– Evolution du métal
Intervenants : Jérémy Bernadou, Mathieu Carré, V. Chassat, Jean-Philippe Haas, Jean-Daniel Kleisl, Aleksandr Lézy, Nicolas Soulat
Quand un rédacteur soumet une question en interne, relayé par un autre, et ainsi de suite, ça donne un véritable débat (souvent drôle) dont nous souhaitons partager le point de vue avec notre lectorat. Aujourd’hui, le metal est au centre de toutes les attentions et ça va tacher sévère les enfants !
La question est posée : quelle évolution pour le metal et ses guitares saturées depuis son avènement dans les années quatre-vingt jusqu’à aujourd’hui ? Comment a su muter ce style souvent décrié à tort par les cohortes farouches de la musique populaire de base ? Comment le metal a-t-il réussi à tirer son épingle du jeu ? Le progressif lui a-t-il donné des ailes pour voler aussi haut que l’impétueux Icare ? « Fly, on your way, like an eagle. Fly as high, as the sun… » comme dit la chanson !
Instigateur du présent débat, Jean-Daniel Kleisl soumet sans crier gare une piste à ne pas négliger : « L’un des points importants sur cette évolution depuis les années quatre-vingt concerne davantage les batteurs que les guitaristes. Des musiciens comme Nicko Mc Brain (Iron Maiden) ou Lars Ulrich (Metallica) détenaient un savoir-faire assez ébouriffant pour l’époque. En revanche, ces vieux de la veille se sont vus relayés par l’improbable arrivée de Mike Portnoy (Dream Theater) au début des années quatre-vingt-dix (sa période la plus pertinente) et des batteurs fantasques qu’on peut désormais retrouver au sein de formations neo-hardcore (Botch, Knut, The Dillinger Escape Plan). L’exemple le plus probant reste certainement Dave Lombardo, qui a débuté en frappant chez Slayer pour s’émanciper et s’épanouir chez Fantômas. ».
Effectivement, l’arrivée de Dream Theater a permis au metal de bénéficier d’un nouveau souffle et d’engendrer une multitude d’adeptes indénombrables au fil des ans. Pourtant, comme le souligne Jérémy Bernadou : « On constate depuis peu un déclin de ces formations pour voir apparaître l’influence plus prégnante de groupes expérimentaux tels que Diablo Swing Orchestra et Unexpect. A cela, il est intéressant de revenir sur ce qui constitue le propre du metal progressif : la technique. Les premiers balbutiements notoires proviennent inévitablement par cette volonté de pousser le vice en exécutant des thèmes baroques abracadabrants, à l’instar du Suédois Yngwie J. Malmsteen, puis de l’Italien Luca Turilli (Rhapody of Fire), du Français Patrick Rondat et des Américains Marty Friedman (ex-Megadeth, Cacophony) et Jason Becker (Cacophony). »
Malgré des mélanges toujours plus détonnants avec le temps, il faut néanmoins éviter de mettre les oeufs dans le même panier. Jean-Philippe Haas distingue en outre deux entités : « La première est incarnée par ces groupes obscurs tels que Behold… the Arctopus, Dysrythmia, Canvas Solaris et surtout Watchtower et Spiral Architect qui font clairement le lien entre la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix. Ils représentent à juste titre des musiciens qui jouent pour des musiciens et pour les amateurs de technique instrumentale. La seconde est composée de formations qui ont vu la virtuosité – plus que la démonstration – se développer naturellement, afin d’améliorer la qualité d’écriture et d’ouvrir le champ des possibilités. Les sous-familles que sont le thrash ou encore le death s’en sont appropriés les bienfaits pour se défaire d’un certain minimalisme aux frontières avérées ; ce que n’a pas fait Dream Theater par exemple, en prenant le chemin à contre-sens depuis Metropolis Pt 2 : Scenes from a Memory. En revanche, cette technique (parfois bien futile il faut l’admettre) a tiré du monde vers le haut et en cela, c’est une bonne chose. Les groupes de metal, quel que soit leur genre, sont à présent techniquement plus crédibles qu’auparavant. Attention toutefois de ne pas systématiquement les affubler du terme progressif, car ce n’est certainement pas au nombre de breaks ou de mesure asymétriques qu’on peut juger de leur appartenance à ce courant. »
Notre énigmatique photographe V.Chassat soumet une donnée intéressante et non des moindres : « Il ne faut pas oublier qu’il existe une profusion de ces groupes cités et de leurs émules dont le succès tient en partie à la communication et à l’image qui les entourent. Le rock et le metal ne sont-elles pas des musiques à la mode depuis quelques temps ? D’ailleurs, n’étaient-elles pas à leurs débuts contestataires ? Il est toutefois évident que tout est technique et que le niveau de perfection ne cesse de s’élever vers des cimes ardues, dont certains amateurs se perdent en chemin. Par ailleurs, on constate le développement d’écoles de musiques modernes en France, telle que le MAI de Nancy. La technique n’est cependant pas une fin en soi, elle permet une expression sûrement plus aboutie avec un travail sur les harmonies, les rythmes, les structures de morceaux, etc. Il est néanmoins regrettable de remarquer qu’elle manque parfois cruellement de sens à force de jouer sur la démonstration. On peut rapprocher cette idée d’un John Petrucci (Dream Theater) qui travaille son instrument comme ses biceps. Pourtant, le sport n’est pas un art. Zidane n’est ni un philosophe, ni un artiste [NdlR : fameux !]. A force, ça use et ça n’en devient que moins captivant. »
Entre démonstration et remise en question, il existe à n’en point douter un gouffre souvent vertigineux. Aleksandr Lézy insiste sur le fait que « les groupes de death metal qui ont quelque part toujours prôné la technique et la brutalité n’ont pas pour autant changé les structures de leurs compositions pour la plupart. La technique en est désormais une caractéristique, elle fait partie intégrante du style musical qu’ils interprètent au détriment d’une brutalité toujours plus affirmée. D’un point de vue plus globale, la technique n’est plus celle maniée par les groupes de metal progressif des années quatre-vingt-dix qui exécutaient à tout bout de champ des tirades pour épater la galerie. Elle est effectivement naturelle aujourd’hui, car les musiciens en herbe apprennent à étudier leur instrument dès leur plus tendre enfance et leurs modèles ont subsitué les Jimi Hendrix et autres Frank Zappa et consorts. Il faut toutefois nuancer le propos et faire la distinction entre technicité et complexité. »
Evidemment à rentrer dans les profondeurs d’un tel débat, les idées soumises activent les stimuli de Nicolas Soulat qui précise que « la technique n’est qu’un dopant. Elle permet d’atteindre des contrées et d’en faciliter l’accès par un certain labeur. En somme, le pouvoir de la technique à bon escient réside dans l’effet de surprise et la capacité que la musique possède à nous sortir des sentiers battus. Rien de pire que de prévoir ce qu’on va écouter, autant passer au morceau suivant. La technicité est une aide notable mais la meilleure recette reste la mobilité, l’alternance et les rebondissements. Trop de technique tue la technique, trop de simplicité crée l’ennui. Le dynamisme n’est-elle pas l’essence même de la vie ? »
Fort juste, la technique est forcément présente mais elle doit se manifester telle une force sage à employer pour les expérimentations musicales les plus folles et artistiquement recherchées. Idée que Mathieu Carré, spécialiste es-jazz, cadre sous un autre angle : « D’une part, on commence à parler technique – au sens presque scientifique du terme – lorsque nous n’avons rien à dire de subjectif sur la musique en elle-même et ce qu’elle éveille en nous. D’autre part, l’envie de bouger, de crier, le chaos, se ressentent toutefois grâce à la technique, évidemment, puisqu’on parle de capacité à générer. Plus le musicien est doué, plus il aura la possibilité d’atteindre ses objectifs. Quand bien même il s’avère ou non un monstre de dextérité ou de maîtrise, il touchera l’essentiel juste par le biais de sa voix ou d’une flûte en bois. C’est à la fois réjouissant et injuste même si tout est lié. Ce qui est sûr, c’est que si la musique est sublime, alors on oublie de discuter technique. Avez-vous vu à la télévision cette Ecossaise venue chanter en Angleterre ? Personne n’a parlé technique vocale car il n’était question que d’émotion. Il est néanmoins fort à parier qu’il devait y avoir beaucoup de travail en amont. Elle a juste réussi à le faire oublier. »
Laissons nos fins limiers conclure que « désormais, le metal, technique ou pas, a fini par s’introduire dans des genres dans lequels la technique était déjà présente comme le math rock (Protest the Hero). La technique n’est plus la recherche du « shred », elle tend désormais à un travail parallèle sur les structures, une « complexation » de second plan qui met en valeur l’ensemble et les ambiances (Tool) » dixit Jérémy Bernadou. « Qu’on assiste par ailleurs et dorénavant à une remise en cause des méthodes d’enregistrement et de production plus acoustiques et recherchées, des prises live pour un rendu plus organique et vivant. » ajoute V.Chassat. Les derniers mots de Mathieu Carré pour un final savoureux et de toute beauté : « Le metal, ainsi que d’autres genres aux nombreuses petites niches, possèdent chacun leurs codes, leurs héros locaux, et cela encourage trop souvent malheureusement la comparaison, l’escalade technique, la compétition inutile, quitte à en oublier l’essentiel. C’est ainsi que s’est auto-détruit le jazz rock. »