Karnivool – Asymétrie parisienne (2)

C’est avec une certaine impatience que nous attendions le retour de Karnivool dans l’Hexagone, quelques mois après leur présence au Sonisphere. Auteur d’un Asymmetry excellent, le gang de Perth sillonne les routes du monde entier. C’est dans le confort cosy du tour bus du groupe que Chromatique s’est entretenu avec Drew Goddard, avant un concert mémorable dans une Boule Noire qui affiche complet pour la soirée. Morceaux choisis.

Chromatique : Dans quel état d’esprit se trouve-t-on au moment de plancher sur le successeur d’un disque majeur comme Sound Awake, reconnu dans le monde entier ? Les attentes sont grandes, non ?
Drew Goddard
: Déjà, c’est un plaisir de revenir en France après notre passage en juin dernier à l’occasion du Sonisphere. Pour être franc, la question ne s’est pas posée. Nous étions conscients du succès de Sound Awake et savons qu’il nous a ouvert pas mal de portes, notamment à l’international. Les premières bribes de nouveau matériel ont vu le jour peu de temps après la tournée qui a servi à promouvoir l’album. Le premier morceau composé était « The Refusal » dont les origines remontent à notre dernier passage à Paris. On avait en tête de faire un titre un peu réac’ inspiré de la Révolution française (Sourires), imprégné de cette volonté d’insoumission. De là, le reste a suivi.

L’évolution musicale est quand-même marquée dans votre discographie. Au fil des albums, vous avez accentué le côté progressif de votre musique. Quels sont les groupes à l’origine de ce changement ? Il faut reconnaître que vous êtes désormais aux antipodes de Themata
Il y a une évolution, c’est certain. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’album s’appelle Asymmetry. Elle est réelle sur ce disque par bien des aspects, qu’ils soient sonores ou rythmiques. Le groupe Converge est un peu à l’origine de cette évolution. Ils font plutôt dans le Hard-Core mais ont un sens du riff assez féroce (Rires) ! Des formations de Post-Rock ont également participé à ce virage, notamment Sigur Ros ou encore Explosions In The Sky.

Nous décrirais-tu une séance de travail chez Karnivool ? On sait qu’aux débuts du groupe tu fournissais tous les morceaux. Aujourd’hui, peut-on parler d’un travail de groupe ou utilisez-vous toujours le même mode opératoire ?
Il n’y a pas de mode opératoire à proprement parler. Les temps ont changé. Nous sommes effectivement plus dans l’esprit d’un travail en commun où chacun apporte ses idées que nous arrangeons ensuite. Ça part d’un riff ou d’une structure rythmique autour de laquelle on « brode » pour en arriver à un titre ciselé et peaufiné. De la même manière pour les textes, on se retrouve des fois à trouver le titre du morceau avant d’avoir écrit les textes.

Y a-t-il du matériel inédit ou des chutes de studio des sessions d’Asymmetry ?
Oui, notamment un titre, qui s’appelle « Listen », très atmosphérique, écrit en acoustique. Mais pour être franc, je ne pense pas que nous utiliserons ces chutes. Je suis partisan du renouveau total et de partir de zéro pour commencer à plancher sur un nouveau disque. Ça amène des idées fraîches et donne une meilleure base de travail. Cela dit, pour Sound Awake nous avons repris des chutes qui sont devenues des titres comme « Nachash », « Eidolon ».

Pourquoi avoir fait appel à Nick Di Dia, alors que jusqu’à présent, c’était Forrester Savell qui était derrière la console ? Sentiez-vous le besoin de faire un grand pas en avant, nécessitant ainsi un changement de producteur ?
Je ne vois pas ce changement comme une envie de faire un grand pas en avant. Je pense qu’on avait foncièrement envie d’avoir quelque chose de différent. Nous nous étions installés dans une sorte de confort. Themata est ce qu’il est. Je ne pourrai jamais enregistrer de nouveau un album à la manière de Themata. J’adore ce disque, mais il est à des années lumière de ce que nous sommes aujourd’hui. Sound Awake est déjà un peu plus représentatif de Karnivool. Pour Asymmetry nous voulions un son plus cru et live. C’est pour cela que nous avons choisi Nick Di Dia. Nous l’avions rencontré pendant une tournée à Byron Bay. Il venait de s’installer en Australie et l’idée d’enregistrer à Byron Bay me titillait grandement.

Crois-tu à cette tendance du producteur à la mode, très en vogue dans les années quatre-vingt dix ?
Je ne crois pas que l’idée soit obsolète, c’est juste moins marquant aujourd’hui que ça ne l’était par le passé. Cependant, je pense qu’il y a un malentendu sur le terme de producteur. Pour moi, ce qu’on appelle producteur est un ingénieur du son, une personne à laquelle nous faisons part de nos idées et qui les magnifie. Pour ma part, j’ai des idées bien précises quant à la manière dont doit sonner notre musique. Je dois avouer que la collaboration avec Nick ne fut pas si facile que ça. Non pas qu’on se soit mis dessus mais nos personnalités sont très … comment dire, marquées ! On a appris à se connaître et au bout du compte, tout s’est bien passé. J’ai lâché la bride pendant l’enregistrement et lors du mixage. C’était très enrichissant. Je pense qu’à l’avenir je m’essaierai également à la production.

Nick a-t-il été impliqué dans l’écriture ou les arrangements de l’album ?
Oui, il a fait quelques coupes sèches qui se sont avérées judicieuses, notamment sur « The Refusal » et « Aeons » pour lesquels on tournait franchement en rond. Rien que pour celui-ci, nous avons passé une semaine entière à le façonner, le ciseler et l’arranger ! Une semaine !

Y a t-il un titre sur Asymmetry auquel tu es plus attaché que les autres ?
Réfléchissant. Je pense que « Sky Machine » remporte la palme. Ce morceau semble très apprécié de nos fans, et j’en suis ravi ; tu n’as pas idées des migraines que ce titre nous a occasionnées. Composer « Sky Machine », c’est une chose. Mais l’interpréter ensemble, compte tenu du fait que nous l’avons enregistré de manière séparée… c’est un sacré défi ! Avec « The Refusal » ce sont les premiers titres sur lesquels nous avons planché au moment d’attaquer Asymmetry et paradoxalement « Sky Machine » est le dernier que nous avons terminé. Me comprends-tu, maintenant, quand je te dis qu’il occupe une place particulière (Rires) ?

Difficile à imaginer tant le titre est à la fois fluide et aérien…
C’est justement la que réside la contradiction… On l’a retourné dans tous les sens, permuté les structures… J’ai passé des nuits dessus pour essayer de le rendre plus fluide. Un vrai combat. Cela dit, il plante un peu le décor à la fois de par son titre et par la notion de construction autour de cette machine !

On ne cesse d’évoquer Tool quand on parle de Karnivool…
Ca ne peut que me faire plaisir. Des disques comme Opiate, Ænima, Lateralus m’ont marqué. J’ai lâché l’affaire avec 10.000 Days. Tool est un de mes groupes cultes. Ils ont eu un impact sur la scène progressive et font partie des pierres angulaires du genre.

Puisqu’on évoque le sujet, ils enregistrent actuellement leur nouvel album à l’ancienne : pas d’ordinateurs, que des bandes. Tu vois Karnivool faire ça à l’avenir ?
Je ne savais pas. C’est ambitieux. Je pense que nous pourrions le faire, j’adorerais essayer. Le fait d’être limité sur le plan technologique peut s’avérer une bonne chose car d’un point de vue créatif cela permet de revenir à l’essentiel. Radiohead l’a fait avec Kid A. J’ai grandi avec des groupes comme Nirvana et la scène grunge et il n’y avait pas d’ordinateurs à l’époque. Les démos étaient enregistrées live. On a commencé comme ça, mais dès Themata, nous avons utilisé Pro Tools

Il semblerait que les critiques vis à vis d’Asymmetry soient plutôt positives, tu confirmes ?
Globalement Il y a effectivement un retour assez positif. Mais bon, je ne vais pas te mentir, on s’est également fait défoncer avec ce disque. Et, crois-moi, nos détracteurs n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Après, je suis conscient qu’on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais le fait de jouer ce soir dans une salle comble prouve que, quand même, des gens ont aimé le disque (Sourire).

Pour beaucoup, Cog est le père spirituel de la scène progressive australienne, le groupe qui a initié de nombreuses vocations. Depuis son hiatus et de l’avis général des amateurs australiens, Karnivool et Dead Letter Circus semblent aujourd’hui être considérés comme les chefs de file du mouvement progressif national, au point de voir un vrai vivier de formations progressives se développer. Quel est ton ressenti et comment vois-tu la position de Karnivool ?
Cog est effectivement une des raisons pour laquelle la scène progressive australienne est devenue si florissante. Où serions-nous et surtout, que serions-nous sans Cog ? Probablement pas ici à bavarder ensemble. Avant leur succès, ce style de musique était amené à rester confidentiel. Il fallait soit se tourner vers Melbourne, soit s’installer en Europe. Le fait que Tool soit venu remplir des stades en Australie a forcément marqué les esprits. Il est vrai que depuis le retrait de Cog, la place était vacante. Quant à Dead Letter Circus, ce sont des amis. A vrai dire, si on revient en Europe et qu’on peut les embarquer avec nous, on ne se privera pas (Ndlr : Amen). Pour ce qui est de notre position en tant que leader, je suis mal placé pour parler. Certes, nous tournons beaucoup y compris en dehors de l’Australie, ce qui est déjà une très grande satisfaction en soi. C’est un palier de franchi et nous en sommes fiers.

Historiquement, l’Australie a vu naître des groupes qui ont très bien marché en dehors de vos frontières. Citons Midnight Oil, INXS, Men At Work. Bien que musicalement différents ils ont établi un certain degré de qualité avant de laisser la place à d’autres comme Silverchair par exemple. On pourrait également mentionner The Baby Animals ou The Living End à l’échelle nationale. Vue de l’extérieur, la scène progressive australienne semble très active avec de nombreuses formations comme Karnivool, Dead Letter Circus, Cog et beaucoup d’autres. Différentes raisons peuvent expliquer leur émergence : Lucius Borich parle de cycles en musique. D’après Luke Williams de DLC, l’éloignement géographique et les longs trajets pour les concerts sont une source de travail et de persévérance qui collent aux musiciens australiens. Quelle est ta théorie là dessus ? Une radio comme Triple J a-t-elle contribué à ce regain d’intérêt ?
Je rejoins Lucius. Pour moi, c’est une question de cycles. Il n’y a qu’à voir par exemple le retour au premier plan de groupes influencés par la NWOBHM. C’est assez impressionnant de voir le regain d’intérêt pour le rock dans un pays comme l’Australie. J’insiste là-dessus, parce que le pays est grand mais peu peuplé (vingt millions d’habitants). Il y a effectivement des formations de Rock qui nous ont fait rêver : AC/DC, Rose Tattoo, Cold Chisel, Airbourne, The Living End, The Angels… Et même si Karnivool en est musicalement éloigné, ils ont tout notre respect. J’ai une petite anecdote : je croise souvent des gens qui me disent : « Comment pouvez-vous écrire des titres aussi sombres et tristes alors que vous vivez dans un pays où le soleil est omniprésent ?! » (Rires). C’est comme ça mon ami, je n’y peux rien ! Pour Triple J, effectivement il faut les saluer, même s’ils s’y sont pris assez tard (Rires) Ils sont soudainement devenus experts en la matière ! Une fois qu’ils ont commencé à diffuser Cog sur leurs ondes, la révolution s’est mise en marche. Dead Letter Circus a suivi.

Quels Australiens nous recommanderais-tu ?
Circles, ils sont juste excellents, tout comme Sleep Parade, qui vient de sortir son nouvel album. J’aime beaucoup Sleepmakeswaves, 65daysofstatic, Echotide et Tangled Thoughts Of Leaving. Ce sont des formations de Post-Rock qui dégagent une telle puissance sur scène, ils sont hallucinants. Je citerai également Twelve Foot Ninja qui commence à se faire un nom un peu partout dans le monde…

Certains membres de Karnivool officient dans des projets parallèles. Pour ta part, tu as joué dans un coverband de Nirvana. Le projet existe-t-il toujours ?
(Rires) Ha ! Tu es bien renseigné ! Non, c’était un one shot. C’était vraiment un truc entre copains. Rien de comparable avec Birds Of Tokyo dans lequel chante Ian.

Un dernier mot avant de monter sur scène ?
C’est parti pour être une bonne soirée, le concert de ce soir est complet ! Alors que dire de plus, à part merci au public français ? J’ai vu passer votre chronique et, de ce que j’en ai compris, elle avait l’air plutôt bonne (Sourire). Je vous remercie au nom de Karnivool pour votre soutien.