ENTRETIEN : FREAK KITCHEN | |
Origine : Suède Style : Metal Rock Formé en : 1992 Personnel : Mattias « IA » Eklundh : guitare, chant Björn Fryklund : batterie Christer Örtefors : basse Dernier album : Organic (2005) | Mattias Eklundh n’est pas dénué d’humour, voilà un fait prouvé de longue date. Aussi la sortie d’un album de la famille Freak (Freak Kitchen / Freak Guitar), lorsqu’elle s’accompagne des explications du maître sur ses dernières créations, présente-elle toujours l’occasion de quelques bons fou-rires. Echange avec un grand optimiste. Le dernier album de Freak Kitchen, Organic, est sorti en France ce 25 avril. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce nouveau disque ? Mattias Eklundh : Euh…c’est un nouvel album… ? En fait c’est du Freak Kitchen 2005. La sortie de The Road Less Traveled a été bénéfique pour Freak Kitchen, car je n’ai pas ressenti le besoin de faire des trucs de malade juste parce qu’il fallait que j’en fasse ! Avec Bjorn et Chris, nous avons plutôt essayé de faire de bonnes chansons, solides et avec une bonne production, de faire ce qui nous venait à l’esprit. Pour la première fois depuis un bout de temps, un album me satisfait de A à Z. D’habitude… attention je vais roter j’ai bu trop de coca light… non… (rires) il nous arrive de faire du remplissage par endroits dont nous ne sommes pas forcément fiers. Pour Organic je pense que la fin est aussi bien que le début. Mais ce n’est que mon opinion. Bref j’en suis très content et c’est le principal. Ca fait du bien d’être heureux !
Organic donne l’impression d’être l’album le plus mature de FK. Comment expliques-tu l’évolution du groupe durant toutes ces années ? Je pense qu’avec Move, et l’arrivée de Bjorn et Chris, on a ouvert un nouveau chapitre et il fallait repartir de là. On peut comparer FK à un tour de montagnes russes , avec des hauts et des bas, mais ce qui importe est que nous ayons toujours été indépendants. Nous avons toujours essayé de se faire plaisir avant tout, et en retour les gens voient que nous nous sommes amusés, que nous avons expérimentés, que nous sommes sortis des sentiers battus.
Quand je compare Move et Organic, deux albums qui se ressemblent à première vue, je pense qu’en fait ils sonnent radicalement différents du point de vue de la production, des chansons, et tout le reste. Et c’est bien ! Les deux sonnent vraiment comme du Freak Kitchen, mais le premier est du Freak Kitchen 2002 avec de nouveaux musiciens. Puis des millions de concerts ont suivi, on a écrit des chansons etc…
C’est une évolution naturelle et c’est le point positif lorsque l’on vieillit, on rabaisse complètement sa garde et on ne ressent plus le besoin de prouver quoi que ce soit. Nous voulions juste bien sentir les choses et prendre notre temps. J’avais annoncé la sortie de l’album pour novembre mais en septembre j’ai réalisé que c’était vraiment impossible. Il faut que les chansons se développent naturellement et je suis content d’avoir la force de dire non à l’argent qu’on me propose, « non mes chères maisons de disques », on ne peut pas vous donner de date de sortie car on n’en a pas fini avec le plus important : la musique a besoin de plus de temps. Le temps est le mot clef… c’était quoi la question déjà ? (rires).
Chris et Bjorn ont-ils participé à l’écriture d’Organic ? Pas tant que ça. Comme d’habitude j’ai écrit la majorité des textes et de la musique. Chris a apporté la mélodie de « Infidelity Ghost » et il avait quelques idées pour le couplet, j’ai juste mis ça en forme et rajouté des accords autour, et c’est tout. Mais ce n’est pas grave, je ne suis pas un dictateur… quoique si… mais un gentil dictateur ! J’écris des trucs, je les amène en salle de répétition et on transforme tout ça immédiatement en du Freak Kitchen, on change les choses que l’on ne sent pas, ont fait des arrangements, etc… Nous avons une grande affiche dans notre salle sur laquelle nous écrivons les chansons chacun notre tour et on dessine une tête de mort à côté quand on a tous l’impression que la chanson est bonne, que le tempo est le bon, que les arrangements sont corrects et quand on a douze têtes de mort, on est prêt à enregistrer. C’est du Freak Kitchen, ce n’est pas comme si je me disais « c’est à moi, c’est mon album », loin de là.
Il faut bien que quelqu’un soit le capitaine du bateau et dieu merci cela convient tout à fait à Bjorn et Chris, ils souhaitent que ça soit ainsi. Par exemple, Bjorn me demande tout le temps « comment sais-tu que cette prise est la bonne, parce que moi j’en ai aucune idée, je joue et c’est tout. Dis moi quand c’est la bonne ! ». Et je lui réponds (levant son doigt en l’air, faisant mine de mesurer dans quelle direction va le vent) : « oh c’est la bonne ! Allez la suite ! ». Pareil avec Chris, il me dit toujours « je vais jouer et tu me diras simplement ce que tu veux » et ça roule ! Je crois en la démocratie mais pas au sein d’un groupe, parce que j’ai déjà essayé et ça a toujours lamentablement foiré ! On ne pouvait plus aller pisser sans demander à quelqu’un : « je peux aller pisser ? – Non ! Nous sommes une démocratie ! » et des trucs dans le genre.
On se parle presque tous les jours par email, téléphone, sms, « hé les gars y a une nouvelle date de concert, vous êtes partants ? » par exemple. Et tout va bien comme ça, chacun s’occupe de trucs différents. Chris s’occupe de l’artwork du CD et moi je me contente de le regarder faire en lui disant « c’est bien, Chris ». Là c’est lui, le capitaine du navire.
Quant à Bjorn il s’occupe de tout un tas de trucs, comme réserver des billets, les dates de concerts, les affiches, et d’autres encore. Encore une fois, je ne contrôle rien dans tous ces domaines. Moi, mon domaine, c’est la musique. Voilà, c’était la réponse à la question ! (rires).
En parlant de compositions, deux chansons d’Organic ont été influencées par deux exercices du Freak Guitar Camp. Dans quel ordre les choses se sont-elles passées ? As-tu d’abord écrit les riffs pour le camp ou pour l’album ? Je les ai écrit pour le Freak Guitar Camp. C’était juste des exercices un peu trop bons pour rester des exercices ! Je me suis dit que c’était du gâchis si les gens du camp étaient les seuls à écouter ça, alors j’ai descendu la tonalité et réarrangé ces riffs à la sauce Freak Kitchen. Par exemple, pour « Heal Me » qui vient de « Anthem No More » (l’hymne du Freak Guitar Camp 2002), le riff est joué en do dièse au lieu de mi…
J’aime bien l’esprit Frank Zappa qui consiste, quand tu es en fin de carrière et que tu rentres chez toi pour mourir, à considérer tout ce que tu as écrit comme une très longue composition, ou plusieurs compositions attachées les unes aux autres. C’est ma manière de voir les choses. Il se peut que je réutilise un riff, une mélodie, une progression d’accords et je pense que c’est bien, les gens se disent « tiens je reconnais ce truc ! ». Ca peut être tout et n’importe quoi, un solo qui devient une mélodie vocale, etc. Vive le recyclage! (rires).
En parlant d’accordage, en as-tu expérimenté d’autres sur Organic ? Oui ! Rien d’alambiqué cette fois-ci, j’ai juste accordée la guitare entière en do, donc ce sont les mêmes intervalles entre les cordes qu’un accordage standard. Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire de la bonne musique avec des chansons pop et légères si on les joue accordé très bas. Des chansons comme « Heal me » ou « Sob Story » par exemple, sont à la base des chansons pop, et en se désaccordant elles deviennent très lourdes. En fait c’est du bluff ! nous sommes de simples musiciens de pop !
Et pour les soli, as-tu improvisé ou les as-tu écrits de A à Z ? Je n’ai rien composé du tout, tout est improvisé. La majeure partie des soli m’a plu dès les premières prises alors que j’ai été obligé de recommencer et travailler un peu sur certains, faire des punch-ins par exemple (NdRC : technique de réenregistrement d’une partie seulement d’une mélodie, en laissant jouer le magnéto et le musicien en même temps – par-dessus – et en frappant la touche « enregistrement » – ‘punch’ – à partir de l’instant que le musicien veut réenregistrer – c’est le ‘in’). Encore une fois j’avais complètement baissé ma garde sur cet album, je ne ressentais pas le besoin de prouver quelque chose ou de refaire des trucs de taré comme utiliser un vibro ou des baguettes chinoises. J’adore tous ces gadgets, et j’ai déjà pleins d’idées pour mon prochain album solo. Les gens m’attendent au tournant, me disent « tu es un dingue ! » mais non, pas du tout, je suis totalement normal, je peux jouer de la guitare simplement, sans artifices. Je me suis juste dit « je veux jouer ! Je veux jouer avec un bon son, bien choisir mes notes,… « bref jouer de la guitare, tout simplement. Et ça fait du bien, ça soulage ! Quand on a mixé l’album, tout a été enregistré brut, et Roberto Laghi, mon acolyte de longue date m’a dit « et si on faisait quelque chose de différent pour une fois ? « Heal Me » fait penser à du King Crimson, et si on rajoutait un peu de reverbe sur le solo ? ». Je lui ai répondu que je n’étais pas un fan des effets, j’en mets jamais, mais pourquoi pas ? Ca change un peu alors pourquoi s’entêter ?
Et quel est ton morceau favori sur Organic ? Ca varie beaucoup… je pense que je les aime tous !
Et pour « Breathe », était-ce ton choix de finir l’album sur un morceau très calme et sombre à la fois ? Oui c’est un morceau très sombre en effet, c’est une chanson très triste ! C’est un morceau sur la perte d’un être cher, chose que l’on a tous vécu au moins une fois dans sa vie, et le pauvre Chris a perdu son frère l’année dernière. En fait j’ai écrit et enregistré la chanson avant de la faire écouter à Bjorn et Chris, sinon ça aurait sûrement été trop brutal pour Chris.
Quand je lui demandé s’il voulait que cette chanson soit sur l’album, j’ai bien vu que ça l’affectait beaucoup. Même encore maintenant, il me dit « j’arrive toujours pas à écouter cette chanson… mais je l’adore ! » Ce titre est plein d’émotion et je pense qu’il rend Organic meilleur. On a décidé de le mettre en dernier car il est complètement différent du reste et peut-être trop chargé en émotion pour le mettre en piste cinq… on se dirait « je me sens bizarre après avoir écouté cette chanson… » On peut toujours arrêter l’album à la piste onze si on en a envie. Mais je suis content de l’avoir ajoutée, je pense que c’est un des meilleurs moments de l’album. Ca a même été dur de la chanter pour moi, j’ai perdu mon père il y a 2 ans, des chiens et même la catastrophe du raz-de-marée en Asie du Sud-Est où de nombreux Suédois on été tués. Elle peut s’appliquer à pas mal de contextes. En enregistrant les deux premiers couplets, j’ai réalisé que j’allais me mettre à pleurer tout le temps en chantant ça, alors je me suis dit que je ferais mieux d’aller me promener avec ma chienne Maya pour prendre l’air. Puis j’ai enfin réussi à chanter le dernier couplet et j’étais soulagé de mettre cette chanson de côté et de revenir à ma routine, regarder un film d’Arnold Schwarzenegger en m’enfilant du pop corn ! Mais c’est bien, c’est une des nombreuses facettes de Freak Kitchen. On écrit des trucs carrément stupides comme « Independent Way of Life » et parfois des trucs plus sérieux et tristes. « Sob Story » par exemple est une chanson très pop sur laquelle les gens peuvent chanter mais encore une fois, il faut se demander : « mais qu’est ce qu’on est en train de chanter ? De quoi est-ce que ça parle vraiment ? ». En fait cette chanson parle du fait de ne pas être voulu, d’être perdu, avec des parents dérangés qui vous ont mis au monde par erreur,… mais bon on peut voir ça de plusieurs façon… mon dieu mais je ne vais jamais m’arrêter de parler ? (rires). Shut up ! Ca c’est « Speak When Spoken To » ! (rires. Ce titre est extrait de l’album). Ok, je me tais maintenant !
Dans quelle mesure les textes d’Organic sont-ils autobiographiques ? Il y a sans aucun doute du vécu dans mes textes, pas forcément de manière totalement autobiographique, mais ce sont des parties dans lesquelles je me reconnais tout le temps.
Par exemple, je suis à 100% derrière « Look Bored ». Je m’adresse aux gamins blasés, c’est une chanson anti-apathie, il faut savoir apprécier ce que l’on a. Tout compte fait je suis quelqu’un de vraiment heureux, j’ai une vie excellente, je savoure les bonnes choses qui m’arrivent mais je ne considère pas cela comme acquis, j’essaye d’apprécier et de respecter ce qui m’arrive. J’essaie de répondre à tous mes courriels, de parler aux gens qui achètent nos CDs et qui à côté de ça doivent aussi payer leurs factures, mettre de l’essence dans leurs voitures, etc. Il faut absolument respecter ceux qui nous écoutent et « Look Bored » parle de tout ça.
Dans « Mussolini Mind », il est question de revoir ses anciens amis ou copains d’école, des gens que l’ont croient bien connaître, mais qui après plusieurs années ressurgissent, et vous découvrez alors qu’ils se sont transformés en gros porcs racistes ou fascistes. Vous vous dîtes « mais que c’est-il passé ? Est-ce qu’on est devenus si différents ? ». Ca m’est arrivé pas mal de fois et il y a un exemple particulier d’un mec avec qui je m’entendais bien, et maintenant j’en suis à me demander si on vient de la même planète. C’était le genre de mec avec qui je sortais boire des bières et vomissais dans les buissons, et quinze ans plus tard je me dis « mais bordel, qui es-tu ? La vie a-t-elle été si dure avec toi ? ». On trouvera toujours ce genre de mecs, le stéréotype même du connard aigri et cynique. C’est de ça que cette chanson parle : « mind your mussolini mind » (attention à ton esprit mussolinien), ça n’a rien avoir avec les Italiens ou quoi (rires), c’est juste une expression.
Pour finir parlons un peu de l’actualité de Freak Kitchen. Le 22 avril votre concert à Stockholm a été filmé par huit caméras… En fait 11 caméras !
… qu’est que cela sous-entend? En fait ça ne sous-entend rien dire du tout, ça ne veut pas dire qu’on va sortir un DVD live… même si nous allons le faire ! Mais il contiendra de nombreuses prises différentes. Ce concert marque juste le début des années « organiques » à venir. On va filmer autant de concerts que possible. On vient d’investir dans des caméras numériques mais pour ce concert c’est un mec complètement fou qui veut absolument faire quelque chose de parfait, mais nous filmons aussi le Sweden Rock Festival, la totalité de la tournée espagnole, tous les concerts en France, au Japon, Taiwan, Hollande, Norvège, Suède, Danemark, Islande, Angleterre, et tout le reste pour en faire un DVD live super cool. (NdRC : ok les kids ?). On va sûrement piocher dans ce que ce gars (NdRC : François-Xavier » FX » Fillon, de guitar-heroes.com, un temps collaborateur de Progressia) a filmé aussi.
Comme pour le DVD bonus qui accompagnera Organic, ce que j’aime c’est que ce que FX a filmé c’est authentique, rien de sophistiqué, ce n’est pas du Dolby 5-point-Shit Surround, blah blah blah, car ce n’est pas vraiment comme ça qu’on vit un vrai concert. Il faut se rendre sur les lieux, se déchaîner, transpirer, s’éclater et c’est à ce moment là que l’on peut capturer la véritable essence/ambiance d’un concert.
C’est ça que j’aime regarder. Par exemple c’est bien plus drôle de regarder quelque chose comme l’épisode du médiator que quelqu’un du public m’a lancé et que j’ai réussi à attraper comme par magie. C’est le genre de truc qui n’arrive qu’une fois dans une vie. C’était pendant « Taste My Chopstick ». Quelqu’un me demande de lui jeter un médiator et je réalise que je n’en ai qu’un et que je ne peux pas lui donner…
C’est très professionnel ! En effet ! (rires) Et ce mec me jette un médiator, et moi qui suis habituellement si maladroit, je l’attrape comme par magie ! C’est unique et c’est génial que quelqu’un soit là pour filmer ça ! Peut importe qu’on ait fait des versions bien meilleures de « Taste My Chopstick » (NdR : « Taste my Fist » entrecoupé de « Chopstick Boogie »), c’est de divertissement dont il s’agit, arriver à capturer ces moments uniques qui se produisent de temps en temps lors d’un concert de Freak Kitchen. Bien sûr qu’on peut jouer mieux ou mieux chanter mais on s’en fout ! Ce n’est que du divertissement ! Euh… de quoi suis-je en train de parler… ah oui le concert de Stockholm ! (rires).
Merci Mattias ! Tu es désormais libre de dire tout ce que tu veux. OK ! Les dents de la mer, hey, blablabla, pfffff, « objectif, sony », (il lit ce qui est marqué sur le caméscope) blablabla. Et… haha… Surprise! (il brandit une crevette en plastique devant la caméra). Bref (rires) je suis content d’être ici et n’achetez pas cet album (il montre Scratch n Sniff de Fate, son premier groupe) ça ne vous apportera rien de bon ! (rires). Merci d’être venu chambre 22, hôtel de la merde Général caca à Paris, France, Planète Terre et… c’est tout ! Propos recueillis par Julien Damotte retour au sommaire |