Moron Police - A Boat on the Sea
Sorti le: 09/12/2019
Par Julien Giet
Label: Mighty Jam Music Group
Site: https://moronpolice1.bandcamp.com/
Jirõ Ono est un cuisinier japonais légendaire. L’excellent documentaire consacré à sa philosophie, Jirõ Ono Dreams of Sushi , dresse le portrait d’un homme d’exception qui a passé sa vie à améliorer chaque jour ce qu’il a exécuté la veille. A travers ses sushis à la conception perfectionnée à un niveau difficilement concevable, Jirõ Ono cherche à provoquer chez le gourmet un ressenti que l’on peut rapprocher de l’exaltation à l’extrême : le Umami. Le Umami est, comme bien des expressions japonaises, complexe à traduire par des mots. Il reflète un sentiment et tout ce qui l’accompagne. Le Umami, c’est l’extase culinaire ultime suivi d’un arrière goût doux et agréable gravant sur les papilles un souvenir parfait.
Cette introduction est nécessaire pour parler de l’album A Boat on the Sea de Moron Police car l’impression qu’il donne et qu’il laisse se rapproche du fameux Umami. Au programme, un groupe norvégien qui compose une musique imprégnée de joie de vivre. Sérieusement, demandez-vous quand est-ce qu’une chanson (restons dans une sphère « progressive », le dernier album de Coldplay ne compte pas) vous a procuré de la joie récemment. Les thèmes endiablés aux allures de génériques de mangas survitaminés regorgent de mélodies inoubliables et les mélanges audacieux sont toujours judicieux et bien amenés ; on commence dans un esprit pop , on poursuit jazz, un petit passage fusion, transition riff saturé aux allures néo classiques et on termine reggae. Aussi étonnant que cela puisse paraître, tout s’enchaîne dans la plus grande des cohérences. Pour parler plus concrètement, prenons exemple sur la chanson « The Invisible King » : un départ polyphonique à la Kansas, suivi d’un thème à l’assise lourde digne de bons albums de rock alternatif US des années 90, une petite interlude et un retour au thème en reprenant l’intro façon power pop pouvant évoquer Weezer à l’époque du Red Album . Puis, fruit d’une production impeccable, la basse se paie le luxe de se faire entendre à travers ce mur sonore entraînant pour amorcer le refrain final qui va lancer la piste suivante, « Beware the Blue Sky » qui pour le coup se dirigera vers un reggae avec solo d’harmonica comme grand final avant de laisser le soin à « The Dog Song » de repartir sur des bases folk/pop pouvant évoquer « Solsburry Hill » de Peter Gabriel.
Le groupe a pris soin d’agencer ses titres de manière à créer un fil rouge rendant la cohérence encore plus forte ; chaque piste enchaîne à merveille sur la piste suivante, que ce soit au niveau de la compatibilité des tonalités, des ambiances , de l’énergie ou encore du thème qui sera partiellement repris. Le meilleur exemple est sûrement la liaison entre « Captain Awkward » et « The Undersea » ; le thème final de la première se trouve être le refrain de la seconde (la tonalité globale se trouve conservée pour le démarrage instrumental de la piste suivante, « Isn’t It Easy » , un départ technique à la Haken qui débouche sur un couplet au lyrisme emprunt de Queen, puis sur un pont délirant, … Vous commencez à comprendre) . « Captain Awkward » est le firmament de l’album ; l’exposition ultime du savoir faire du groupe. Introduction survoltée aux modulations harmoniques audacieuses, couplet déjanté, refrain accrocheur, pont instrumental insolite, reprise du refrain lentement au ton solennel sur fond de guitare folk, accélération progressive pour retrouver le tempo enlevé d’origine, …
Pour résumer, A Boat on the Sea est une bombe de bonheur de 30mn. La pochette magnifique reflète à merveille la musique décrite ; une explosion de couleurs aux détails fourmillant. Pour reprendre l’introduction de cette chronique, Moron Police a su provoquer le Koy No Yokan (expression japonaise décrivant le ressenti du coup de foudre).