Sel Balamir (Amplifier) – Eye of the Octopus
Quatre longues années après la sortie d’Insider, le trio Amplifier revient avec un album de poids, un concept mystique défrayant la chronique : The Octopus. A l’occasion de la tournée promotionnelle et de son passage à Paris, nous avons rencontré Sel Balamir, vocaliste et guitariste de la formation pour en savoir plus sur le fameux poulpe.
Chromatique : Il s’est passé tout un tas de choses depuis la sortie d’Insider. Vous avez laissé tomber SPV, travaillé pendant quatre ans en appâtant l’audience avec quelques morceaux par-ci par-là et voici finalement que The Octopus est écoutable en intégralité sur Bandcamp ! Peux-tu nous raconter le processus de composition et comment vous en êtes arrivés à ce projet ?
Sel Balamir : Oui, on y a travaillé très dur et longtemps mais le temps est passé très rapidement au final. Les deux premières années nous n’étions pas vraiment conscients de nous être atelés à quelque chose de neuf. Une fois que nous avons réalisé que nous étions sur un nouvel album, le temps de tout mettre en place et de prendre en compte les aléas de la vie, deux ans se sont écoulés et nous voilà ! Ce disque est un vrai documentaire sur une période vécue, le passage entre le début de notre trentaine et son milieu. La transition entre l’état de jeune homme idéaliste à celui de … vieil homme cynique [rires]…au moins à l’état d’un homme un peu désabusé je pense. C’était une véritable expérience pour nous, rien de comparable avec tout ce qu’on avait fait avant.
Ce qui importe avec The Octopus c’est tout le contexte qu’il y a autour. Nous étions à un moment de notre vie assez difficile où il fallait faire un choix dans nos carrières. Nous avions fondé le groupe il y a plus de dix ans et il était clair que nous n’étions pas du tout intégrés à l’industrie de la musique. Nous n’étions pas très heureux de la situation, nous voulions simplement jouer sans nous soucier du reste. Nous avons donc choisi de nous faire plaisir et c’est comme ça que nous avons commencé The Octopus. Finalement en interprétant nos nouveaux morceaux devant certains publics, des portes se sont ouvertes, nous avons eu des opportunités que nous avons saisies. C’est comme ça que nous avons abandonné tout ce qui nous attachait à l’industrie, SPV en particulier, mais tout le reste de la chaîne aussi. Ce n’est pas ce qui est important, nous nous chargeons de tout maintenant et nous en sommes heureux.
Ce processus m’a rappelé mon enfance. Mon père avait un très bon travail et il était très qualifié pour le faire. Quand j’étais adolescent, il a décidé de changer de vie, a démissionné et est devenu marchand d’art. Il n’avait absolument aucune connaissance du domaine et du travail (rires). Mais il l’a fait ! Cela lui a pris vingt ans pour arriver à ses objectifs et il est désormais heureux de sa situation. C’est un peu ce que je ressens aujourd’hui et c’est ce qui nous a menés à concevoir The Octopus.
Comment un groupe de petite stature comme Amplifier peut-il survivre quatre ans sans faire de tournée ni enregistrer d’album ?
C’est la vie, c’est très dur. Nous avons reçu beaucoup d’aide de notre famille, nous avons eu à vendre beaucoup de merchandising, des t-shirts et des cravates (rires). Mais je pense que la prochaine étape sera beaucoup plus facile. Grâce The Octopus nous arrivons à vendre beaucoup de produits à l’effigie du poulpe.
Parlons du poulpe ! Explique nous ce qui se cache derrière The Octopus.
Cela représente beaucoup pour nous, ce poulpe n’est pas juste une image, c’est un message qu’on essaie de faire passer et il a visiblement résonné dans le cœur de pas mal de monde. C’est quelque chose d’une profondeur intellectuelle et spirituelle que nous n’avions jamais atteint avant. Je ne dis pas ça parce que nous avons passé beaucoup de temps à concevoir cette idée mais parce que nous y croyons vraiment. Je veux dire, je ne mettais jamais de cravate avant ! Et maintenant tout le groupe la porte (ndlr : Cravate noire ayant le logo de The Octopus en blanc) ! Cette superbe pièce que vous pouvez acheter sur notre site ! (rires).
Et le concept en lui-même ? De quoi s’agit-il ?
La chose dont il faut se rappeler au sujet de The Octopus, c’est que c’est un concept album, où le concept est un concept. Ok, ça sonne un peu pompeux, mais ce que je veux dire c’est que lorsque nous avons commencé le projet, nous ne faisions que jouer de la musique et y prendre du plaisir, c’est le plus important. En revanche, lorsqu’on baigne dans la musique progressive, il est facile de comprendre que les groupes de rock comme nous ont envie d’explorer, de voyager autour de leur musique et de découvrir de nouvelles variations, de la même manière que l’on peut avoir des conversations sur les mêmes sujets avec différentes personnes. C’est autour de ce système est né l’Octopus. C’est un organisme qui évolue, se transforme et vit mais garde toujours la même identité.
Dans un sens, l’Octopus est vraiment un organisme vivant, mais plutôt de forme virale. Le poulpe a complètement pris le contrôle de nos vies ! J’ai lu une interview de Tori Amos dans laquelle elle expliquait que lorsqu’elle chante elle se sent presque malade, possédée par la musique. Elle ne peut pas penser ni faire autre chose tant qu’elle n’a pas exorcisé ce démon en elle. C’est tout-à-fait ce que nous avons ressenti pendant ces quatre dernières années. Nous étions tellement dedans, dans la musique, les paroles, toute la symbolique et ce qu’elle représente que nous avions complètement perdu la notion du temps. C’est expliqué dans le livret de l’album. C’est un texte que j’ai écrit d’une traite qu’on a illustré par la suite.
Par ailleurs, nous n’avons pas communiqué le nom du groupe directement sur l’album. Nulle part n’est écrit Amplifier. L’Octopus n’est pas Amplifier. C’est une idée, mais ça n’existe pas vraiment. Il n’est pas vraiment question d’une pieuvre, mais d’un modèle, d’un paradoxe. Est-ce qu’on existe tous vraiment ? C’est une question qui me rend dingue ! Si nous n’existons pas vraiment comment pouvons-nous nous associer physiquement à cette idée ? Quelle preuve ai-je de véritablement être là en ayant cette conversation, en faisant cette interview ?
J’ai l’impression de ne rien savoir et de ne rien comprendre sur le monde qui m’entoure et ça me dérange vraiment. Je pense que c’est le principe de la musique de donner un langage pour exprimer cette impuissance, ces émotions et ces sensations.
Dans le livret, le texte se brouille progressivement. Les caractères sont remplacés petit à petit par des symboles. D’où vient cette idée ?
Le projet était tellement gigantesque que nous ne pouvions pas le servir sur un plateau d’argent. Le texte explique une vision, c’est une métaphore de l’idée derrière The Octopus. Il faut véritablement vouloir le lire pour y parvenir. Par ailleurs, l’une des thématiques de l’album est l’ambiguïté de l’information. L’idée était d’en cacher une partie en y ajoutant un biais. Et puis c’était aussi un moyen de mettre « Amplifier » dans l’album. C’est le seul endroit où cela apparait : les lettres qui ont été brouillées forment le nom du groupe.
Tout ce que tu dis sonne très mystique. N’as-tu pas peur qu’une partie du public pense que vous êtes devenus une sorte de secte ou que vous cherchez à initier un culte ?
Ce n’est pas encore le cas mais j’espère qu’on en arrivera là (rires) ! Ce serait tellement étrange et amusant à la fois. Nous avons plaisanté plusieurs fois sur le principe du culte, mais si on y réfléchit bien ce n’est qu’à moitié une blague. Nous sommes une sorte de secte sans gourou, sans membres et sans dogmes. Ainsi, nous cherchons à propager l’Octopus avec les petits autocollants que l’on a mis dans chaque album ! Les gens qui en collent savent ce que c’est et reconnaissent le symbole quand ils le voient. Cela donne un peu l’impression d’appartenir à une société secrète, inutile et sans but ! Qui sait, d’ici quelques années il y aura peut être des Octopus partout en Europe et dans le monde !
Tu as demandé aux gens de t’envoyer des photos des endroits insolites où ils collaient ces fameux autocollants. Quelles sont les destinations de l’Octopus dont tu es le plus fier ?
J’ai vu des photos des autocollants en Chine, en Indonésie, en Alaska. Un mec à la NASA m’a envoyé une photo où il en avait collé sur un module qui allait partir sur la station spatiale internationale, donc avec un peu de chance le poulpe est déjà parti dans l’espace ! (rires)
Reparlons un peu de l’album, vous avez une longue liste d’invités sur The Octopus parmi lesquels Mike Vennart qui avait déjà participé à votre premier album, Charlie Barnes ou Rose Kemp. Etait-ce planifié depuis le début ? Comment en êtes vous arrivés à collaborer avec ces artistes ?
Ce n’était pas du tout planifié. Rose nous a été recommandée par Mike ! J’ai écouté sa musique et immédiatement été impressionné. Lorsque j’ai eu l’opportunité de la rencontrer, je lui ai proposé de participer à l’album et elle a accepté, elle était très enthousiaste à l’idée de chanter avec nous. C’est une fille fascinante, très talentueuse et très féminine ! Je pense que c’est quelque chose d’important dans le monde du rock qui est très masculin. Elle a vraiment apporté une touche différente à l’album par rapport à ce que nous avions prévu à la base.
Sinon les autres contributions se sont faites au fil de l’eau. Mike Vennart est un ami de longue date et avait déjà participé à notre premier album. Il était très heureux de revenir jouer avec nous. Et puis, il y a Charlie Barnes pour les parties de piano. C’est un petit génie, il a une façon de jouer avec une très forte identité alors qu’il est très jeune !
Tous ces gens ont beaucoup apporté à The Octopus, parce qu’ils ont ajouté à notre son de base quelque chose d’un peu différent, ce qui nous ramène à la philosophie de l’album : cet organisme qui continue à évoluer en permanence tout en gardant son essence.
Quelles inspirations peut-on retrouver dans The Octopus, quelles sont vos muses pour le processus de création ?
La vie et tout ce qui nous entoure. C’était une thérapie pour nous : on a extériorisé toutes nos sensations et émotions. C’est très sincère comme musique et je pense que c’est pour ça que certaines personnes détestent ce que nous faisons, parce qu’ils s’y retrouvent et qu’il n’y a pas que des sentiments positifs. Mes inspirations ne peuvent pas vraiment se qualifier en termes de « Tool rencontre Pink Floyd », ce n’est pas seulement ça. C’est aussi pour cela qu’il est difficile de décrire ce que l’on fait : rock alternatif, musique progressive, metal ou encore stoner ? Peut-être un peu punk, parce qu’on « s’en fout ». Je ne sais pas vraiment. Clairement nous ne voulons pas nous enfermer dans un genre en particulier et avons donc des inspirations musicales très diverses. Il serait vain d’essayer de les lister.
Quels sont vos objectifs à court terme désormais ?
Pour l’instant nous nous concentrons sur notre tournée : organiser les dates, le voyage, continuer à faire la promotion de l’album. Nous allons essayer de tourner le plus longtemps possible, pour nous faire connaître.
En parlant de concerts, c’est très difficile de vous voir en France. La tournée Octopus comprend des dates en Angleterre, en Allemagne mais pas en France. Pourquoi jouez-vous très rarement en France ?
Nous n’avons jamais vraiment joué en France, nous avons fait quelques premières parties mais jamais de tête d’affiche. C’est très difficile de venir et de jouer ici. Je me souviens avoir demandé à des gens combien ils avaient payé leur billet pour nous voir. Trente euros pour un concert ? C’est beaucoup trop. Comment peuvent-ils se permettre de payer autant pour voir un concert ? C’est devenu un luxe : il faut prévoir un budget concert désormais. Ce qui explique ce prix, c’est le coût des salles, malheureusement ! Une salle raisonnable pour un groupe tel qu’Amplifier va coûter deux mille euros, ce qui va se répercuter sur le prix des billets.
J’ai entendu dire que le dernier concert de Katatonia en France avait accueilli seulement quatre cents personnes. C’est bien trop peu pour des formations qui doivent payer si cher pour louer une salle ! Si le prix des billets était autour de quatorze euros, ce qu’on paie à peu près au Royaume-Uni, il y aurait bien plus de monde aux concerts. En Angleterre il y a tout un tas de petits clubs dans lesquels il est possible de voir des petits groupes parfois très bons pour très peu d’argent et apprécier une bonne bière ! C’est comme ça que nous avons commencé.
Un dernier mot pour votre public Français ?
Liberté ! (ndlr : En français dans le texte)