Godspeed You! Black Emperor - 'Allelujah! Don't Bend! Ascend!

On a tendance parfois à l’oublier, mais il existe des groupes qui, lorsqu’ils décident de faire un album, ne le font certainement pas pour nous cajoler les pavillons auditifs. Chez ceux-là, la nécessité s’est cristallisée tout à coup en rage créatrice car, quelque part tapie dans l’ombre putride du destin humain, ils ont vu la Bête se déployer. Dès lors, ils se saisissent de leurs attributs de dieux du son et foudroient par leur hargne, tels des divinités d’un autre monde, cette drôle de petite chose bleue et ronde qui flotte, presque ridicule, dans l’espace infini. Ils jouent comme s’ils puisaient l’énergie du big-bang pour la recracher telle quelle sur notre pauvre tête d’animal prétentieux. Vous l’aurez compris, les Canadiens de Godspeed You! Black Emperor font partie de ces formations à la virulence hors norme, qui se jouent des forces surnaturelles, et dont on est toujours impressionnés de constater à quel point ils dominent cette charge exubérante.

Pour porter à nouveau l’estocade, sur ‘Allelujah! Don’t Bend! Ascend (Alléluia ! Ne ployez pas ! Soulevez-vous !), cinquième album du groupe, Godspeed a fait évoluer l’éclat de sa messe noire. Le son y est plus lourd et magnétique que jamais, presque minéral à l’image des deux fois vingt minutes de « Mladic » et « We Drift Like Worried Fire » dont la puissance et la rugosité théâtrale déploient une largeur d’horizon quasi cinématographique que seul semble borner l’infini. ‘Allelujah! Don’t Bend! Ascend en devient un disque monstre qui donne l’impression d’avoir été interprété par tous les suppôts de Satan de l’univers. Depuis « Yeti » d’Amon Düül II, on n’avait peut-être pas entendu un tel spectacle halluciné. D’ailleurs Godspeed You ! Black Emperor ne joue plus du post-rock, ce culte sorcier puisé au fond des âges du krautrock seventies, et désormais dévoyé, lisse, caricaturé. Non, il pratique un genre bien plus dangereux et radical : le chamanisme nucléaire. Tous aux abris !!