– Le prog dans ses petits souliers (verts)
Dans les diverses contrées abritant le rock progressif, il en est une dont on parle malheureusement bien peu et qui a su pourtant se forger une identité propre. Coup d’horizon sur la Belle Province du continent nord-américain, l’occasion de se laisser guider par l’un de ses représentants en la personne de Denis Jalbert, guitariste du groupe Hamadryad, originaire de Montréal.
Hormis les mélomanes les plus érudits, il est fort probable que peu connaissent ce titre mémorable de la non moins fameuse Lynda Lemay, « Les souliers verts » (sans doute un hommage à peine voilé aux « Petits souliers » du regretté Felix Leclerc), une « sublime » mais dispensable chanson d’amour dans laquelle il est question d’une fille célibataire un peu nunuche qui se fait plaquer avant même de s’être envoyée en l’air…
Ce thème immortel est d’ailleurs repris par quatre-vingt-dix-huit pour cent des textes produits par la scène québécoise aujourd’hui et qui évoquent en outre dépression nerveuse, questionnements amoureux, ou encore tel impétrant(e) perdant sa maman suite à d’atroces souffrances au fond d’une clinique oubliée du Golfe de Terre Neuve, et qui buvait du thé avec des gâteaux à la cannelle devant une bonne série américaine à la télévision ; tout cela bien évidemment interprété avec la capacité vocale d’un F16. Les deux pour cent restants correspondent eux à… du rock progressif.
Une jolie descente aux Enfers pour un genre qui dans les années soixante-dix, et cela dans le monde entier, reste LA musique populaire par excellence, avec des ventes pharaoniques de disques qui s’écoulent sans retenue. Parmi cette offre gargantuesque, le Québec se révèle être un outsider très convaincant qui sait tirer assez clairement son épingle du jeu, avec des racines remontant notamment à Robert Charlebois et son album Lindberg (1968), certes éloigné des canons officiels du progressif, mais sachant se démarquer dans cette période où le psychédélisme bat son plein.
A l’époque, ce jeune homme fringuant de vingt-deux ans s’entoure de l’orchestre de jazz libre du Québec et reprend des thèmes classiques de la poésie canadienne. L’introduction de « Lindberg », chanté avec Louise Forestier, alterne bruitages, sons extra-terrestres, chœurs et sonorités en arrière-fond imitant cet instrument qu’est le mellotron. Le public assiste alors à un dépassement du classique trio guitare / basse / batterie et à une mise en avant des claviers (un peu à la manière d’un Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles), qui sont autant d’ingrédients propres à la culture progressive.
Naturellement, cette référence est un simple pied de nez mais démontre que l’influence prog et psychédélique est alors capable d’insuffler un vent de renouveau dans la direction artistique de jeunes musiciens qui, quelques années plus tard, s’affirment autant dans leur pays qu’à l’international. Il est à noter par ailleurs que quelques temps auparavant, l’exposition universelle de Montréal en 1967 accueille une jeunesse corsetée dans des principes protestants rigides, qui découvre de nouvelles techniques et surtout de nouveaux instruments, lasse de la variété (déjà) que la radio propose sans retenue.
L’émulation créatrice dans le sillage de Robert Charlebois et de cet événement mondial voit dès lors la naissance de Dionysos qui propose un rock progressif fortement empreint de couleurs jazz-rock de l’époque (The Nice et King Crimson). Un embryon qui instaure une musique davantage axée sur cette mouvance que la grandiloquence des Emerson, Lake & Palmer et autres Pink Floyd. D’autres groupes voient le jour entre 1969 et 1975 tels que Offenbach, Contraction ou Octobre et dont les albums, désormais très difficiles à trouver, s’agitent eux aussi dans la même atmosphère jazz vaguement intellectuelle.
C’est en 1975 que l’inflexion se met en place et que l’école québécoise bétonne ses fondations, avec des disques tels que Et si on avait besoin d’une cinquième saison du groupe Harmonium, mené par Serge Fiori (rien à voir avec l’autre). Un album qui doit aujourd’hui figurer en bonne place dans toutes les discographies des ex-hippies sexagénaires, un des classiques obligatoires à posséder, une des pierres angulaires du mouvement progressif, au même titre que les chefs d’œuvre de Genesis, Yes et consorts. Voilà un groupe qui tape dans le rock classique instrumental avec une pièce finalement assez courte, mais qui bouleverse le paysage musical.
L’épique « Histoire sans parole » devient avec le temps un morceau d’anthologie, à la fois champêtre et mélancolique, qui fleure bon le patchouli et les substances plus ou moins licites. Un an plus tard, la formation canadienne récidive avec L’Heptade, une suite présentée sous la forme d’un double-album plus complexe, sans doute moins réussie artistiquement et plus coûteuse en terme de production, mais qui permet à Harmonium de s’élever au rang des « Classic Prog », avec une tournée à la clé en compagnie de Supertramp en 1977. Or, comme tant d’autres, le groupe ne survivra pas aux années quatre-vingt.
Leurs camarades de promo se nomment eux Pollen, Et Cetera, Conventum, l’Engoulevent, Maneige, Opus 5 ou Aquarelle. Les quelques extraits disponibles sur la toile montrent une certaine homogénéité artistique à travers toutes ces formations. Pour les amateurs du genre, il existe une anthologie qui reflète à merveille cette époque bénie : L’Ultime – Rock progressif du Québec (Gala, 2009).
Depuis les années quatre-vingt-dix, le Québec tente tant bien que mal, et ce malgré les courants musicaux dominants, de préserver un savoir-faire du rock progressif, sous l’égide notamment du label Unicorn Digital. Il est en outre à signaler l’embauche du chanteur québécois Benoît David par le groupe Yes ; recrutement discuté, sur le dos de l’ex-vocaliste du groupe Jon Anderson, malade et affaibli.
Afin de clore ce panorama, Denis Jalbert, guitariste du groupe Hamadryad et membre actif de la scène progressive canadienne, apporte son point de vue essentiel afin de relever et comprendre les écueils auxquels cette musique s’est graduellement heurtée, et son constat est sans appel : « On parle désormais plus de notre musique en Europe que chez nous. Ici, le prog est mort, les artistes éditent simplement des « boules à mites » (sic) et encaissent du cash ».
Selon lui, seul un petit groupe de gens s’intéresse aujourd’hui à cette musique et la plupart des jeunes artistes ignore tout des grands anciens, entre un mercantilisme souverain et un désintérêt culturel croissant. Son itinéraire musical n’a pas débuté en se prenant d’affection pour les groupes progressifs canadiens traditionnels, mais tout simplement en écoutant les groupes plus classiques qu’étaient les Beatles, Gentle Giant, Genesis ou Kiss…
Le nouvel album d’Hamadryad, Intrusion, regorge d’ailleurs de ces influences. Ces sonorités ne dérangent pas Denis Jalbert outre mesure, qui estime que leur présence est naturelle, et que certains de leurs titres pourraient même avoir un joli potentiel commercial à la condition de pouvoir passer en radio, ce qui s’avère ardu lorsque l’artiste a peu de moyens (« Si tu veux passer sur les ondes, tu payes »). Leur salut se situent davantage chez les webzines, les radios communautaires tous styles confondus et quelques webradios plus confidentielles.
Dans ces propos, Denis Jalbert laisse transparaître une certaine amertume sur les moyens qui existent aujourd’hui pour promouvoir le prog, que beaucoup de gens selon lui confondent avec le jazz ou la fusion, sans trop faire de distinction. Co-producteur de ce dernier album, le guitariste qui peut ainsi l’écouter « de bout en bout sans faire la grimace », peine à s’adresser à un public intéressé et passionné, et attend avec impatience de pouvoir se produire en France aux horizons de 2012 avec un nouveau album, « si tout va bien »…
L’exemple de la peine qu’éprouvent nombre d’artistes progressifs à émerger et à se faire connaître reste probant, cramponnés à un style musical désormais daté et qui lutte pour se renouveler en ce début de millénaire avec son lot de bouleversements artistiques et économiques. Le prog de la Belle Province illustre à merveille une histoire finalement assez banale : après le triomphe et la démesure, après l’expérimentation et l’extase, il aurait fallu changer, s’adapter, ne pas céder à la nostalgie et « aller de l’avant pour ne pas sombrer »… On dirait un titre de Garou.
Hormis les mélomanes les plus érudits, il est fort probable que peu connaissent ce titre mémorable de la non moins fameuse Lynda Lemay, « Les souliers verts » (sans doute un hommage à peine voilé aux « Petits souliers » du regretté Felix Leclerc), une « sublime » mais dispensable chanson d’amour dans laquelle il est question d’une fille célibataire un peu nunuche qui se fait plaquer avant même de s’être envoyée en l’air…
Ce thème immortel est d’ailleurs repris par quatre-vingt-dix-huit pour cent des textes produits par la scène québécoise aujourd’hui et qui évoquent en outre dépression nerveuse, questionnements amoureux, ou encore tel impétrant(e) perdant sa maman suite à d’atroces souffrances au fond d’une clinique oubliée du Golfe de Terre Neuve, et qui buvait du thé avec des gâteaux à la cannelle devant une bonne série américaine à la télévision ; tout cela bien évidemment interprété avec la capacité vocale d’un F16. Les deux pour cent restants correspondent eux à… du rock progressif.
Une jolie descente aux Enfers pour un genre qui dans les années soixante-dix, et cela dans le monde entier, reste LA musique populaire par excellence, avec des ventes pharaoniques de disques qui s’écoulent sans retenue. Parmi cette offre gargantuesque, le Québec se révèle être un outsider très convaincant qui sait tirer assez clairement son épingle du jeu, avec des racines remontant notamment à Robert Charlebois et son album Lindberg (1968), certes éloigné des canons officiels du progressif, mais sachant se démarquer dans cette période où le psychédélisme bat son plein.
A l’époque, ce jeune homme fringuant de vingt-deux ans s’entoure de l’orchestre de jazz libre du Québec et reprend des thèmes classiques de la poésie canadienne. L’introduction de « Lindberg », chanté avec Louise Forestier, alterne bruitages, sons extra-terrestres, chœurs et sonorités en arrière-fond imitant cet instrument qu’est le mellotron. Le public assiste alors à un dépassement du classique trio guitare / basse / batterie et à une mise en avant des claviers (un peu à la manière d’un Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles), qui sont autant d’ingrédients propres à la culture progressive.
Naturellement, cette référence est un simple pied de nez mais démontre que l’influence prog et psychédélique est alors capable d’insuffler un vent de renouveau dans la direction artistique de jeunes musiciens qui, quelques années plus tard, s’affirment autant dans leur pays qu’à l’international. Il est à noter par ailleurs que quelques temps auparavant, l’exposition universelle de Montréal en 1967 accueille une jeunesse corsetée dans des principes protestants rigides, qui découvre de nouvelles techniques et surtout de nouveaux instruments, lasse de la variété (déjà) que la radio propose sans retenue.
L’émulation créatrice dans le sillage de Robert Charlebois et de cet événement mondial voit dès lors la naissance de Dionysos qui propose un rock progressif fortement empreint de couleurs jazz-rock de l’époque (The Nice et King Crimson). Un embryon qui instaure une musique davantage axée sur cette mouvance que la grandiloquence des Emerson, Lake & Palmer et autres Pink Floyd. D’autres groupes voient le jour entre 1969 et 1975 tels que Offenbach, Contraction ou Octobre et dont les albums, désormais très difficiles à trouver, s’agitent eux aussi dans la même atmosphère jazz vaguement intellectuelle.
C’est en 1975 que l’inflexion se met en place et que l’école québécoise bétonne ses fondations, avec des disques tels que Et si on avait besoin d’une cinquième saison du groupe Harmonium, mené par Serge Fiori (rien à voir avec l’autre). Un album qui doit aujourd’hui figurer en bonne place dans toutes les discographies des ex-hippies sexagénaires, un des classiques obligatoires à posséder, une des pierres angulaires du mouvement progressif, au même titre que les chefs d’œuvre de Genesis, Yes et consorts. Voilà un groupe qui tape dans le rock classique instrumental avec une pièce finalement assez courte, mais qui bouleverse le paysage musical.
L’épique « Histoire sans parole » devient avec le temps un morceau d’anthologie, à la fois champêtre et mélancolique, qui fleure bon le patchouli et les substances plus ou moins licites. Un an plus tard, la formation canadienne récidive avec L’Heptade, une suite présentée sous la forme d’un double-album plus complexe, sans doute moins réussie artistiquement et plus coûteuse en terme de production, mais qui permet à Harmonium de s’élever au rang des « Classic Prog », avec une tournée à la clé en compagnie de Supertramp en 1977. Or, comme tant d’autres, le groupe ne survivra pas aux années quatre-vingt.
Leurs camarades de promo se nomment eux Pollen, Et Cetera, Conventum, l’Engoulevent, Maneige, Opus 5 ou Aquarelle. Les quelques extraits disponibles sur la toile montrent une certaine homogénéité artistique à travers toutes ces formations. Pour les amateurs du genre, il existe une anthologie qui reflète à merveille cette époque bénie : L’Ultime – Rock progressif du Québec (Gala, 2009).
Depuis les années quatre-vingt-dix, le Québec tente tant bien que mal, et ce malgré les courants musicaux dominants, de préserver un savoir-faire du rock progressif, sous l’égide notamment du label Unicorn Digital. Il est en outre à signaler l’embauche du chanteur québécois Benoît David par le groupe Yes ; recrutement discuté, sur le dos de l’ex-vocaliste du groupe Jon Anderson, malade et affaibli.
Afin de clore ce panorama, Denis Jalbert, guitariste du groupe Hamadryad et membre actif de la scène progressive canadienne, apporte son point de vue essentiel afin de relever et comprendre les écueils auxquels cette musique s’est graduellement heurtée, et son constat est sans appel : « On parle désormais plus de notre musique en Europe que chez nous. Ici, le prog est mort, les artistes éditent simplement des « boules à mites » (sic) et encaissent du cash ».
Selon lui, seul un petit groupe de gens s’intéresse aujourd’hui à cette musique et la plupart des jeunes artistes ignore tout des grands anciens, entre un mercantilisme souverain et un désintérêt culturel croissant. Son itinéraire musical n’a pas débuté en se prenant d’affection pour les groupes progressifs canadiens traditionnels, mais tout simplement en écoutant les groupes plus classiques qu’étaient les Beatles, Gentle Giant, Genesis ou Kiss…
Le nouvel album d’Hamadryad, Intrusion, regorge d’ailleurs de ces influences. Ces sonorités ne dérangent pas Denis Jalbert outre mesure, qui estime que leur présence est naturelle, et que certains de leurs titres pourraient même avoir un joli potentiel commercial à la condition de pouvoir passer en radio, ce qui s’avère ardu lorsque l’artiste a peu de moyens (« Si tu veux passer sur les ondes, tu payes »). Leur salut se situent davantage chez les webzines, les radios communautaires tous styles confondus et quelques webradios plus confidentielles.
Dans ces propos, Denis Jalbert laisse transparaître une certaine amertume sur les moyens qui existent aujourd’hui pour promouvoir le prog, que beaucoup de gens selon lui confondent avec le jazz ou la fusion, sans trop faire de distinction. Co-producteur de ce dernier album, le guitariste qui peut ainsi l’écouter « de bout en bout sans faire la grimace », peine à s’adresser à un public intéressé et passionné, et attend avec impatience de pouvoir se produire en France aux horizons de 2012 avec un nouveau album, « si tout va bien »…
L’exemple de la peine qu’éprouvent nombre d’artistes progressifs à émerger et à se faire connaître reste probant, cramponnés à un style musical désormais daté et qui lutte pour se renouveler en ce début de millénaire avec son lot de bouleversements artistiques et économiques. Le prog de la Belle Province illustre à merveille une histoire finalement assez banale : après le triomphe et la démesure, après l’expérimentation et l’extase, il aurait fallu changer, s’adapter, ne pas céder à la nostalgie et « aller de l’avant pour ne pas sombrer »… On dirait un titre de Garou.