Steven Wilson – Invasion à domicile
Steven Wilson est venu à Paris présenter Home Invasion, la vidéo du concert du Royal Albert Hall. Nous étions présents et en avons profité pour mener une interview « jusqu’à l’os » !
Lundi 1er octobre, Steven Wilson est venu à Paris présenter Home Invasion, la vidéo du concert du Royal Albert Hall, qui sort le 2 novembre prochain. Nous étions présents et en avons profité pour mener une interview « jusqu’à l’os » lors de laquelle il a notamment évoqué ses influences jazz, sa nouvelle popularité en France, et la direction musicale de son prochain album studio.
Par Thierry de Haro et Chrysostome Ricaud
Sur les deux dernières tournées, lorsqu’on te demandait si tu allais sortir un DVD tu disais que ce n’était pas quelque chose que tu recherchais particulièrement. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Pourquoi sortir le DVD alors que la tournée est encore en cours ?
Steven Wilson : Tu as tout à fait raison, j’ai toujours été assez réticent. Notamment parce que je trouve qu’il est assez difficile de capturer l’ambiance, la magie, la sensation d’être à un concert sur petit écran. Et vous remarquerez que sur le DVD, j’encourage le réalisateur à utiliser des techniques cinématographiques. Il y a beaucoup de ralentis, des images qui se superposent, du flou artistique, des nuances de gris… Tout cela pour essayer d’en faire une expérience un peu plus proche du spectacle qui est lui-même, à mon sens, très cinématographique. Mais cette fois-ci je pense qu’il y avait un certain nombre de raisons. Premièrement le spectacle de To the Bone est particulièrement important pour moi. J’ai énormément travaillé pour le créer : toute la pré-production, les nouveaux films, l’écran holographique, les danseuses sur scène. Et deuxièmement, ce n’était pas à mon initiative mais celle d’Eagle Rock. Ils m’ont contacté et m’ont dit qu’ils adoreraient faire un DVD. Je n’étais pas sûr d’en avoir envie. Parce qu’être filmé me rajoutait de la pression. Particulièrement en jouant dans ma ville, à Londres. Toute ma famille et mes amis sont là. Alors la dernière chose dont j’ai besoin c’est de pression supplémentaire. Mais je pense qu’une des choses qui m’a aidé c’est qu’on jouait trois soirs de suite dans la même salle, ce qui fait qu’au troisième soir j’étais assez détendu. J’avais intégré les sensations de la salle et développé une bonne dynamique avec le public. Tous ces éléments combinés m’ont fait me dire que c’était probablement le bon moment pour le faire. Et je pense toujours que c’est mieux de voir le spectacle en live. Pour répondre à la deuxième partie de ta question, lorsque nous avons commencé à faire le DVD, nous n’avions pas planifié ces nouvelles dates. Je pensais qu’à présent la tournée serait terminée. Mais on m’a proposé de prolonger la tournée, notamment parce qu’elle a eu beaucoup de succès. Mais je me dis que c’est peut-être une bonne chose parce que le DVD va d’une certaine manière faire de la pub pour le spectacle.
Si on s’en tient aux dates annoncées, la tournée To the Bone se termine en février. De nouvelles dates seront-elles rajoutées à la tournée ?
J’espère que non, parce que je suis en train de travailler sur le prochain album et ma tête est déjà à l’étape suivante. Je pense que d’ici la fin février j’en aurai assez. Je suis vraiment très fier du spectacle, j’y ai travaillé dur, et je trouve ça super que d’ici à la fin février on l’aura présenté autour de 150 fois, qu’il ait eu une longue vie. Mais j’ai envie de passer à quelque chose de nouveau.
Quelle sera la direction artistique du nouvel album ?
C’est encore tôt. C’est très différent de tout ce que j’ai pu faire auparavant. Sur mes disques précédents il y avait toujours d’une certaine manière un côté nostalgique. Par exemple To the Bone se réfère à la pop intellectuelle des années 80 avec laquelle j’ai grandi. L’album d’avant était un hommage à la musique rock conceptuelle des années 70. J’ai envie de faire un disque totalement actuel. Et je ne peux pas vous l’expliquer plus que ça. Vous pouvez vous faire votre propre idée de ce que cela veut dire. Ça ne veut pas dire que je vais subitement faire un album de dance électronique si c’est à ça que vous pensez. Mais j’ai envie que ça sonne comme si ça ne pouvait exister qu’à notre époque. Et je suis vraiment ravi de ce que j’ai produit jusqu’à présent. Ça va être encore différent, mais pas moins ambitieux. Je crois que certaines personnes pensent que je vais faire un album rempli de « Permanating », mais ce n’est pas du tout la direction que je poursuis. Je suis connu pour faire des albums de rock conceptuels, et ça, ça ne va pas changer, mais j’ai envie de faire quelque chose qui est totalement dans la technologie moderne. Le vocabulaire musical que j’ai utilisé par le passé (Mellotrons, orgues Hammond) faisait référence à des époques révolues. Cette fois je n’utilise que des sons très contemporains. Je ne sais pas encore trop ce que ça va donner mais je suis très emballé par ce que j’ai fait pour l’instant.
L’enregistrement vidéo du concert était dirigé par James Russell. Était-ce la première fois que tu travaillais avec lui et en quoi son approche est-elle différente de celle de Lasse Hoile avec qui tu as l’habitude de travailler ?
Lasse est incroyable. Il son univers propre, très reconnaissable. Quoi qu’il filme il en dégage l’aspect surréaliste. On me voit comme quelqu’un de très sombre, mélancolique, et une bonne partie de mon univers l’est. Mais je pense que si vous regardez le DVD Home Invasion, ce qu’il s’en dégage c’est plus la célébration du spectacle. Il y a ce sentiment de joie, un sentiment auquel on ne m’associe pas d’habitude. C’est quelque chose que James a su capter. La vision de Lasse aurait probablement été beaucoup plus tordue ! (rires) Ça aurait été incroyable aussi, mais c’était intéressant d’avoir quelqu’un qui ne connaissait pas trop ma musique pour travailler sur le film. Du coup il a approché ça du point de vue de quelqu’un qui avait vu le spectacle et qui voulait capter ce sentiment de joie, l’énergie et la magie, et je trouve qu’il a vraiment fait ça de manière admirable.
Est-ce toi ou Eagle Rock qui a choisi James Russell ?
Je ne le connaissais pas. Il a été proposé par Eagle Rock. Je dois vous dire une chose qui était différente cette fois, pour moi qui ai l’habitude de tout contrôler. Quand je recrute Lasse par exemple, je le connais, je peux l’orienter, je sais ce qu’il va faire. Cette fois c’était un peu un pas dans l’inconnu pour moi. Car je faisais confiance tout au long du processus à des gens que je ne connaissais pas, je n’avais jamais travaillé avec eux, mais ils me semblaient très professionnels et je suis ravi du résultat final.
James Russell est habitué à filmer des shows immenses, comme Coldplay par exemple. Pour la captation au Royal Albert Hall vous aviez des Louma…
Oui. Je crois que c’était un élément clé pour moi, de savoir que ces gens-là avaient l’habitude de capter ces énormes et spectaculaires expériences multimédia. Donc si Lasse avait fait plus attention aux petits détails, une main sur un clavier, James était plus à dire « filmons ce spectacle, cette salle incroyable, le public ». C’est très différent et d’une certaine manière ça en fait une expérience d’autant plus dynamique.
Au Royal Albert Hall, les setlists du premier et dernier soir étaient à peu près équivalentes (deux titres de plus le dernier soir). Mais le deuxième soir était fondamentalement différent avec trois sets dont un acoustique avec pas mal de morceaux de Porcupine Tree, et un consacré essentiellement à Hand Cannot Erase. Ce deuxième concert au Royal Albert Hall a-t-il été enregistré et peut-on espérer qu’il sorte un jour ?
Le deuxième soir n’a pas été filmé. Il a été enregistré et une face du vinyle de Home Invasionest consacrée au set acoustique. Je n’y ai d’ailleurs pas joué que du Porcupine Tree, j’ai aussi fait des chansons de Blackfield ce soir-là. D’ailleurs pour moi ce sont toutes des chansons de Steven Wilson. C’est drôle, des fois on me dit « Oh ! Tu as fait une chanson de Porcupine Tree ce soir » mais moi je ne m’en rends pas compte. Pour moi ce sont juste mes chansons. Je ne les pense pas comme « Ah ça, c’est une chanson de Porcupine Tree; ça, c’est une chanson de Steven Wilson; ça, c’est une chanson de Blackfield… », j’ai juste choisi des chansons que j’avais envie de jouer. Pour revenir à ta question, je me dis qu’on peut arriver à saturation, même des bonnes choses. Le film du concert dure déjà 2h30, puis il y a encore une demi-heure de bonus. Trois heures de musique ! Je pense que ça suffit. C’est beaucoup de travail.
Sur le DVD vous jouez toutes les chansons de l’album To the Bone sauf la chanson titre. Et de manière générale, sur la tournée, vous ne la jouez que très rarement. Y a-t-il une raison à cela ?
Elle ne marchait pas aussi bien que je l’aurais espéré. Je ne pense pas que c’était mauvais mais je ne me suis jamais senti totalement à l’aise avec cette chanson en concert. En studio c’est un titre très produit, il se passe beaucoup de choses, c’est très cinématographique. Elle ne semblait pas marcher aussi bien dans le contexte plus dépouillé d’un concert live. On l’a jouée quelques fois, principalement quand on devait varier le spectacle, par exemple quand on est venu une deuxième fois à l’Olympia. On la fait de temps en temps. Parfois certaines chansons fonctionnent à merveille en studio mais pour des raisons qui m’échappent ne marchent pas aussi bien en live. Ça ne m’est pas arrivé souvent mais il y a quelques chansons dont j’étais très fier sur disque et qui, pour je ne sais quelle raison, ne marchent tout simplement pas en live. Et l’inverse est vrai aussi. Parfois pour certaines chansons qui sont plutôt bien en studio mais sans avoir atteint tout leur potentiel, soudainement en concert elles prennent plus d’épaisseur et deviennent meilleures.
As-tu un exemple de ça ?
(il réfléchit) Pas tout à fait, mais pour la chanson « Song of I »bien que je sois super fier de la version studio, elle prend encore une toute autre dimension en concert ! Tout monte d’un cran !
En parlant de « Song of I », lors de précédentes interviews, tu as dit que la maison de disques t’avait proposé Sophie Hunger pour le duo que tu voulais faire avec une voix féminine, donc j’imagine que tu ne la connaissais pas avant. As-tu essayé d’écouter sa musique depuis ?
Oui bien sûr. J’ai son nouveau disque qui est superbe ! C’est une grande artiste. Je ne la connaissais pas avant car elle n’est pas très connue en Angleterre. Mais quand je vais en Allemagne ou en France je me rends compte qu’elle est beaucoup plus connue. Elle est suisse-allemande, du coup elle marche bien dans les pays francophones et germanophones. Donc effectivement je ne la connaissais pas du tout avant cette collaboration mais je suis maintenant authentiquement un fan !
Tu imaginerais collaborer à nouveau avec elle dans le futur ?
Tout à fait, je pourrais, oui. Une des choses que j’aime dans le fait d’avoir une carrière solo c’est la possibilité de pouvoir travailler avec des personnes différentes à chaque fois. Je pourrais travailler avec Sophie à nouveau, ou Ninet, ou essayer de collaborer avec quelqu’un d’autre. C’est un plaisir de pouvoir se dire « Alors j’ai toutes ces chansons, qui pourrais-je choisir… ». Et j’ai eu beaucoup de chance d’avoir pu collaborer avec des artistes aussi incroyables. J’adorerais travailler à nouveau avec Sophie.
Nick Beggs et Adam Holzmann jouent avec toi depuis la première tournée tandis que les batteurs et les guitaristes ont changé de nombreuses fois. Qu’est-ce qui explique la longévité de Nick et Adam dans ton groupe ?
Ils me sont très fidèles ! En tant qu’artiste solo je dois m’attendre à ce que les musiciens que je veux ne soient pas toujours disponibles, car ils tournent aussi avec d’autres musiciens. Adam et Nick, qu’ils soient bénis, et je pense notamment du fait qu’ils se sentent très proches de ma musique, ont toujours priorisé mes tournées. Nick aurait tout aussi bien pu partir en tournée avec Steve Hackett ou d’autres, mais non, il a décliné pour rester avec moi. D’un autre côté, d’autres musiciens ont priorisé autre chose. Maintenant écoutez, quand Dave Kilminster reçoit une invitation de Roger Waters, je ne m’attends pas à ce qu’il lui dise non. D’autant plus qu’il jouait avec Roger bien avant de jouer avec moi. Donc je ne lui en veux pas, et je comprends tout à fait que je ne dois pas m’attendre à ce que les mêmes musiciens soient toujours disponibles. J’ai beaucoup de chance avec Nick et Adam et c’est formidable de les avoir.
Depuis plusieurs années tu tournes majoritairement dans des salles assises, mais tu dis souvent au public que tu préférerais les voir debout. Qui décide de la configuration de la salle ?
Je me bats souvent avec mon agent et les divers promoteurs. Je pense que le spectacle que j’ai est dans un entre deux où le choix d’être assis ou debout n’est pas très clair. C’est du rock conceptuel, donc il se passe beaucoup de choses visuellement et je comprends l’idée que ça fasse sens de le présenter dans un beau théâtre avec places assises pour que les gens puissent s’immerger et tout observer. Mais en même temps c’est un spectacle rock’n’roll, c’est pop. On est assez dynamiques sur scène, on bouge beaucoup, il y a des sections très rock sur lesquelles on a envie de bouger, de danser. La salle parfaite est celle qui propose les deux, assis et debout.
Sur les premières tournées de ta carrière solo tu jouais dans cette configuration mixte idéale (au Trianon notamment)…
Je sais. Mais sur la tournée que je m’apprête à faire ça va changer, je vais faire beaucoup de salles debout. Je pense que la tournée To the Bone a changé la manière dont mon agent voit les choses car sur les dernières tournées, du fait que les albums étaient plus conceptuels, ça faisait plus de sens de jouer dans des théâtres. Avec To the Bone parfois j’étais sur scène et je me disais que ce n’était pas adapté. Je joue « Permanating », « Song of I », c’est un non-sens que le public soit assis !
Quand tu introduis « Permanating » en concert, tu te lances systématiquement dans un long plaidoyer en faveur de la musique pop. Ressens-tu le besoin de justifier cette chanson auprès de tes fans ?
Moins maintenant. Quand l’album est sorti je pensais qu’elle provoquerait plus de réactions négatives. Je suis ravi que la plupart de mes fans l’aient adoptée. Habituellement c’est la chanson où le public réagit le plus en concert, ce qui me fait dire qu’au bout du compte, tout le monde peut apprécier une chanson pop accrocheuse. Si c’est une chanson pop classieuse, à la manière de Michael Jackson, Depeche Mode, Prince, Bowie, les Beatles ou Abba, alors c’est dur de résister. Je vois toujours quelques personnes dans le public, chaque soir, qui en détestent chaque minute. Il y a eu un type un soir, je ne me souviens plus si c’était en Roumanie ou en Turquie, qui était au premier rang et qui m’a tourné le dos quand j’ai joué cette chanson ! Et je me suis dit que ce n’était pas mon problème, mais le sien. Je pense qu’au début je ressentais le besoin, pas tellement de la justifier, mais de rappeler au public que je n’ai jamais dit que j’étais un artiste générique. Je n’ai jamais dit que j’étais un artiste de rock progressif, de métal progressif ou de classic rock, d’autres personnes me disaient que c’est ce que j’étais. Mais depuis mes premières années avec No-Man, je l’ai toujours affirmé : il y a toujours eu une forte sensibilité pop, de l’ambient, du singer-songwriter, du jazz, du métal. Il y a toujours eu tout ça. La dance, le groove, en grandissant avec la collection de disques de ma mère, les Bee Gees, Donna Summers, ça a toujours été une grande partie de moi. Donc je pense que les gens qui se sont sentis offensés par « Permanating », qui représentent une toute petite minorité, mais bien sûr ce sont toujours ceux qui font le plus de bruit, sont ceux qui avaient décidé que j’étais un artiste générique et m’ont mis dans une petite boîte et ils étaient contents que j’y sois. Et je crois que j’ai ressenti le besoin de rappeler à ces gens-là que je n’ai jamais dit que j’étais dans cette boîte, je n’ai jamais voulu y être. Je pense que la plupart des gens comprennent ça, même ceux qui étaient sceptiques au début. Une chose étonnante c’est que quand tu utilises le mot pop avec des gens qui écoutent essentiellement du classic rock, ils y voient une connotation très négative car ils pensent à Justin Bieber, ils ne pensent pas au Beatles qui est pourtant le groupe de musique pop par excellence. Donc c’est juste pour rappeler aux gens que la pop est cette merveilleuse tradition qui remonte à il y a 50, 60 ans et finalement beaucoup de la musique que vous aimez c’est de la pop, alors n’en ayez pas peur. Pour le DVD je fais une version courte, mais comme vous le savez si vous m’avez vu en concert je peux en parler pendant 10, 15 minutes. C’est devenu une partie intégrante du spectacle, un moment que j’apprécie.
Ton dernier album couvre des sujets plus politiques qu’auparavant. Qui plus est, à l’Olympia, en juillet, tu as dit que le monde irait mieux si tout le monde était végétarien et s’il n’y avait pas de religions. Y a-t-il une véritable volonté de te déplacer sur un champ plus politique de ta part ? Penses-tu que tu as un message à faire passer ?
Je ne pense pas que je ferai de la politique avec un P majuscule, mais sur des sujets qui sont importants pour moi… Pendant des années j’ai fait attention à ne pas prêcher auprès du public. Une chose qui me dérange chez Bono et Bruce Springsteen c’est qu’ils disent aux gens pour qui ils doivent voter, je n’aime pas ça. Mais nous vivons une époque très perturbée, et ce n’est même pas que j’en ai envie, mais j’ai le sentiment que je suis au moins censé tenir une sorte de miroir en disant voilà qui je suis, je suis végétarien, je considère que c’est mal de tuer des animaux. Je considère qu’ils ont tout autant le droit de vivre sur cette planète que nous. Nous ne faisons pas partie de la chaîne alimentaire quand bien même ce fut le cas dans un passé lointain. Nous n’avons aucun droit de manger les animaux. J’ai envie de dire ça, puis laisser le public se faire sa propre opinion. Donc je ne dis pas aux gens qu’ils devraient devenir végétariens, mais j’essaie de les faire sentir un peu coupables s’ils ne le sont pas. Et je pense que je ne chercherai pas à aller plus loin. C’est la même chose avec les religions, je trouve ça très inquiétant. La persistance de la religion au XXIème siècle me laisse perplexe, particulièrement aux États-Unis. C’est toujours un pays très religieux et ça fait partie du problème du pays. Ils croient toujours aux contes de fées. Et si tu crois aux contes de fées, tu finis avec des gens comme Donald Trump qui dirigent le pays. Je suis en train de prendre position politiquement là, qu’y puis-je ? Je crois que quand on vit dans un monde comme celui d’aujourd’hui, il est difficile de continuer à se taire complètement sur ces sujets. Évidemment j’ai une opinion, je ne m’attends pas à ce que tout le monde soit d’accord avec moi, mais tous les autres semblent exprimer leurs opinions alors pourquoi pas moi ?
To the Bone marche très bien en France. Tu passes désormais à la radio et à la télévision. Peux-tu nous dire comment tu vis cette évolution de dieu du prog à celui d’artiste plus grand public ? As-tu le même succès dans d’autres pays ?
Je ne me suis jamais considéré comme un artiste prog. Je comprends tout à fait pourquoi certains me voient comme ça et je sais qu’il y a beaucoup de cette tradition dans ma musique, c’est une évidence. Prog ça ne veut rien dire. Je préfère appeler ça de la musique rock conceptuelle plutôt que du rock progressif. Ça au moins ça veut dire quelque chose, l’idée de raconter des histoires à travers la musique. J’accepte que ça fasse partie de ma musique. Une chose intéressante concernant la France c’est que du fait que jusqu’à présent ce pays a tardé à découvrir ma musique, d’une certaine manière ça a joué en ma faveur pour To the Bone . Parce que les gens des stations de radio n’avaient pas d’idées préconçues sur moi, contrairement au Royaume-Uni et en Allemagne où c’est un problème, car là-bas les stations de radio me voient comme le gars qui fait du rock prog. Par exemple Olivier (NDLR Olivier Garnier, qui s’occupe de la promotion de Steven Wilson en France) proposait « Permanating » aux stations de radio et pour eux c’était juste une bonne chanson pop d’un artiste dont ils n’avaient jamais entendu parler. Ça marche bien dans d’autres pays mais le plus grand changement a eu lieu en France.
Dans ta précédente interview pour Chromatique, tu nous disais que tu n’avais pas de hit single que tu dois jouer à tous les shows. Est-ce que tu penses que ça a changé avec la popularité et la diffusion radio de « Permanating »?
(rires) Peut-être… J’adore la jouer. Elle m’a ouvert quelques portes. Mais je ne pense toujours pas avoir de chanson classique comme « Purple Rain » ou « Roxanne », une chanson que tout le monde connaît. Je pense que je peux toujours me permettre de faire un concert sans la jouer. Mais c’est une problématique agréable que d’avoir une chanson que tout le monde veut entendre. Soyons honnête, « Permanating »n’est pas encore un tube énorme.
Issus des sessions de Hand Cannot Erase, tu avais quelques titres en plus qui sont ensuite sortis sur 4 ½. Existe-t-il des titres en plus des sessions de To The Bone, et si oui as-tu prévu de les sortir sur un EP comme tu l’as souvent fait tout au long de ta carrière ?
Non, pas cette fois-ci. Je n’ai pas assez de chansons pour ça. Les quelques chansons inutilisées se sont retrouvées sur le CD bonus de l’édition spéciale et sur un 45 tours. Et il y a aussi quelques chansons que j’avais commencées sur lesquelles je travaille maintenant pour mon prochain album. J’essaie toujours de faire quelques chose entre les albums, il y a eu 4 ½, l’EP Drive Home . Cette fois ci c’est le DVD du concert qui consistera en ma sortie entre deux albums.
Il y a un plus d’un an, Aviv Geffen nous confiait sa joie de retravailler avec toi, mais aussi ton implication dans le 5ème album de Blackfield. Un nouvel album est-il à l’étude et si tu penses y collaborer, sous quelle forme l’envisages-tu ?
Oui, Aviv écrit des chansons. Il y a quelques années j’ai dit à Aviv que je ne pourrai pas écrire de la musique pour Blackfield et ma carrière solo. Mais si j’écris une chanson qui me semble parfaite pour Blackfield mais pas tellement adaptée pour ma carrière solo, c’est super ! Et c’est arrivé pour une chanson du dernier album (« From 44 to 48 »). En général, Aviv écrit 95% des titres. Mais je suis toujours très content d’aider à la production, de jouer et de chanter. C’était d’ailleurs plus ou moins le concept originel de Blackfield. Ça devait être ses chansons chantées, produites et amenées à un public international par moi. Aviv a signé chez un gros label, il est chez Warner Brothers maintenant. Le prochain album sera le premier de Blackfield sur une major. Donc il travaille dur sur de nouvelles chansons en ce moment, et j’en ai entendu quelques-unes et elles sont vraiment excellentes ! J’imagine que la situation sera la même que sur l’album précédent. Peut-être qu’il y aura une de mes chansons sur l’album, peut-être pas. Si la bonne chanson surgit, qu’elle paraît adaptée pour Blackfield alors oui. Sinon ce sera ses chansons mais avec notre son.
Pendant les 26 premières années de ta carrière, ton visage n’est jamais apparu sur les pochettes d’album. Depuis la sortie de Transcience en 2015, il semble que ton visage soit maintenant sur toutes tes sorties. Peux-tu nous expliquer ce qui a motivé un tel changement ?
Je me suis posé cette question. Il y a deux choses. Je pense d’une part que la musique que je fais maintenant est plus personnelle que jamais. Du coup je me cache moins derrière ces murs de couches conceptuelles qu’auparavant. D’autre part, honnêtement, je voulais m’éloigner de ce truc avec le rock progressif qui veut que la personnalité ne soit pas mise en avant. Et quand j’y réfléchis, tous les artistes que j’adore ont de très fortes personnalités : Prince, Bowie, Neil Young, Kate Bush… Il y avait toujours leur photo sur la pochette; leur musique et leur personnalité sont indissociables. À une exception près, Pink Floyd a été un groupe très important pour moi et ils ont toujours eu cette sorte d’anonymat. Je pense que c’est quelque chose d’important dans le monde de la pop et du rock, ce culte de la personnalité. Parmi les exceptions il y a les Floyd et Radiohead et toute cette branche de musique rock très intellectuelle. Et j’avais le sentiment que ce n’était pas à ça que je voulais appartenir. Une autre chose avec ces groupes, c’est que quand ils sont interviewés ils ne disent pas grand-chose… En fait ce n’est pas vrai pour Roger Waters (rires). Mais de manière général ce sont le genre de personnes qui préfèrent laisser la musique parler à leur place. Vous vous rendez compte en m’interviewant que j’ai beaucoup de choses à dire ! J’aime être non seulement la voix de la musique mais aussi la voix derrière la musique. J’ai une opinion sur plein de sujets, je pense que j’ai une personnalité forte et j’ai fini par m’avouer que je voulais afficher ma personnalité et ce à quoi je ressemble. J’ai une image très reconnaissable avec les lunettes. Et j’ai discuté de ça avec Lasse au tout début de To the Bone . On s’est dit ok, trouvons un moyen de présenter ce disque avec une image de moi comme motif central. Et je pense que ça a marché. On en parlait précédemment avec le succès en France par exemple. Ça rend la musique plus accessible si on voit la personne qui l’a faite.
Sur Grace For Drowning tu laissais ressortir tes influences jazz. Écoutes-tu toujours du jazz, et si oui peux-tu nous citer tes références ?
C’est très spécifique : j’adore le jazz entre 1969 et 1975, c’est l’âge d’or pour moi. Et pas que le jazz, mais la fusion entre le rock et le jazz durant ces années là était vraiment importante. Il y a des groupes pour lesquels on ne sait pas trop dire si c’est un groupe de rock ou un groupe de jazz, comme le Mahavishnu Orchestra, Magma, Miles Davis, Alice Coltrane. J’adore les premiers disques de fusion. C’était une influence importante sur Grace For Drowning et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai recruté Adam Holzmann, parce qu’il avait joué avec Miles. Est-ce que j’écoute encore cette musique ? Oui. Ce n’est plus tellement présent dans ma musique sur mes derniers disques. Je pense que la sensibilité pop et le songwriting ont pris les devants sur l’improvisation, mais ça pourrait très bien changer.
Et écoutes-tu des artistes actuels ?
J’adore un groupe australien qui s’appelle The Next (NDLR : après écoute on est tombé sur un groupe de Hard FM à la Bon Jovi, Steven aurait-il confondu avec un autre groupe ?). J’aime ce que fait Kamasi Washington, même si ça sonne rétro et qu’à choisir je préfère réécouter Alice Coltrane et Sun Ra. Mais ce que j’adore c’est qu’avec ce qu’il fait il atteint un public très large, et en soit c’est incroyable, donc je lui tire mon chapeau !
Le cocktail qui a suivi aura été l’occasion de continuer à échanger avec Steven sur divers sujets. Il nous a notamment évoqué son souhait de collaborer sur l’album à venir avec David Kosten, producteur de Bat for Lashes et Everything Everything, groupes qu’il nous recommande chaudement. On y aura aussi appris que le DVD est nominé pour les UK Music Video Awards en compétition avec Arcade Fire, Arctic Monkeys, Biffy Clyro, MGMT et Royal Blood, ce qui le réjouit, même s’il estime que ses chances de l’emporter face à une telle concurrence sont faibles. Verdict le 25 octobre.