Hell Ain’t a Bad Place to Be
27/06/2024
Hellfest - Clisson
Par Florent Canepa
Photos: Christian Arnaud
Site du groupe : https://hellfest.fr/
Plus besoin de gonfler les bras, d’émoustiller les politiques locaux, de rivaliser d’ingéniosité pour dégoter les plus beaux headliners : le Hellfest s’est installé dans la pop-culture rugissante, cheval de Troie des musiques (plus ou moins) extrêmes, chantre de la réconciliation sur la psychologie sociale des métalleux. Les portes de l’enfer s’ouvrent avec assurance, arborant fièrement ses prises de guerre, des Foo Fighters à Offspring en passant par Metallica en mode come-back, les toujours vivants Prodigy ou Queens of the Stone Age pour les rockeurs populaires.
Au cœur de cette esplanade de talents (on dépasse les 150 groupes présents), dénicher les euphories live en zigzaguant entre Altar, Valley et autres Main Stages relève de l’enquêteur mêlé au mosher prêt à se frotter aux foules bienheureuses et exaltées. Sylvaine crée l’intérêt dans l’après midi. La Norvégienne Kathrine Shepard convainc aussi bien par sa voix que la qualité de compositions rêveuses et post-rock. En place et parfois en Placebo, elle contraste l’aérien avec la férocité douce (oxymore improbable) de sa voix black. Chacun y va de sa patte vocale pour donner le relief à l’ensemble. On pense à Alcest et Sylvaine réussit son pari où la beauté se mélange à la brute.
La première rencontre, la première exultation vient du Nord, la Suède plus exactement d’où Shining distille, cultive, expérimente son jazz aux accents black, aux accélérations chamaniques. Nourris par de froides douches de lumière de contre, les enragés de Halmstad nous brûlent les oreilles (« The Madness and the Damage Done ») avant de les enivrer (« Exit Sun »). La transe s’installe à propos sur « Blackjazz Deathtrance ». Le son est sale mais délivre suffisamment de manèges soniques pour nous griser. Aussi punk que Mr Bungle, saccadé que The Mars Volta, foutraque qu’Albert Ayler, Shining brille littéralement tout en nous lavant le cerveau. Ce n’est pas pour rien qu’ils terminent leur set par un « 21st Schizoid Man » désarticulé et ténébreux qui doit certainement faire jubiler Robert Fripp. Niklas Kvarforth prévient qu’il faudra des calculatrices même si le public a déjà vu Slayer ou Tool (« Show me your calculators »). On n’a pas tout calculé mais on a beaucoup aimé. Zoner sur Kerry King ou Megadeth (mais y être agréablement surpris), communier sur Craddle of Filth suffiront à divertir cette première journée apéritive.
Le vendredi fera figure d’étendard pour le progressif planétaire, à commencer par les Hollandais de Textures, mis sur un petit devant de scène avec le pop mais entêtant « Reaching Home », gonflé au stream qui prend ici une part belle en cœur de set. Le groupe défend ses couleurs honorablement, ne surprend pas mais reste plaisant avec son mélange métalcore et épique. Généreux, c’est un qualificatif qu’on peu employer volontiers pour décrire les Australiens de Karnivool , trop rares en Europe mais récemment aperçus au Bataclan à Paris. Karnivool a tout d’un grand, sauf peut-être le genre musical. La décontraction avec laquelle Ian Kenny et sa troupe s’approprient la scène, la légèreté avec laquelle ils enchaînent l’enivrant « Goliath », le groove qu’ils imposent sur « Roquefort » ou la fierté avec laquelle ils exécutent « All it takes » ou le fiévreux « Themata »… Autant de preuves que Karnivool est comme du Tool compréhensible, du Dream Theater sans pompe, du Between The Buried And Me sans prise de tête. Au contact direct avec le rock et son aspect brut. Même sur Main Stage (peut être moins propice), le propos fait mouche et enfonce un clou au cœur.
D’un K à un autre, il n’y a qu’un pas, mais quand même plusieurs pour rejoindre l’Altar et prier pour Klone. Les fiers Poitevins sont arrivés en terre nantaise les poches pleines de mélodies radieuses qui tutoient le soleil (splendide « Yonder ») sans doute aussi grâce à Yann Ligner qui passe avec aisance du chant clair exalté au growl raffiné. On lorgne presque du côté de la ferveur de Pearl Jam pour l’état d’esprit. Planant sans être soporifique, avec saxophone sans être mauvais goût, Klone, assagi et bien campé sur ses appuis n’a pas à rougir des autres grands progressifs de la journée.
Et du grand il y en aura juste après sur la même scène avec un Einar Solberg qui a décidé de ne pas faire de compromis malgré un public forcément assoiffé de riffs et de rauque. Pas du tout, après tout, si Einar est en solo ce n’est pas pour faire du Leprous et c’est tant mieux. Doux et féérique jusqu’à l’a cappella, le Norvégien livre un set superbe, faisant fi des conventions métal, invitant l’opéra dans des interstices brûlants, invoquant la pop mais sans rougir (« A beautiful Life ») et obtenant une victoire personnelle. Même si on a hâte d’entendre sur scène les nouveaux brûlots récemment révélés par son groupe, il faut bien avouer que cette escapade solo, boostée à l’électronique et au spleen (« Remember Me ») fut vivifiante.
Prochaine étape du marathon : Polyphia. Les petits génies de la nouvelle scène comme on ose les appeler feront une leçon d’aisance. Successeurs studieux de Steve Vaï, inventeurs d’un toucher immédiatement reconnaissable, les Texans bastonnent au son clair. Que ce soit sur le quasi culte « G.O.A.T. » ou le plus récent « Chimera », Scott LePage et Tim Henson tricotent aussi bien du flamenco que du métal nerveux. Le tour de force est imparable, la communication avec le public un peu plus inodore mais le show n’en est pas dégradé. La nouvelle génération sympa, brillante et un peu distante. Après un petit tour par les très sympathiques Ne Obliviscaris où l’on découvre comment deux chanteurs peuvent se partager habilement la scène, tantôt clair (et violon !), tantôt growl, on pivote vers Satyricon qui fait exploser son black rock dans la tente du Temple. On ne sait pas trop quoi en attendre mais que du bon au souvenir de toutes les prestations Hellfest, aussi diverses que réussies. Cette fois-ci, c’est retour aux sources : on mélange le jean et le perfecto pour servir un black’n’roll authentique qui revisite aussi bien des inconnues au catalogue en mode punkisant (« Fuel For Hatred ») que les grands classiques comme « K.I.N.G. » ou « The Pentagram Burns ». Satyr sonne presque comme Milan Fras de Laibach. La descente aux enfers peut commencer et il ne fait même pas encore nuit !
Il faudra dire un petit mot de Shaka Ponk qui fait un très bon travail pour bousculer la Main Stage et conquiert Clisson comme on fait prise d’un nouveau territoire. Chapeau bas aux frasques de Frah, la moitié du temps perché sur le public et les mises en scène si pro. Finalement pas si hors sujet dans cette édition. Le rendez-vous manqué ce sera Pain of Salvation un peu plus tard qui offre un set truffé de problèmes techniques (rappelant des souvenirs des débuts) avec Daniel Gildenlow réclamant de l’aide pour sa guitare. Pas vraiment inspiré, étonnamment barbant dans ses morceaux de bravoure (« Reason »), le groupe ne parvient finalement à convaincre que sur des tubes imparables (« Meaningless ») ou des classiques qu’il ne faudrait quand même pas louper (« Beyond the pale »). Quel dommage car on attend mieux. Et l’on regrette d’avoir quitté les fantastiques Machine Head pour ça.
Le samedi, on décide que finalement cette édition sera très scandinave et on ne boude pas son plaisir à aller saluer le vétéran Yngwie Malmsteen, au moins par respect pour ce qu’il a apporté à l’instrument. Et c’est finalement une très belle surprise qui se dévoile sous nos yeux. Yngwie, magnanime, offre un spectacle de guitar hero sans faille. On sent que cela doit tourner derrière si cela ne veut pas se faire engueuler par le maestro. Mais le claviériste, remplaçant parfois comme il peut mais honorablement Joe Lynn Turner ou certains des autres chanteurs charismatiques d’Yngwie jusqu’à ce qu’il les vire tous. Dans la famille guitar hero, je demande le fils d’Eddie Van Halen qui fera aussi très bien sur la Main Stage avec une lourdeur bienvenue dans cet après-midi un peu moins ensoleillée. Extreme fera plaisir à notre cœur de GenX. Presque décalé à notre époque, le Pornograffiti brille de mille néons et on est toujours autant chaviré par « More Than Words » ou « Hole Hearted ». On se dit aussi que Nuno est lui aussi un guitar hero. La révélation de la journée sera Chelsea Wolfe, toujours parfaite en prêtresse, maîtresse de cérémonie. Concentrée sur son propos, propulsée par un temps pluvieux qui fait corps plus encore avec la musique, la belle Américaine offre son gothic rock, son doom et sa folk à un public médusé, envoûté, captivé. De « Feral Love » à « After The Fall », le groupe offre différents extraits discographiques tous aussi convaincants. On boit cela comme Chelsea boit de son calice. Le monde a engendré un croisement puissant entre Lana Del Rey et Anne Clark et le résultat romantique et transcendant absorbe complètement. Julie Christmas un peu plus tard offrira un voyage tout aussi convaincant. Entre deux, le mainstream reprend ses droits et l’on peut apprécier au choix les furieux (un peu en dessous de d’habitude) Mass Hysteria, Bruce Dickinson et son armada pas si solo, les paradoxalement intimes et convaincants Metallica ou les vétérans pas si mollassons de Saxon.
Dimanche sera un jour plutôt calme pour nos colonnes. On fera une rencontre convaincante avec les cultes pas si cultes Irlandais de Therapy. Un groupe intéressant sur la réflexion de comment passer au premier plan ou rester dans l’alternatif. Quand la puissance du live est là, bientôt les réflexions s’effacent et on profite du moment. Batushka ne fait pas dans les mesures composées mais le spectacle liturgique est à la hauteur de leur réputation. Crosses butte sur un problème technique et la bande de Chino Moreno version électro finit péniblement son set dans une Valley à moitié déserte. Tiamat fait un sympathique retour un peu brouillon parfois. Seuls les Foo Fighters convaincront la majeure frange d’un public toujours motivé ou encore Dimmu Borgir en clôture inattendue mais absolument délicieuse.
A l’année prochaine c’est sûr, car malgré lés hauts, les bas, les jubilations et les déceptions, on est toujours certain au Hellfest d’être stimulé, surpris, bousculé au sens propre et figuré. La liesse prend le pas sur tout et les décibels sont des offrandes au cœur de la nuit où les flammes réchauffent les corps mais pas la bière. Ce n’est pas la Gardienne des Ténèbres, nouvelle machine qui nous dira le contraire. Du haut de ses dix mètres, elle voit bien que c’est ici que se déroulent les moments sonores les plus excitants de l’été où riffs croiseront conversations sur tel ou tel groupe qui aurait du revenir et celui qui n’aurait pas du. C’est un peu cela le métal finalement : cela parle de la mort mais il n’y a pas plus vivant !