Feu ! Chatterton - Palais d'argile
Sorti le: 12/03/2021
Par Chrysostome Ricaud
Label: Caroline France
Site: http://feuchatterton.fr/
On imagine déjà les réactions : « Quoi ? Feu ! Chatterton dans le webzine dit des musiques progressives et inclassables, mais quel rapport ? ». Eh bien justement, il serait dommage que ceux qui s’intéressent à des formes musicales variées et ambitieuses passent à côté d’une telle pépite, alors qu’on pourrait facilement se contenter de ranger ce groupe dans la chanson française sans avoir vraiment pris le temps de l’écouter. Pourtant, depuis leur tout premier EP sorti en 2014, dès le titre d’ouverture ces Parisiens nous faisaient penser à Ange avec l’interprétation théâtrale au chant d’Arthur Teboul et une composition tout en dynamiques et ambiances changeantes (« Côte concorde »).
Avec ce troisième LP intitulé Palais d’argile, Feu ! Chatterton est à deux doigts d’avoir réalisé un chef d’œuvre intemporel. Cela commence avec « Monde nouveau » où Arthur Teboul parvient à évoquer avec poésie le cheminement émotionnel provoqué lorsqu’on prend conscience de l’effondrement de notre civilisation qui est en cours : « Un monde nouveau, on en rêvait tous. Mais que savions-nous faire de nos mains ? Presque rien ». On s’imagine alors que le groupe a écrit un album conceptuel sur l’effondrement, ou encore sur le confinement. En effet, les trois premiers titres évoquent l’emprise du numérique et des écrans sur nous et l’envie d’un autre monde. Fausse piste, puisque suivent deux compositions dont les textes sont des poèmes de William Butler Yeats et Jacques Prévert, destinés à La Grande magie, un film à paraître de Noémie Lvovsky. Si on se retrouve à devoir faire le deuil de l’idée si séduisante d’un concept album sur ce sujet ô combien d’actualité, musicalement Feu ! Chatterton réalise un sans-faute avec ces cinq premiers morceaux, aussi diversifiés que marquants ! « Monde nouveau » et « Compagnons » sont des tubes en puissance, « Cristaux liquides » et « Ecran total » émerveillent par leurs progressions inattendues et « Avant qu’il n’y ait le monde » coche la case de la ballade émouvante.
Après ce départ tonitruant arrive une deuxième désillusion : les huit titres suivants n’ont pas cette même force évidente. Qu’on ne se méprenne pas, on ne trouvera rien de mauvais parmi eux (tout au plus pourra-t-on juger « Panthère » dispensable, qui semble être un enregistrement mémo fait par le chanteur sur son dictaphone le jour où l’idée lui est venue). Mais cette partie de l’album se révèle plus difficilement et demandera des écoutes répétées pour être cernée. On y découvrira alors entre autres « La mer », magnifique texte métaphorique sur les migrants qui meurent en voulant traverser la Méditerranée, habillé d’une musique impressionniste. Ou encore le morceau fleuve « Libre » (10 minutes au compteur), parsemé ça et là de riffs qui laisseraient imaginer un groupe de stoner. Feu ! Chatterton n’a en effet pas peur de prendre le temps de développer ses compositions à travers plusieurs atmosphères comme en témoigne également le final « Laissons filer » d’une durée de 8 minutes.
La dynamique est une des forces majeures du groupe. L’expressivité du chant d’Arthur Teboul est impressionnante, modulant du murmure au cri pour mieux habiter son texte. Sa montée en intensité sur « Ecran total » afin d’exprimer le ras-le-bol d’un peuple asservi est en l’occurrence particulièrement éloquente ! Musicalement, les synthétiseurs sont superbement mis à l’honneur sur certaines sections des morceaux, développant ainsi des modulations aussi entrainantes qu’hypnotisantes. Le fait d’avoir confié la réalisation de l’album à Arnaud Rebotini participe certainement à la grande réussite de ces sonorités électro mises en exergue.
Avec Palais d’argile, Feu ! Chatterton s’impose comme le plus grand groupe de rock français actuel, si tant est qu’on puisse qualifier leur musique de rock. Leur univers mélange savamment l’héritage de la grande chanson à texte, le rock, la pop et l’électro. Si on ne peut s’empêcher de ressentir une légère frustration liée au fait que les trois premiers titres laissaient entrevoir la potentialité d’une œuvre encore plus majestueuse, on reste conquis par cet album qui est sans aucun doute l’un des meilleurs de l’année.