Porcupine Tree – Porcupine Tree
Origine : Royaume-Uni
Style : Rock progressif moderne
Formé en : 1987
Line-up :
Steven Wilson – Chant, guitare
Richard Barbieri – Claviers
Colin Edwin – Basse
Gavin Harrison – Batterie
Dernier album : Deadwing (2005)
Steven Wilson est un habitué des colonnes de Progressia. Quelques mois seulement après notre dernière rencontre, nous avons profité du second passage de la tournéeDeadwing pour questionner l’Anglais sur le futur de Porcupine Tree ainsi que sur ses nombreux projets parallèles. Force est de constater que Wilson, déjà très loquace d’accoutumée, devient intarissable lorsqu’on le lance sur ce dernier sujet !
Progressia : Cette année vous avez énormément tourné pour promouvoir Deadwing, tout comme vous l’aviez fait pour In Absentia. Est-ce un rythme qui vous convient et vous satisfait, ou bien qui commence à vous fatiguer ?
Steven Wilson :(rires) C’est un rythme très fatigant. Mais le fait de voyager, jouer et aller à la rencontre d’autres personnes en soi n’est pas fatigant, c’est le reste qui l’est : passer des heures sur la route, vivre dans un car… Cette année, nous avons vécu six ou sept mois dans un car, une douzaine de gars ensemble… Ce n’est pas très agréable, et nos familles nous manquent. Mais nous ne sommes pas fatigués de donner des concerts, et nous ne serions pas à nouveau en tournée si nous n’étions pas enthousiastes à l’idée de présenter notre musique sur scène. De plus le public est de plus en plus nombreux, ce qui est génial.
Et penses-tu que tourner à un rythme aussi soutenu soit la meilleure manière de promouvoir votre musique ?
Ce n’est pas forcément la meilleure manière, mais c’est la seule que nous ayons. Aucune radio ne passe nos disques, on ne passe pas à la télévision, et il n’y a pas tant de gens que ça qui écrivent des articles à notre sujet. A mon avis, la presse parle peu de nous car nous ne faisons pas une musique standard. Si nous étions un groupe de metal pur et dur, ce serait plus simple. Mais nous combinons metal, progressif, pop, ambient… Comme notre musique n’est pas facile à classer, nous ne correspondons pas vraiment à la cible visée par tel ou tel magazine. Les tournées sont donc la seule façon que nous ayons de promouvoir le groupe. Nous fonctionnons ainsi depuis de nombreuses années, au bouche-à-oreille : la première fois que tu joues dans une ville cinq personnes viennent te voir, la fois suivante ils en ont parlé à leurs amis et cinquante personnes viennent, la fois d’après ils sont trois cent… C’est la meilleure manière que nous ayons trouvé pour nous faire connaître.
Vous n’attendiez pas une promotion plus importante de la part de Warner, lorsque vous avez signé chez eux ?
Si, nous l’espérions. (rires) Ils l’ont fait dans quelques pays, mais au final nous en sommes revenus à notre vieille méthode, continuer à faire de la bonne musique et à tourner. Nous avons parlé de notre musique partout où nous le pouvions, nous avons essayé d’obtenir des passages radio, mais nous ne sommes pas un groupe mainstream et ne l’avons jamais été. Tourner est donc notre seule manière d’atteindre un nouveau public.
Vous avez filmé et enregistré deux concerts de votre récente tournée américaine, en vue d’un DVD. Etes-vous satisfait de ces concerts et de la manière dont ils ont été filmés ?
Nous avons enregistré deux concerts à Chicago, pour lesquels nous avons joué deux sets totalement différents. Le premier soir reprenait le set de notre tournée actuelle, qui est très différent de celui de la tournée précédente. Le second soir, nous avons joué la programmation du printemps dernier. Nous sommes très contents de la tournée actuelle, donc je pense que le DVD sera plutôt axé sue le premier soir. C’était très stressant. C’est toujours le cas quand on sait que ce que l’on joue va être immortalisé. C’est très difficile de ne pas y penser, on se dit en permanence qu’il faut que ce soit bon, et en général, le seul résultat est de se mettre la pression, et au final, ce n’est pas meilleur mais pire ! C’est ce que j’appelle « l’angoisse de la lumière rouge » : dès que la lumière rouge s’allume, tu commences à paniquer. Il y a un peu de ça pendant l’enregistrement. Mais nous avons regardé et écouté les bandes, et je pense que cela fera un très bon DVD.
N’était-il pas question d’inclure également un documentaire au DVD ?
Si, et c’est toujours prévu. Nous avons commencé à tourner ce documentaire au moment de l’enregistrement d’In Absentia en 2002. Nous avons trois ou quatre heures de film, l’idée est de les monter afin d’obtenir une sorte d’historique des dernières années.
Y a-t-il d’autres contenus qui pourraient apparaître sur le DVD ?
Le concert sera la partie principale du DVD, et sera mixé en 5.1 et en stéréo. Je pense que nous utiliserons également la technologie multi-angles, afin que le spectateur puisse regarder uniquement les projections de fond de scène s’il le souhaite. Je pense que c’est une bonne idée, car Lasse Hoile, l’auteur de ces films fait un travail formidable. On pourra également se servir du multi-angles d’autres manières, pour avoir plusieurs vues différentes de la scène…
Comptez-vous proposer l’ensemble du concert en multi-angles ?
Cela dépendra de la capacité du DVD, mais on en mettra autant que possible. On utilise huit ou neuf films pour nos concerts, ce serait bien que les spectateurs puissent les visionner en plein écran. Pour cette tournée, nous avons un nouveau film pendant le morceau « The Start Of Something Beautiful », que je considère comme une magnifique œuvre d’art. (NdR : une très belle vidéo en effet, qui met en scène des pantins désarticulés dans l’esprit des clips de Tool) J’aimerais que les spectateurs puissent le visionner à part, avec la musique du groupe mais sans les images de scène.
Quand espérez-vous sortir ce DVD ?
Au printemps, en avril ou mai.
En concert, vous jouez très peu de vieux morceaux. Est-ce un choix artistique consistant à mettre en valeur et promouvoir les albums récents, ou y a-t-il d’autres raisons à cela ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, car les raisons sont nombreuses. C’est tout d’abord une question pratique : répéter les nouveaux morceaux nous prend trop de temps pour que nous puissions nous permettre d’y ajouter d’anciens titres. De plus, les nouveaux morceaux sont de plus en plus difficiles à jouer et à reproduire sur scène, ils nécessitent donc beaucoup de temps et de travail.
Mais il y a également une question de contexte. Par exemple sur la tournée précédente, nous avons joué « Burning Sky », un titre extrait d’Up The Downstair. Il ne s’intégrait pas très bien aux morceaux plus récents, on aurait presque dit que c’était un autre groupe qui jouait. Certains vieux titres s’adaptent bien au répertoire actuel du groupe, mais d’autres non.
Enfin, nous sommes plus enthousiastes à l’idée de jouer nos nouveaux morceaux. Il y a beaucoup de vieux titres que l’on a usé jusqu’à la corde et que l’on n’a plus vraiment envie de jouer maintenant. Cela dit, je pense que ça va changer, et que dans le futur, on intègrera plus de titres anciens à nos concerts. Mais pour l’instant, nous préférons jouer des titres des deux derniers disques.
Afin de les adapter au contexte, ne pourriez-vous pas réarranger vos anciens morceaux, comme vous l’aviez fait pour « Fadeaway » ?
Nous pourrions le faire en effet, si nous avions le temps. Pour tout vous dire, nous avons ressorti un très vieux morceau pour cette tournée, et comme vous l’entendrez ce soir cela fonctionne bien.
Ce ne serait pas « Radioactive Toy », par hasard ?
(rires) Ce titre s’adapte bien à notre répertoire actuel grâce à son riff lourd, et à sa simplicité. Certains autres n’auraient en revanche pas fonctionné. En 2003 nous avons joué « Dark Matter », et c’était un peu bizarre. Mais avec « Radioactive Toy », pas de problème.
Ce soir, vous allez jouer pour la première fois avec Oceansize en ouverture. Comment êtes-vous entrés en contact, et que penses-tu de leur musique ?
En fait on ne s’est jamais rencontré. Ils ont pour manager Andy Farrow, qui s’occupe également d’Opeth, et il a insisté pour qu’ils fassent cette tournée. Il m’a envoyé leurs albums, que j’ai trouvés plutôt bons, ça avait l’air de coller, et c’est tout ce que je sais pour l’instant.(rires) Je ne les ai encore jamais rencontrés ou vu en concert. J’ai juste écouté les disques, et j’ai pensé que c’était compatible avec notre musique : c’est un peu progressif, contemporain…
Il semblerait que Deadwing soit l’album de Porcupine Tree qui s’est le mieux vendu à ce jour. Peux-tu nous le confirmer ?
Oui, en effet.
Les ventes de cet album sont-elles à la hauteur de tes espérances ?
Oui et non. Je me dis toujours que ça pourrait être mieux, mais je ne peux pas me plaindre car chacun de nos disques s’est mieux vendu que ses prédécesseurs. Peu de groupes peuvent en dire autant, dans une période où les ventes baissent en raison du téléchargement. Nos ventes progressent lentement mais de manière constante, et j’aimerais qu’elles décollent pour de bon. Mais notre situation pourrait être bien pire.
Lors de notre dernière interview en avril, tu évoquais ton envie de créer un film basé sur Deadwing. Où en es-tu ?
On en est encore très loin. (rires) J’ai été très occupé cette année. Nous continuons à présenter le script à différentes personnes, mais il est très difficile d’obtenir de l’attention et je pense que nous finirons par financer ce film avec nos propres moyens. Nous le réaliserons sans doute dans les deux ou trois prochaines années, avec un budget très limité. C’est un script tellement anti-commercial qu’à mon avis personne ne voudra y investir de l’argent, vu la manière dont fonctionne cette industrie. Mais faire un film est l’une de mes grandes ambitions. C’est en quelque sorte la prochaine étape : jusqu’ici j’ai atteint chacun de mes buts, et le prochain est de réaliser un film et d’en écrire la musique.
En ce qui concerne le financement du film, tu sembles bien plus pessimiste qu’il y a six mois. As-tu vécu quelques mauvaises expériences entre temps ?
Non, en fait, je n’ai vécu aucune expérience ! Tous ceux à qui nous avons proposé le script nous ont dit qu’il était très intéressant, mais qu’ils ne souhaitaient pas investir leur argent dans ce projet. C’est un projet difficile à promouvoir car il n’est pas conventionnel, mais plutôt anti-commercial et surréaliste. C’est le genre de films que quelqu’un comme Luis Buñuel aurait pu faire dans les années 70, ou que David Lynch pourrait faire aujourd’hui. Mais nous ne sommes pas David Lynch, nous sommes des inconnus et il nous est donc plus difficile de lancer un projet de film. Mais nous le ferons.
Nous avons remarqué que le style musical de Porcupine Tree changeait tous les deux albums. Sur le prochain album, pouvons-nous donc nous attendre à une évolution par rapport au registre des deux derniers albums ?
Oui, je pense. Il est trop tôt pour que je sache ce à quoi la musique ressemblera, mais nous prévoyons quelque chose de très différent du point de vue de la structure et du concept. Ne me demande pas plus d’explications, je n’en donnerai pas pour l’instant ! Je sais juste que nous aborderons la structure et le séquençage de l’album de manière très différente la prochaine fois. Musicalement, on verra, je ne sais pas ! Il est difficile de répondre à cette question car c’est toujours une surprise pour le groupe et moi-même lorsque nous commençons à composer et que quelque chose de différent émerge. C’est quelque chose d’inconscient, qui découle de ce de ce que tu as vécu, de la musique que tu as écouté… Mais effectivement les deux derniers albums étaient assez similaires, comme l’étaient les deux albums précédents. Et il est désormais temps d’évoluer vers autre chose.
Quand tu parles de nouvelles méthodes pour la structure, s’agit-il de cette idée consistant à faire composer un quart de l’album par chacun des musiciens du groupe ?
Non, le disque que nous réaliserons de cette manière sera un album spécial pour le fan-club. Cette fois j’ai l’idée d’un album constitué d’un seul long morceau. D’une certaine façon, chaque album de Porcupine Tree est une sorte d’ensemble. Nous souhaitons désormais pousser l’idée au niveau supérieur et écrire une œuvre qui forme un cycle, qui soit une sorte de morceau de 60 minutes. Je n’essaie pas de suggérer que c’est une idée particulièrement innovante, car évidemment beaucoup l’ont fait avant nous ! (rires) Mais c’est quelque chose que nous n’avons jamais fait. Nous avons toujours essayé de centrer nos albums sur une thématique et de faire en sorte que les morceaux s’enchaînent naturellement, mais je souhaite désormais passer au niveau supérieur et écrire un album qui puisse être considéré comme une seule longue pièce. Il y aura quand même des chansons et des passages instrumentaux, mais plus de continuité.
En ce qui concerne ce projet dont nous parlions tout à l’heure, pour lequel chaque musicien écrirait un quart de l’album, est-ce toujours d’actualité ?
C’est une question de temps. Nous n’avons pas eu le temps de nous en occuper cette année, mais c’est quelque chose que nous aimerions faire. Ce ne sera pas un disque distribué à grande échelle, mais juste un album pour les fans que nous sortirons sur notre propre label. Nous pensons à ce genre de choses car nous disposons désormais de notre propre label, Transmission, sur lequel il nous est très facile de sortir des disques : nous y publions régulièrement des enregistrements live. Beaucoup de groupes disposent désormais de leur propre structure, sur laquelle ils publient des disques live, des enregistrements pris sur la table de mixage, des sessions acoustiques… Nous souhaitons proposer quelque chose de différent : créer de nouveaux enregistrements studio, mais dans un esprit différent de ce que nous faisons habituellement. D’où cette idée que chaque musicien contrôle et dirige le groupe sur un quart de l’album. Vous vous demanderez peut-être à quoi ça rime que je dispose moi-même d’un quart de l’album (rires), vu notre façon habituelle de travailler, mais les autres ont plus d’influence que vous pourriez le croire, et certaines de mes idées sont rejetées.
Je pense que ce serait une bonne idée. Là encore, nous ne serions pas les premiers à le faire, mais ce pourrait être quelque chose d’intéressant pour les fans.
Parlons désormais de tes projets parallèles, en commençant par Blackfield. Le premier album a été une réussite, avez-vous quelque chose de prévu pour le second ?
Oui, il s’agit de mon prochain gros projet. Entre janvier et mars 2006, Aviv et moi-même devons achever l’écriture du prochain album et l’enregistrer. Nous espérons le sortir durant l’été, ou plus tard dans l’année. Blackfield a été conçu comme un projet à long terme, et c’est en fait le cas pour tout ce que je fais. Je n’ai jamais monté quelque chose en me disant que ce serait un one-off. Tous les projets continuent d’exister. Pour Blackfield, nous sommes allés un peu plus loin car nous avons formé un groupe avec lequel nous avons tourné : cette formation a donc une certaine dynamique que nous souhaitons entretenir.
Le dernier album de No-Man, « Together We’re Stranger », est paru en 2004 chez Snapper. Il a bénéficié d’une promotion plus importante que les albums précédents, parus sur des labels plus petits. Es-tu satisfait de l’accueil reçu par ce disque ?
Oui. Nous sommes très satisfaits de son accueil, mais nous étions également très satisfaits du disque. Nous sommes parvenus à un but que nous cherchions à atteindre depuis longtemps, un son très ambitieux, presque orchestral, complètement pompeux et ampoulé mais très beau ! (rires) Nous avons beaucoup expérimenté avec No-Man, mais je pense que nous avons fini par trouver le « vrai » style du groupe. Nous allons donc continuer dans ce registre. Les fans semblent avoir la même opinion que nous sur ce disque, je pense qu’il est le plus apprécié, et nous avons sans aucun doute atteint de nouvelles personnes grâce à une meilleure distribution. Nous sommes donc en tous points satisfaits.
On peut dire que vous aviez commencé à développer ce style ambitieux et épique dèsFlowermouth, n’est-ce pas ? (NdR : il s’agit du deuxième album de No Man, paru en 1994, le dernier pour le gros label indépendant One Little Indian.)
Oui, en effet. No-Man a eu une carrière assez atypique : à nos débuts nous expérimentions avec ce qui allait devenir le trip-hop ; je pense d’ailleurs que nous avons été l’un des premiers groupes à le faire. Puis, sur Flowermouth, nous avons évolué vers un registre plus épique, progressif et romantique. Ensuite, nous nous sommes à nouveau intéressés aux break beats et au trip-hop, et sommes repartis dans une direction plus expérimentale. Finalement, nous sommes progressivement revenus au style deFlowermouth, car nous sommes désormais convaincus que c’est la vraie identité de No-Man, et ce que nous faisons de mieux. On peut dire que nous sommes passés par une longue phase de « recherche et développement », durant laquelle nous avons essayé de nombreuses choses et où nous avons été très influencés par les tendances musicales du moment. Nous avons désormais trouvé notre place, quasiment coupée du reste de l’industrie du disque. Nous ne sommes plus influencés par ce que font les autres, nous ne sonnons comme personne d’autre.
Le but est-il de proposer une musique intemporelle ?
C’est exactement ça. Je pense que la musique de No-Man est désormais totalement intemporelle, et se situe en périphérie de ce que peuvent faire les autres. Je n’en suis pas mécontent, c’est une situation agréable.
Avez-vous commencé à réfléchir au prochain album ?
(il hésite) Pas vraiment. Tim et moi devons en discuter, déterminer si on fait un nouvel album, quand on pourra s’en occuper, etc. Ce ne sera pas dans un futur proche en tout cas. Le prochain album ne sortira probablement qu’en 2007.
Bass Communion est très actif en ce moment. Pour nos lecteurs ne connaissant pas ce projet, peux-tu en exposer le concept ?
Mon premier véritable amour musical est la musique atmosphérique, mettant l’accent sur les textures sonores. Quand je suis chez moi, j’écoute ce genre de musique plus que tout autre. La plupart des gens considèrent qu’il ne s’y passe rien : il n’y a pas de rythme, pas de mélodie, parfois il n’y a même pas d’harmonie, mais juste une texture qui remplit la pièce dans laquelle on passe le disque. Il s’agit donc de créer un son ou une atmosphère qui occupe l’espace dans lequel tu te trouves et modifie la perception que tu peux avoir de cet espace. J’aime beaucoup ce genre de musique. Certaines personnes le qualifient d’« ambient », mais ce terme a souvent été associé à des musiques fades et « new age ». Je préfère donc parler de musique « texturale ».
J’ai progressivement évolué vers une musique qui évoque pour moi une atmosphère effrayante et pesante. Les deux derniers albums tournent autour du concept des EVP. EVP signifie « Electrical Voice Phenomenon », il s’agit du phénomène consistant à entendre sur des enregistrements des voix venant de l’au-delà. Par exemple, si tu réécoutes l’enregistrement de cette interview, tu entendras peut-être une voix dont tu ne peux expliquer la provenance, et que tu reconnaîtras peut-être comme étant celle d’un de tes proches qui est décédé. C’est une idée que je trouve fascinante, et qui s’étend également aux photographies. Je me suis récemment intéressé aux photos de fantômes. Il s’agit de photos de famille tout à fait normales, mais quand on les développe on voit sur l’image quelque chose ou quelqu’un dont on ne peut expliquer la présence : une personne décédée, ou qui ne devrait pas être ici. Je me suis passionné pour ce phénomène, et les derniers albums de Bass Communion explorent l’atmosphère autour du concept des EVP, et des morts tentant de communiquer avec les vivants par l’intermédiaire du son.
As-tu vécu ce phénomène toi-même ?
Je pense que c’est le cas de la plupart des gens. Ça ne vous est jamais arrivé ?
A vrai dire, non !
C’est arrivé à la plupart de mes connaissances. Si tu demandes à des musiciens s’ils ont déjà entendu une voix dont ils ne pouvaient expliquer la provenance sur des bandes qu’ils ont enregistrées, la plupart te répondront que oui. Ça m’est arrivé quelques fois dans ma vie d’enregistrer de la musique et d’entendre une voix dont je ne pouvais expliquer la présence en réécoutant les bandes. C’est assez effrayant d’entendre cela ! Je vous laisse imaginer. (rires)
J’ai commencé à m’intéresser à ce phénomène, et il se trouve que des recherches sur les EVP ont débuté dès les années 40 ou 50. En fait, les premiers à avoir investi de l’argent dans ces recherches étaient le Vatican, car ils pensaient que s’ils parvenaient à prouver l’existence d’une vie après la mort, ils assureraient une promotion formidable à leur religion ! Toute la foi catholique est basée sur l’idée d’une vie après la mort, et ils ont donc investi beaucoup d’argent dans les EVP dans les années 50. Et depuis lors, de nombreux scientifiques se sont penchés sur cette question.
Hollywood a sorti un très mauvais film à ce sujet il y a quelque temps : White Noise, avec Michael Keaton dans le rôle principal. (NdR : rebaptisé « La Voix des Morts » pour sa sortie française) C’est un film exécrable, capable de vous dégoûter de l’idée des EVP ! (rires) Je l’ai regardé quand même car je suis fasciné par ce sujet, et je voulais voir comment Hollywood le traiterait.
Il y a également ce film asiatique nommé Shutter, qui est cent fois meilleur et traite des photographies de fantômes. C’est un film effrayant que je vous conseille de voir. C’est un film coréen, je crois. (NdR : après vérification, il s’agit en fait d’un film thaïlandais).
Ce doit être une sorte de Ring, mais avec des photographies…
C’est très proche de Ring, c’est le même genre d’atmosphère. Ring a un sujet assez similaire, puisqu’il est aussi question d’un media enregistré au travers duquel agit une force maléfique. Mais Shutter va encore plus loin.
Enfin bref, pour en revenir à la question initiale (rires), je suis enclin à explorer ce genre d’atmosphères avec Bass Communion, cet univers effrayant et souterrain. C’est vraiment quelque chose que je fais uniquement par passion, car je ne pense pas que cela intéresse beaucoup la plupart des fans de Porcupine Tree. Mais Bass Communion a commencé à attirer son propre petit public, et ce projet plaît aux gens qui apprécient ce genre à base dedrones et de textures.
Il y a quelque chose de très sombre dans cette musique, et je pense que cela parle à certains amateurs de musiques lourdes et lugubres. (il pointe le sweat-shirt de votre serviteur, à l’effigie de Katatonia) Par exemple, Jonas de Katatonia adore ces albums. Il n’y a pas de rythme, pas de guitares, mais il y a cette atmosphère particulière qui plaît aux amateurs de metal.
Tu présentes les EVP comme un concept général pour la plupart des sorties récentes de Bass Communion. Cela explique un titre d’album comme Ghosts On Magnetic Tape, mais tu es également sur le point de sortir un disque nommé Loss… La pochette de Loss sera une fausse invitation à un enterrement ! Ce sera un beau packaging : une belle invitation en papier gaufré à l’intérieur de laquelle se trouvera le vinyl. Il y aura également des photos dans la pochette intérieure… Avez-vous vu le film The Others avec Nicole Kidman ? C’est un bon film, pour une production hollywoodienne. On y voit des photos de masques mortuaires… Dans une scène du film, les protagonistes découvrent de vieilles photographies : au premier abord on dirait des visages de personnes endormies, mais ce sont en fait des morts. Au début du vingtième siècle, c’était une tradition que de photographier les masques mortuaires, afin d’essayer de préserver l’âme des personnes décédées. On aura donc ce beau packaging en forme d’invitation à un enterrement, et à l’intérieur il y aura toutes ces photos de masques mortuaires, de bébés morts… Bon, dit ainsi, ça doit sembler totalement malsain (rires), mais en fait ce sera très beau ! Ce sont des photos très anciennes, dans les tons sépia et ocre, et je les trouve magnifiques.
Cela fait des décennies que le rock est obsédé par la mort, c’est même quasiment le cas depuis le tout début. C’est encore plus le cas avec le metal, et c’est d’ailleurs un point commun supplémentaire avec Bass Communion : le metal est obsédé par la mort, le satanisme… C’est un délire d’adolescent, mais je pense qu’en tant qu’être humains, nous avons de toute façon tendance à être fascinés par la mort. Nous sommes la seule espèce sur terre consciente de sa propre mort, potentiellement imminente, nous sommes les seuls à savoir qu’un jour nous cesserons d’exister. En conséquence, nous cherchons à faire quelque chose de nos vies car nous savons que ce jour viendra.
C’était une très longue réponse, veuillez m’en excuser ! (rires)
Ce n’est pas grave ! Mais effectivement, ce sera peut-être la plus longue réponse jamais publiée par Progressia !
Comme vous pouvez le voir, Bass Communion est une véritable passion pour moi.
Achevons ce tour d’horizon de tes projets avec I.E.M. (NdR : son projet « kraut-rock »)Cela fait longtemps que de nouveaux enregistrements n’ont pas été publiés. En as-tu fini avec ce projet, ou comptes-tu le ressusciter dans le futur ?
Il est possible qu’il y ait d’autres enregistrements d’I.E.M. dans le futur. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne ressens jamais le besoin de mettre un terme à l’un de mes projets. Cela fait effectivement quatre ans que je n’ai pas travaillé sur I.E.M., mais ce projet existe toujours. Rien n’est prévu pour l’instant, mais si un jour je me réveille en me disant « merde, je veux vraiment faire un autre album d’I.E.M. », alors je le ferai. Je pense que cela finira par arriver, mais pas avant un bon moment : j’ai déjà trop de projets en cours.
As-tu d’autres projets en cours dont tu souhaites parler ?
Il y a ce projet avec Mikael d’Opeth, que j’avais déjà évoqué lors de notre précédente interview. Je pense que cela se concrétisera l’année prochaine. Désormais, Mike Portnoy de Dream Theater veut également être de la partie. Le projet n’a pas encore de nom, mais entre nous nous l’appelons « PAW », pour « Portnoy / Åkerfeldt / Wilson ». Nous enregistrerons probablement l’année prochaine. Pour l’instant Mikael est très occupé par Opeth, et Mike tourne avec Dream Theater, mais tous deux espèrent être disponibles pendant le deuxième semestre de 2006. C’est donc sur les rails.
Finissons par quelques questions génériques. As-tu un modèle en tant qu’artiste, ou en as-tu eu un au début de ta carrière ?
En fait, j’en ai eu plusieurs. Ce serait très difficile de n’en choisir qu’un. Dans ma jeunesse, plusieurs artistes m’ont poussés à faire ce que je fais. Généralement ce n’étaient pas en premier lieu des musiciens, mais plutôt des auteurs ou des concepteurs, des personnes qui avaient une vision globale de leur musique. Robert Fripp, Brian Wilson ou Roger Waters sont de bons exemples. Ce sont les artistes de ce genre qui m’ont inspiré. Fripp est un excellent guitariste, mais ce n’est pas ce qui compte le plus. Quand tu découvrais King Crimson, tu entrais dans une sorte d’univers : une certaine façon de faire les choses, de produire les disques, une esthétique qui n’était celle de personne d’autres. C’était également le cas de Brian Wilson et Roger Waters, mais aussi de certains réalisateurs de films : Stanley Kubrick, Orson Welles, David Lynch… Zappa également : soit tu n’y comprenais rien et tu détestais, soit tu adhérais totalement et tu devenais un fan obsessionnel. J’étais dans la deuxième catégorie.
Je pense que ce sont eux qui ont fait de moi ce que je suis. Je ne suis pas un excellent musicien, et ça ne m’intéresse pas de le devenir. Ce qui m’intéresse, c’est de créer un univers autour de Porcupine Tree ou de Steven Wilson. Si on adhère à mon univers, il y a une multitude de projets, d’albums, de productions qui ont tous mon empreinte, mon son. Et j’espère que ce son est unique et exclusif. C’est ce que je ressentais étant adolescent quand j’écoutais les productions dans lesquelles Fripp ou Zappa étaient impliquées : il y avait toujours ce côté « Frippesque » ou « Zappaesque ». J’espère que tout ce que je fais est « Wilsonesque ».
Tu as d’ailleurs travaillé avec Robert Fripp au début des années 90. (NdR : il apparaît sur Flowermouth de No-Man, et certains titres de Bass Communion utilisent sessoundscapes) Comptez-vous travailler à nouveau ensemble ?
Je pense que nous allons essayer de faire quelque chose ensemble l’année prochaine. Il a fait la première partie de Porcupine Tree sur notre dernière tournée américaine, et nous avons évoqué l’idée de retravailler ensemble. C’est toujours l’une de mes principales idoles, et c’est donc une situation étrange pour moi que de l’avoir comme invité sur une tournée. C’est quelqu’un de génial, et je pense que nous retravaillerons ensemble très prochainement.
Quand nous nous étions rencontrés en 2002, nous avions discuté de l’idée derrière « The Sound Of Muzak », qui concernait l’état de la scène musicale de l’époque. Trois ans plus tard, as-tu le même jugement amer envers l’industrie du disque ?
Je pense que les choses s’améliorent très lentement. Désormais, on n’est plus aussi mal considéré qu’auparavant lorsqu’on essaie de faire une musique ambitieuse, l’« ambition musicale » n’est plus considérée comme un gros mot. Même à l’époque où nous réalisions In Absentia, il n’y avait sur la scène rock que très peu de musique pouvant être qualifiée d’ambitieuse. Depuis, il y a eu The Mars Volta, Sigur Rós ou encore Opeth, qui ont sorti des disques de plus en plus extraordinaires. Des groupes comme Mew ont percé, ainsi qu’Oceansize, The Trail Of Dead, Pure Reason Revolution… On peut presque dire que l’ambition est de retour, il est à nouveau acceptable d’être ambitieux et d’essayer d’atteindre une sorte de but. Celui-ci sera peut-être ridicule, mais il est acceptable d’essayer de l’atteindre. D’excellents albums sont sortis récemment. J’aime à penser que c’est ce que Porcupine Tree a toujours fait ; c’est comme si cette scène venait maintenant nous rejoindre. Je trouve que c’est encourageant, et je suis désormais plus optimiste.
Nous évoquons souvent cette nouvelle scène sur Progressia : les jeunes artistes n’ont plus honte de citer Pink Floyd ou Rush parmi leurs influences, et il semblerait que le progressif soit à nouveau presque hype…
Auparavant lorsque l’on parlait de progressif, cela représentait une musique ringarde et démodée, des groupes comme Arena ou les Flower Children (sic) sonnant comme le Genesis d’il y a trente ans… Et maintenant il semblerait que même le terme « progressif » soit à nouveau presque à la mode. C’est une bonne chose, car à mon sens ce terme devrait représenter une musique contemporaine, ambitieuse et qui va de l’avant. Je pense que nous en sommes revenus à cette définition. Même la presse semble à nouveau accepter ce principe et ce style, ce qui ne peut qu’être une bonne chose.