Opeth – A propos d’Heritage
On a d’abord cru à une blague de potache quand la pochette d’Heritage est apparue au grand jour. Connaissant le sens de la dérision de Mikael Åkerfeldt, on a pensé ensuite à un faux. La vérité est toute autre. Ce nouveau disque d’Opeth va sans doute copieusement nourrir les débats, au risque de provoquer une fracture au sein des fans. Mikael Åkerfeldt et son acolyte Fredrik Åkesson s’en sont expliqué, malgré les cernes et la fatigue causée par leur concert donné le matin même au Hellfest.
Chromatique : Comment vous sentez-vous en ce lendemain de concert tardif ?
Mikael Åkerfeldt : Comme d’habitude, je suis toujours fatigué (Rires). On ne peut même pas parler de lendemain de concert, puisque nous avons joué très tôt ce matin. Jouer ne me dérange pas outre mesure, mais le voyage pour remonter de Clisson à Paris est assez éprouvant… L’horaire auquel nous sommes montés sur scène ne me convenait guère, mais c’est le lot des têtes d’affiche. C’était agréable de voir que le public était encore présent en masse à cette heure peu conventionnelle. Les vibrations étaient bonnes. Pour ma part j’ai profité du festival pour voir une partie du concert de Mr Big et je me suis bien amusé pendant leur set.
Parlons d’Heritage. Cette journée particulièrement grisâtre est idéale pour écouter un tel disque …
Oui (Rires). Je dirais que c’est un disque plus nocturnal, il se prête vraiment à une ambiance sombre, le genre de musique que tu pourrais écouter dans une pièce noire. Pour ma part, j’aime être à l’aise et écouter au casque.
La première chose qu’on a découverte concernant ce nouvel album est sa couverture. Au départ, on a pensé qu’il s’agissait de second degré. Manifestement, après écoute, ce n’est pas le cas… qu’est-ce qui a motivé une telle direction ?
Je pense que nous étions lassés de cette musique axée metal. De même, nous en avions quelque peu assez de ce son typique qui est devenu le notre, bien que le metal fasse partie intégrante de mon ADN. J’ai écouté ce style toute ma vie. Ce disque est une sorte d’hommage aux grands noms du rock progressif.
Tout comme Damnation, Heritage est aux antipodes de ce que vous avez pu faire par le passé…
Oui, mais j’avais précisé alors que Damnation était un disque foncièrement expérimental. Je dois avouer qu’à l’époque où nous avons planché sur Deliverance et Damnation, j’étais plus intéressé par ce dernier car nous n’avions jamais sorti un tel album auparavant. J’avais hâte de voir les réactions et j’ai été comblé.
Pour refermer la parenthèse, ce disque dans votre discographie est, aujourd’hui encore, le préféré de bon nombre de fans…
Il a beaucoup fait parler, mais selon moi, il se bonifie avec le temps. C’est peut-être plus facile de l’apprécier aujourd’hui qu’à l’époque de sa sortie.
Comment s’est déroulée l’écriture d’Heritage ? Tout le monde a-t-il pu y aller de sa contribution ?
J’ai, une fois encore, tout écrit. Fredrik Åkesson et moi-même avons co-écrit un titre. Il y a deux morceaux qui ne figurent pas sur le disque à propos desquels nous réfléchirons plus tard. Peut-être les sortirons-nous en face B de single ou en digital. Rien n’est encore décidé. De manière générale, je n’ai jamais été un dictateur concernant les contributions de chacun. Au contraire, je souhaite que chaque membre se les approprie et qu’elles deviennent les leurs.
Fredrik, est-il difficile de composer avec Mikael ?
Fredrik Åkesson : Je ne dirais pas que c’est difficile, mais intéressant. Mike est plus à l’aise quand il s’agit d’amener un titre quasi fini.
Mikael Åkerfeldt : Par exemple, Fredrik m’a joué un lead de guitare autour duquel j’ai pu construire un morceau dans son intégralité. Dans les anciens temps « Opethiens », je n’aurais probablement pas pu faire cela.
Tu parlais d’hommage tout à l’heure. Quand nous avons entendu « Slither » nous avons pensé à un clin d’œil à la New Wave Of British Heavy Metal, et nous nous sommes demandé si Steve Vai ne vous avait pas rejoints en studio le temps de le mettre en boîte…
Fredrik Åkesson : Steve Vai (Rires)? Eh bien, c’est un honneur ! Plus sérieusement « Slither » est un clin d’œil à Rainbow & Ronnie James Dio mais c’est aussi un titre à prendre au second degré.
L’album est très cohérent dans son concept. L’ironie est que chaque titre possède sa propre identité, il paraît ainsi difficile d’en sortir un du lot, à part peut-être « The Lines In My Hand », qui risque d’être réclamé lors des concerts à venir.
Mikael Åkerfeldt : Effectivement ! C’est le premier titre que j’ai écrit pour cet album. La fin de cette chanson est assez intense et je pense qu’on va bien s’amuser à la jouer en concert. Mais je ne partage pas forcément ton idée. Ce disque s’apprécie comme un tout. Il me paraît difficile de ne pouvoir écouter qu’un seul morceau, comme ça, à la sauvette. Si tu me dis que tu accroches à Heritage après une seule écoute, je te réponds que tu es fou (Rires). Plus sérieusement, il est bourré de couches et de textures qui nécessitent une certaine forme d’immersion. A terme, j’espère qu’il fera partie de ces disques dans lesquels on découvre quelque chose de nouveau à chaque écoute.
Les fans vont pouvoir découvrir Martin Axenrot sous un autre jour…
Mikael Åkerfeldt : Tu ne crois pas si bien dire. Il a cette réputation d’être un batteur extrême et ça le saoule un peu d’être confiné à ce seul genre musical. Il peut swinger et groover comme personne ! L’ingénieur du son qui a travaillé sur l’album n’en revenait pas et à la fin des sessions, il est venu nous remercier de lui avoir permis de participer à une telle expérience.
Fredrik Åkesson : La plupart des batteurs de metal extrême peuvent difficilement jouer de manière plus basique. Ils s’en remettent généralement à la post production pour nuancer un peu plus leur jeu, mais Martin n’a pas besoin de ça. Il peut vraiment tout jouer. Ce disque en est la preuve la plus évidente.
Mikael Åkerfeldt : Quand je l’écoutais, j’étais comme un dingue dans la salle de contrôle ! Il a joué avec tellement de fluidité, je t’assure il fallait nous voir, ça valait peut-être le coup d’être filmé.
Qu’en est-il du remplaçant de Per Wilberg derrière les claviers ? Nous avons cru comprendre que vous aviez quelqu’un pour le poste.
Oui, il s’agit de Joakim Svåmberg. Il a joué notamment avec Yngwie Malsteen. Pour l’instant il n’est là qu’en tant qu’intérimaire. Nous faisons tout pour le mettre à l’aise, faire en sorte qu’il se sente chez lui. Je pense que c’est le cas maintenant. J’espère que nous continuerons avec lui, malgré le peu de temps passé ensemble jusqu’à présent.
Peut-on dire qu’aujourd’hui, Opeth est dans une position dans laquelle toutes les libertés musicales lui sont permises quoi qu’en pensent les fans ? A ce titre, le fait qu’ils puissent ne pas aimer n’est pas contestable, mais attends-tu d’eux qu’ils respectent la démarche entreprise ?
Mikael Åkerfeldt : Mais j’aime ça ! Pour être franc, le côté imprévisible que la musique peut avoir c’est quelque chose de terriblement excitant pour moi et j’aime prendre les fans à contre-pied.
Fredrik Åkesson : Néanmoins, dans cet album on retrouve certains éléments qui ont contribué à la marque de fabrique Opeth, je pense notamment à certains riffs de guitare. Si tu leur rajoutes un peu plus de poil et de testostérone, c’est du Opeth pur jus !
Mikael Åkerfeldt : Je pense qu’à un certain point, ça tombe sous le sens de retrouver certains éléments comme des gammes ou des mélodies arabisantes. Ça fait un peu partie de notre style.
Steven Wilson est de retour à la production et au mix. Dans ce contexte inhabituel, vous avez dû prendre un certain plaisir à travailler ensemble…
Mikael Åkerfeldt : Plus que le plaisir procuré, je dois avouer que ça s’est fait de manière très rapide, sachant que nous avions un projet commun à venir. Nous avons procédé à l’ancienne : deux micros devant la batterie, pas de post production ou de montage audio. C’est fait à l’ancienne malgré l’utilisation de Pro Tools. Mais tu sais, nous avons enregistré beaucoup d’albums sur bandes. J’ai gardé un certain côté nostalgique et romantique de cette époque, mais je dois avouer qu’aujourd’hui c’est tellement plus simple, en regard des temps anciens où il te fallait rembobiner, réécouter, recaler, etc..
Fredrik Åkesson : La console utilisée est on ne peut plus vintage, elle date des années soixante-dix. C’est dire dans quel état d’esprit nous étions.
Quand tournerez-vous en France ?
Fredrik Åkesson : Nous serons aux Etats-Unis en septembre et nous rendrons visite à la France en novembre.
Mikael Åkerfeldt : Ça commence d’ailleurs à être problématique d’établir une setlist, à tel point que nous en avons établi plusieurs. Bien évidemment, elle seront axées sur le nouvel album, mais ce sera intéressant de voir comment d’anciens titres peuvent s’inclure dans le contexte d’une telle soirée. Peut-être qu’on va les réarranger en conséquence. Une bonne raison de ne pas manquer nos concerts français. Alors, à bientôt !