l’anecdote qu’on vient de vous raconter sur l’artwork). Et s’il y a un album de Steven Wilson où il y a des choses à apprendre sur l’envers du décor, c’est bien celui-ci ! Le coffret comprend un Blu-Ray sur lequel vous trouverez un documentaire d’1h50, mais le livre va encore plus en profondeur. On y apprend notamment ce qui a provoqué le départ de premier batteur, Chris Maitland. La raison officielle invoquée à l’époque était qu’il ne souhaitait plus tourner pour se consacrer à son métier de professeur de batterie et ainsi rester proche de sa famille. La réalité, toute autre, est ici révélée par le principal concerné : Steven n’était pas satisfait de lui et le snobait délibérément. Chris a réagi de manière sanguine puisqu’il n’a rien trouvé de mieux à faire que d’empoigner et bousculer le leader du groupe. Dix jours après, il recevait une lettre lui signifiant son licenciement. Seul problème, un studio était réservé à New York pour enregistrer 3 semaines plus tard ! Un délai sacrément court pour trouver un nouveau batteur qui puisse s’intégrer et offrir une partition à la hauteur des morceaux composés. Des anecdotes comme celle-ci, le livre en est rempli. Vous apprendrez de façon détaillée ce qui a provoqué l’intérêt de Steven Wilson pour le metal à partir de cet album (un journaliste français en est le principal responsable), ce qui a permis de signer sur une major (Lava, filiale d’Atlantic records) et à quel point Porcupine Tree galérait financièrement avant. Pour finir, chaque chanson est commentée de manière extrêmement détaillée (y compris certains titres bonus). Côté iconographique, nous retrouvons des photos des musiciens en studio, en concert et des extraits du carnet de Steven Wilson comprenant des accords, des paroles et des notes pour l’enregistrement.

Passons au contenu des deux CD bonus. S’il y a une mode des coffrets deluxe en édition limitée depuis quelques années, une majorité de groupes raclent les fonds de tiroirs pour trouver du contenu additionnel, offrant les plus souvent des titres qui n’ont qu’un intérêt archéologique (prises alternatives, démos inécoutables, versions instrumentales, etc.). Or, les fans du bonhomme le savent déjà, Steven Wilson rejette régulièrement des compositions qu’il considère comme ses meilleures au prétexte qu’elles ne s’intègrent pas parfaitement à l’agencement cohérent qu’il souhaite offrir à ses albums. Des titres (plus ou moinsii) inédits, vous en trouverez donc pas moins de huit. Parmi ceux-ci, absolument aucun déchet, tous méritent d’avoir une existence discographique. Pour trois d’entre eux, on comprend aisément qu’ils étaient stylistiquement trop éloignés d’In Absentia pour figurer dessus. « Enough » (resté à l’état de démo) est une chanson britpop/indie pop qu’on aurait pu imaginer interprétée par Blur. C’est le seul titre dont on se dit qu’il ne méritait guère plus que de figurer sur une face B. « Meantime », très pop et solaire aurait plus eu sa place sur Stupid Dream ou Lightbulb Sun. « Imogen Slaughter » (resté à l’état de démo) explore la face metal de manière brutale et low-fi (entre grunge et sludge), une approche trop éloignée de l’évolution metal prog opérée sur In Absentia. On trouve deux autres titres avec des riffs pachydermiques. On comprend qu’« Orchidia », aussi réussit soit-il, n’ait pas eu le droit au final cut, « Wedding Nails » occupant déjà la place de morceau instrumental de l’album. Enregistré après la sortie du disque, « Futile » est issu d’une collaboration avec Gavin Harrison qui a demandé à Steven de l’aider à écrire une musique à la Meshuggah qui pourrait lui servir de démonstration lors d’une de ses drum clinics. « Chloroform », une chanson trippante et groovy qui aurait eu toute sa place sur Recordings a été écartée d’office, car elle était co-composée par Chris Maitland, le batteur qui venait de se faire virer. On imagine que « Watching you sleep », une chanson pop rythmée à la guitare acoustique (restée à l’état de démo) a été écartée au profit de « Trains », les deux compositions couvrant en territoire trop similaire. Aussi emblématique soit « Trains », « Watching you sleep » est tellement réussi, que l’album n’aurait pas été moins bon si elle avait été retenue à sa place. C’est vous dire la qualité de ces inédits ! Enfin, le meilleur pour la fin, « Drown With Me » régulièrement joué par le groupe en concert est rapidement devenu un des titres préférés des fans. Steven considère qu’il s’agit d’une de ses meilleures compositions de cette période et avoue ne pas se rappeler pourquoi il ne l’avait pas retenu à l’époque. Il ajoute que si c’était à refaire elle serait sur le disque à la place de « Prodigal ».

Cette édition deluxe nous donne également accès à 9 démos de Steven Wilson. Celles-ci sont fascinantes à plusieurs égards. Tout d’abord par leur aspect parfaitement abouti et très proche du résultat final. Ses démos sonnent mieux que le produit fini d’autres groupes ! Il joue tous les instruments et programme les batteries (seul élément qui sonne démo) et on se rend alors compte à quel point il a une idée extrêmement précise de ce qu’il veut, les musiciens étant principalement là pour exécuter une partition laissant assez peu de place à une contribution artistique. Un argument supplémentaire pour prouver aux fans regrettant la mise en sommeil de son groupe au profit de sa carrière solo que Porcupine Tree n’a finalement jamais été autre chose que du Wilson solo mais avec des musiciens permanents. On y découvre aussi que sa créativité est telle qu’il peut écrire un nouveau refrain pour une chanson, alors que celui d’origine était déjà magnifique (« Drown with Me »). Ou encore qu’il a abandonné des parties entières de certains titres (la démo de « Strip the soul » dure 15 minutes, soit plus de deux fois plus longtemps que la version finale!). Avec tout ce contenu additionnel inédit, difficile de faire la fine bouche en se plaignant de l’inutilité des versions radio edit de 3 chansons (franchement, quel fan de prog a envie d’écouter un morceau raccourci ou tronqué en fade out pour se soumettre au formatage de la radio?). Même si on n’en avait pas besoin, on a déjà de toutes façons eu largement plus que ce qu’offriraient d’autres groupes !

Certains coffrets deluxe ne sont clairement d’intérêt que pour les fans hardcore. Entre les nombreux titres bonus aussi bons que le contenu principal, le beau livre, le documentaire et l’histoire détaillée de ce qui a mené à l’enregistrement de cet album et de ses spécificités, ce coffret mérite largement que vous vous délestiez de 85 euros pour l’obtenir !

i Il vous faudra bien évidemment comprendre l’anglais pour en profiter.

ii L’édition européenne de l’album contenait un CD bonus sur lequel figurait déjà « Drown With Me » et « Chloroform », tandis que « Futile » et « Orchidia » apparaissaient sur un EP promotionnel destiné aux radios.