– Nosfell
FOCUS : NOSFELL
Labyala Nosfell est une personnalité étrange et attachante, dotée d’une créativité tous azimuts. Depuis 2005, il arpente les scènes de l’hexagone avec un succès toujours croissant, couronné par une prestation avec orchestre à la Cité de la Musique de Paris. Sans chercher à expliquer son univers, ni même à le pénétrer tant l’ensemble est profondément personnel et le risque grand d’écrire des énormités, Progressia tente d’en dessiner les contours, pour espérer donner envie de s’y attarder un peu. Nosfell. Un nom qui charrie derrière lui une saveur de fantasmagorie inspirée et de folie contrôlée. L’homme reste, dans une large mesure, un mystère. Les rares informations ayant filtré font état d’un jeune homme de trente ans, grandi en banlieue nord de Paris, élevé au free jazz, à la world, au hip hop et au gros rock qui tâche. De ces multiples influences et d’une passion pour les langues (il aurait effectué un cursus universitaire en langues orientales), Nosfell a extrait le suc d’une langue inconnue, le Klokobetz, et un univers musical et poétique sans égal. Ses albums content l’histoire d’un monde, Klokochazia, véritable univers fantastique, peuplé de créatures étranges et de sons éclectiques. Labyala Nosfell ne souhaite pas en dire davantage sur Klokochazia. D’une part, parce que cet univers est un jardin secret, dont il dit qu’il renvoie à une histoire personnelle douloureuse (c’est sans doute à cette aune qu’il faut interpréter le sens donné au pseudonyme Nosfell : « Celui qui marche et qui guérit »). D’autre part, parce qu’il refuse que ce monde imaginaire devienne un simple artefact détournant l’attention du public et focalisant celle de médias prompts à se saisir d’une particularité pour y réduire, sans doute par commodité une identité complexe. Un peu déroutant au premier abord, ce mystère laisse finalement à chacun la liberté de projeter en Klokochazia son univers intérieur et ainsi de s’approprier plus entièrement le monde de Nosfell. De ce monde émerge donc d’abord une langue, le Klokobetz. Loin de constituer un obstacle à la compréhension de l’univers de Nosfell, elle ouvre une porte au rêve. Ses sonorités orientales et exotiques sont éminemment suggestives, donnent naissance à des mondes et des images, et les modulations permanentes qu’y apporte le chant ouvrent les vannes de l’imagination. Klokochazia, finalement, est sans doute protéiforme, selon ce que chaque auditeur y projette. Et si chaque texte a un sens pour son auteur, qui dit d’ailleurs écrire d’abord en français, avant d’en traduire certains passages, chacun garde la liberté de le recréer. C’est avant tout sur scène que le monde d’art total de Nosfell se révèle entièrement. Car, plus encore que sur disque, l’homme joue de sa voix, qu’il module, du grave à l’aigu, du lugubre à l’onirique. Commencée en un gémissement, chaque phrase peut s’achever sur un hurlement ou sur une longue mélopée. Le timbre est clair et épuré, parfois proche de celui d’un Jeff Buckley, mais Nosfell semble pouvoir faire ce qu’il veut de sa voix, qu’il met en scène comme un véritable instrument. Il la modèle, la triture, la sample, construit avec elle des boucles, avale le micro, y éructe des vocal beatboxes d’une énergie intense, etc. Mais si sur scène Nosfell chante, crie ou pleure, il n’est pas qu’une voix. Son corps tout entier participe du spectacle. Sa fine silhouette, tout de noir vêtue ou torse nu, arborant des tatouages que l’on croirait parfois vivants, s’entrelace, danse, ondule, fait et défait des figures alambiquées, évoquant animaux et personnages fantastiques. La vie s’empare et secoue la moindre parcelle de ce corps devenu objet graphique, dont les mouvements suggèrent plus qu’ils n’illustrent, personnages, animaux, rôles et émotions. Les jeux de lumière, souvent savamment étudiés, mettent en scène ce corps de danseur, dans une esthétique sensuelle proche de celle d’un ballet. Le succès de Nosfell est exponentiel, et l’on retrouve l’homme dans les pages de la presse nationale, dans la liste des lauréats potentiels des victoires de la musique (2006) ou sur des scènes prestigieuses comme celle de la Cité de la Musique (2007). Et tout ceci en l’espace de deux albums et d’un DVD. Le premier disque, Pomaïe Klokochazia balek, sorti en 2005, posait les bases d’un style déjà bien affirmé. Entièrement écrit par Nosfell, il narre l’histoire de plusieurs personnages, tous entre ruptures et trahisons. Autoproduit et autodistribué dans un premier temps, une licence avec V2 lui permet une meilleure exposition, et l’album remporte un certain succès. Folk étrange, lignes mélodiques ésotériques, voix cristalline et polymorphe, sabir étrange et inspiration extraterrestre : les principaux ingrédients du style Nosfell sont déjà présents, et séduisent. Tant et si bien qu’après plusieurs dizaines de concerts, cet album est réédité sous le titre Oklamindalofan, agrémenté de sa version live filmée. C’est à ce moment que prend racine celui qui devient peu à peu le complice indéfectible et indissociable, le violoncelliste Pierre Le Bourgeois. Sa patte musicale se porte sur les arrangements et apporte à la musique de Nosfell de nouveaux timbres et de nouvelles couleurs. C’est sur Kälin Bla Lemsnit Dünfel Labyanit, sorti en 2006, quelques mois après le DVD, que le duo prend toute sa dimension, avec une écriture en commun. Le propos y est plus complexe, la démarche plus directe et plus radicale (notamment du fait de la présence, en tant qu’invité sur deux titres, du saxophoniste Peter Corser, très porté sur le free jazz). Nosfell y chante parfois en français, et c’est une réussite. Si le climat est sombre, parfois brutal, il n’est jamais oppressant, et les respirations sont toujours préservées. Sur ce second album, une dimension visuelle vient s’ajouter, incarnée par les œuvres de la plasticienne israélienne Michal Zari. Etonnamment, alors que celle-ci a réalisé l’ensemble des visuels de l’album (une représentation animale et torturée de Nosfell) sans en avoir entendu une note puisqu’elle a travaillé à partir du DVD live seulement, l’univers visuel qu’elle propose s’insère à merveille dans le propos musical, autant qu’il vient l’enrichir et le compléter. Le phénomène musical Nosfell ne cesse de prendre de l’ampleur. Dernière manifestation en date qui puisse en témoigner, le spectacle du 27 novembre dernier à la cité de la Musique. Pour l’occasion, le duo Nosfell / Pierre Le Bourgeois s’était entouré d’un véritable orchestre (deux quintettes à cordes, un piano, une harpe, des bois et des cuivres, deux percussionnistes), d’un petit chœur, d’un danseur et d’une conception visuelle poussée, jouant sur les lumières, les contrastes et les ombres. Ce spectacle, unique, intitulé Le Lac aux Vélies, présentait une aventure parallèle à l’histoire des deux premiers albums, mettant en scène les origines de l’un de ses personnages, le terrible Günel. D’un morceau à l’autre, le conte de Nosfell promène une salle comble et fascinée autour du Lac. Les arrangements orchestraux sont magnifiques, donnant une dimension toute autre aux morceaux sélectionnés, et l’on se dit que la musique, pour prendre toute sa dimension, a besoin de cet effectif et de cette emphase. Elle est faite pour sonner en « grand format » et se révèle véritablement à cette occasion. D’ailleurs, le public ne s’y trompe pas : après une courte heure et demie de spectacle, une salle debout ovationne la trentaine de musiciens présents pendant un bon quart d’heure. Il est à espérer que ce spectacle pourra être redonné, ou qu’à tout le moins une trace vidéo en sera laissée : c’est l’occasion idéale de découvrir la musique de Nosfell, dotée d’une grandeur épique qui la magnifie et qui offre au conte de Nosfell une dimension incroyable. Quoi qu’il en soit, le meilleur est sans aucun doute encore à venir ! Fanny Layani site web : http://labyala.nosfell.free.fr |