Ring Van Möbius - The Third Majesty

Sorti le: 30/10/2020

Par CHFAB

Label: Apollon Records

Site: https://ringvanmbius.bandcamp.com/

On se souvient du premier album de ce trio scandinave (Norvège for ever!) en 2018, dont les assauts d’orgue Hammond avaient extasié les férus de retro prog, bien que ce Past The Evening Sun n’ait pas totalement convaincu cependant. La faute peut-être à des compositions aux développements parfois un peu convenus, aux citations un peu appuyées, Van Der Graaf Generator en tête, avec parfois aussi un manque d’assurance dans le chant. Toujours est-il que le trio (clavier-basse-batterie) augurait d’un potentiel franchement réjouissant. Voici que débarque donc, en l’année épidémique 2020, leur deuxième album: The Third Majesty. Même menu: une pièce épique s’il en est, suivie de trois autres morceaux de taille sinon raisonnable du moins plus mesurée. Et c’est une véritable baffe!

La pochette semble l’attester d’elle-même, la musique ici abordée se voudra majestueuse, tentaculaire, électronique, grandiloquente et en un mot (enfin deux!) sacrément dingue. D’entrée, la première pièce, donc de résistance, écrase absolument tout sur son passage. Thor Erik Helgesen, principal compositeur, claviériste et chanteur, s’y montre absolument impérial, surpassant son niveau de jeu précédent, laissant rugir son Hammond L100 comme jamais, nous envoyant en pleine face les heures les plus puissantes d’ELP époque Tarkus, c’est dire! Quelle force, quel tellurisme dans le choix des montées et descentes; coups de boutoirs, ruptures, retenues, redémarrages volcaniques, pour cette fois une ambition harmonique réellement du même niveau. Emerson, Van Leer, Lord, Van Der Linden, Argent, Hensley, semblent tous convoqués dans les doigts, les sons et la folie du bonhomme. On n’avait pas entendu quelque chose de ce niveau depuis… 1971 ! A lui seul, ce morceau justifie l’album et rejoint directement la pile sacrée tout en haut de votre armoire. La rythmique est incroyable, et le son 70s est à s’y méprendre. Extraordinaire. La suite est de plus du même niveau, proposant une très magnifique alternance de passages calmes et mystérieux, ou rageurs comme pas possible, usant toujours des plus beaux claviers : Fender Rhodes (ce son si typiquement jazz rock créé et amplifié par un piano à lamelles), Moog bien sûr, avec ses potards modulaires comme sur la pochette (soli acides et déjantés), Clavinet (imitation de clavecin, très prisé dans la funk), Theremin (scie musicale modulée dans l’espace, au moyen d’ondes), enfin cloches tubulaires, pour ne rien oublier, se succéderont avec beaucoup d’à-propos, au service d’une attention de tous les instants, et d’une grande recherche harmonique. Même le chant semble avoir gagné en assurance, évoquant la voix suave de Jarrod Gosling (Regal Worm) dans ses accalmies mais sachant être d’un lyrisme puissant dans les moments appropriés.

Voilà un disque qui vous laisse la mâchoire pantelante dès la première découverte. Il laissera forcément les plus rétifs de marbre, se demandant encore à quoi bon singer le passé, taxant ce parti pris de réactionnaire. Mais le rock progressif est-il vraiment en phase avec notre époque? En quoi l’est-il réellement, par quel métissage est-il passé et depuis combien de temps ne l’est-il plus ? Ils auront bien tort en tous cas, tous ces boudeurs, tant The Third Majesty place haut la barre de l’excellence, invente presque son propre vocabulaire, sa propre démence en tous cas, et sans s’égarer dans le pompiérisme ni la démonstration parfois gênante de ses aînés (pour certains du moins). Bien plus qu’un hommage, ce trio norvégien vient là de pondre un des tous meilleurs disques de ces dernières années, tout bonnement, dans sa catégorie et peut être au-delà. Le chef d’oeuvre n’est certainement pas loin, car quelque chose me dit que le temps lui donnera raison; un disque qui séduit d’emblée, et vieillit très bien, ça ne trompe pas.

Bonne année 2021 !