Ghost Rhythms - Spectral Music

Sorti le: 21/11/2021

Par Jean-Philippe Haas

Label: Cuneiform Records

Site: https://ghostrhythms.bandcamp.com

S’il est un collectif qui ne manque pas de créativité, c’est bien Ghost Rhythms. Là où la plupart des groupes « installés » jouent la sécurité et n’ont plus de « progressif » que l’étiquette collée avec indulgence par le chroniqueur, les Parisiens se renouvellent sans cesse, souvent guidés par un thème, récit, film, ou comme ici, un « concept », celui de la musique dite spectrale. Si celle-ci, dans la musique contemporaine, a pour ambition de travailler sur la nature du son, sa structure acoustique, et pas seulement sur la note elle-même, le titre Spectral Music ne se réfère pas exclusivement à cette façon moderne de composer, mais également au sens premier du mot, à savoir l’aspect intangible, fantomatique, et par prolongement la communication à distance, voire la télépathie. Cette thématique est apparue alors que les musiciens étaient séparés pour cause de pandémie et continuaient néanmoins à répéter et composer. Pourtant on ne perçoit cet éloignement à aucun moment : on entend ici un groupe et non des individus ayant enregistré chacun leur partie, chez eux, par la force des choses. Comme si un lien indéfinissable les unissait.

Deuxième disque chez Cuneiform, le troisième en trois ans, Spectral Music est une plongée dans tout ce qui de près ou de loin a pu influencer les compositeurs Xavier Gélard et Camille Petit : la fusion jazz des années soixante-dix, le minimalisme, le rock progressif, de chambre, la world music… une énumération assez zappa-esque, finalement, qui se décline en diverses proportions selon les compositions. Ainsi, sur « Parapente », on retrouve le Ghost Rhythms canonique, de même que sur « Spectral Music, 1 » et « Spectral Music, 2 », à savoir ces motifs répétitifs imbriqués joués par chaque instrument, ces contrepoints, ces atmosphères indéfinissablement étranges. On retrouve aussi d’autres éléments distinctifs du groupe, dont cet attrait pour l’exotisme (« Le Mont Marsal » et ses rythmes chaloupés façon bossa nova) ou encore les voix qui parsèment l’album, dont celle de l’énigmatique Wyatt Hopper, présenté comme le « fondateur du RITHM (Research Institute for the Telepathic Hypothesis in Music) » (sic).

Mais l’héritage laissé par les grands de la fusion jazz marque plus nettement ce disque que ses prédécesseurs, par petites touches disséminées mais aussi au grand jour comme sur « L’autre versant » où chaque musicien ou presque trouve son heure de gloire, sur « Thoughtography » où ces références sont drapées dans ce qui pourrait être une majestueuse et épique bande originale de film, enfin sur « Odradek », prog jazz à la Soft Machine aux motifs orientaux, mosaïque aux arabesques mouvantes, chose vivante, colorée mais difficilement définissable, à l’image de cet être décrit par Kafka.

Avec Spectral Music, Ghost Rhythms réussit – encore une fois, serait-on tenté de dire – à proposer un album frais et parfois imprévisible, tout en conservant sa singularité et en affichant sans complexe ses références. Une prouesse qui n’est pas donnée à tout le monde.