– Coroner
FOCUS : CORONER
Coroner est un solide trio bâti autour d’un line-up qui restera stable durant toute sa carrière (exception faite de Tom G. Warrior, futur Celtic Frost, sur leur première démo Death Cult). Malgré son talent évident, le groupe composé de Ron Broder (a.k.a. Ron Royce) au chant et à la basse, de Tommy Vetterli (a.k.a. Tommy T. Baron) à la guitare et de Marky Edelmann (a.k.a. Marky Marquis) à la batterie, ne connaîtra jamais la gloire. Même la simple reconnaissance ne leur sera accordée que tardivement. À la sortie de leur troisième album, le gang jouera encore dans un hangar devant seulement quelques connaisseurs. Trop à l’avant-garde et mal soutenus par Noise Records, leur label, Coroner échouera donc à se faire une place au soleil et, désabusé, jettera finalement l’éponge au milieu des années quatre-vingt-dix. C’est de ce genre de destin foiré que les cultes se nourrissent. 1987-1988 _ R.I.P. ~ Punishment for Decadence : L’enfance de l’art Avec R.I.P. et Punishment for Decadence, comme un enfant prédestiné, les premiers hurlements fracassants de Coroner présentent d’emblée un énorme potentiel. Ce qui distingue le groupe de ses autres camarades de l’extrême, c’est son incroyable et étourdissante vélocité technique mise au service d’une recherche d’efficacité rythmique. Pourtant, du point de vue esthétique, il faudra encore attendre jusqu’à No More Color pour que le groupe se singularise définitivement. A moins d’être un fanatique, difficile de ne pas reconnaître que ces albums sont définitivement marqués par d’horribles stigmates eighties. Le son, médiocre, manque d’ampleur et sonne trop heavy, voire terriblement cheap ; et Tommy T. Baron, le guitariste, se cherche inlassablement. Ses riffs endiablés et techniques font mouches, mais ses étonnants soli pèchent par de trop nombreuses forfanteries néoclassiques qui donnent une coloration datée aux compositions. C’est que Yngwie J. Malmsteen et sa clique sont passés par là… 1989 _ No More Color : Pour quelques couleurs de plus Les choses vont vraiment devenir sérieuses avec cet abum. Alors que les vieilles gloires du thrash metal virent leur cuti (Metallica et Megadeth) pour un style plus heavy, Coroner s’affirme avec un son enfin digne de leur effort et un sens toujours plus diabolique de l’efficacité. No More Color c’est trente-quatre petites minutes de déluge. Particulièrement violent, parfois brinquebalant, il se boit dru comme de la gnôle de contrebande. De plus, ce qui n’enlève rien, il finit sa course effrénée avec un « The Last Entertainement » aux vapeurs « moriconniennes » assez inoubliables ! Disque de transition, No More Color a permis d’avoir réveillé quelques consciences. Certains ont compris que, coincé entre les contreforts escarpés des montagnes suisses se nichait un groupe de techno-thrash d’une classe insolente. Franchement, à l’époque, ça manquait un peu. 1991 _ Mental Vortex : Cérébral académie Du pur Coroner, certainement le préféré des fans et ça peut se comprendre. Dans sa forme, dans son expression aussi fauve que reptilienne, cet album est exemplaire. Un vrai bijou à mettre dans le coffre des malfrats du metal extrême. Exit le côté brut et légèrement déglingué de No More Color. Sans peur et sans reproche, ce quatrième album rentre définitivement dans la cour des grands. La production s’est encore une fois améliorée. Les ambiances sont davantage variées, les interludes, tout en peaufinant la noblesse du style, introduisent ce qu’il faut de respirations avant de nous plonger dans les eaux noires et agitées du Styx « coronarien ». Au-dessus de tous les autres titres domine l’éblouissant « Son of Lilith ». Dans la catégorie « coup-de-poing », c’est l’une des meilleures compositions jamais pondue par un groupe de metal. La pratique rythmique délivre ici une véritable leçon. Dans une gangue au tempo moyen, magnifiquement jouée par Marky Marquis, la pulsation qu’impose la guitare de Tommy T. Baron est absolument diabolique. Un cœur d’Aurox. Quand au solo, amené avec un sens incroyable des préliminaires, c’est à l’instar d’un Thor qui fendrait le ciel de sa foudre. Une claque. Coroner se serait arrêté là que le culte voué à ces damnés helvétiques aurait été le même. 1993 _ Grin : Frère sourire ou le rictus qui tue C’est la dernière marche, et pour certains, la plus haute. Mental Vortex est imparable, soit. Alors, plutôt que d’en reproduire une copie, même dans une brillante digression, facilité à laquelle beaucoup auraient eu recours, les Coroner décident de faire aussi bien que par le passé mais autrement, en emrpuntant une autre direction et tant quà faire, de s’élever au dessus de leurs camarades musiciens. Ce genre d’attitude, ça vous classe un groupe. Tout en conservant soigneusement les qualités intrinsèques de leur style, le power trio suisse choisit d’allier sophistication et simplicité. Presque impossible à concevoir sur le papier, voire contradictoire, Grin concrétise bel et bien une forme de perfection. C’est peut de le dire. Beaucoup ne comprendront pas. Pour d’autres, en revanche, ce culot finira par installer définitivement Coroner dans leur panthéon personnel. Avec une pochette aussi signigicative, tout est dit. Le sourire inquiétant du masque contient toute la rage et l’ironie de l’album. Il y a également ce quelque chose d’étrange, presque ethnique, hors du temps, qui reflète bien la beauté primitive de Grin. D’ailleurs, le premier titre « Dream Path » donne le ton en lançant le disque sur une longue vibration vite épousée par des rythmes tribaux. La fête sauvage s’annonce. De nature totalement différente sur Mental Vortex, sa production époustouflante reste un élément indissociable de sa réussite, en gagnant en mise en scène et en profondeur ; ce qu’elle perd volontairement en hargne parfois trop paillarde. Plus sèche mais d’une grande limpidité, elle arrive parfaitement à mettre en valeur le jeu brillant des musiciens. Sa pertinence culmine d’ailleurs sur le formidable « Serpent Moves » qui résume toutes les qualités de cet album. Tempo médium en avant — tempérament plutôt inédit chez ces adeptes du speed — il démontre toute la remarquable créativité et s’achève même en disloquant les canons par un long épilogue répétitif du meilleur effet. D’une modernité totalement assumée, i>Grin est un magnifique chef d’œuvre, d’un goût sûr, qui conserve aujourd’hui encore tout son fiel et sa fièvre. Avec Meshuggah et, dans une moindre mesure Voivod, il est question ici d’exhumer l’exemple parfait d’un groupe qui a su sortir de son ghetto d’origine. Comme quoi, en musique, il n’y a pas de mauvais genres mais peu de grands artistes. Christophe Manhès site web : Coroner |