ENTRETIEN : MIRIODOR | |
Origine : Canada/Québec Style : Rock In Opposition Formé en : 1980 Composition : Bernard Falaise – guitares, basse fretless, table tournante Pascal Globensky – claviers, synthés, piano Rémi Leclerc – batterie, percussions, électronique Nicolas Masino – basse, claviers, piano Marie-Soleil Bélanger – violon, erhu Marie-Chantal Leclerc – Saxophones Dernier album : Parade (2005) | Amateurs de la poutine, réjouissez-vous ! Les fins gourmets de Miriodor se sont mis à table pour Progressia. Au Québec aussi, on sait faire de la bonne cuisine (et en rire) ! Progressia : Pascal, peux-tu présenter le groupe pour Progressia ? Pascal Globensky : Miriodor a vu le jour en 1980, lors de ma rencontre avec François Émond (multi-instrumentiste : flûte, violon, clarinettes, claviers). Le groupe a connu de nombreux changements de personnel, mais nous avons réalisé six albums, tous publiés chez Cuneiform, notre label. En 1987, François Émond a quitté le groupe et nous sommes restés sous la forme d’un trio, Remi Leclerc, Sabin Hudon et moi-même. Nous avons expérimenté alors les nouvelles possibilités qu’offrent les technologies musicales informatiques, en particulier les systèmes MIDI. Cela nous a permis de présenter des oeuvres aux orchestrations étonnamment denses pour un trio, Miriodor en 1988 et Troisième avertissement en 1991. Fin 1993, la venue de Bernard Falaise a apporté du sang neuf au groupe, et c’est avec lui qu’est publié en 1996 Jongleries élastiques. Pour les concerts, des musiciens occasionnels s’ajoutent à la formation de base dont Nicolas (Masino) qui est rapidement devenu indispensable. En 1998, le groupe s’est transformé en quintette, avec l’ajout de Marie-Chantal Leclair et en 1999, nous avons enregistré notre cinquième album, Mekano. Au total, nous avons réalisé six albums, tous publiés chez Cuneiform, notre label.
Jusqu’à présent, comment avez-vous ressenti la sortie de Parade ? Les réactions sont-elles bonnes ? Les réactions par rapport à Parade sont excellentes! On a reçu de très bonnes critiques d’un peu partout en Europe (France, Italie, Espagne, Allemagne, Hollande, Portugal, etc.) ainsi que d’Amérique et du Japon. Nous sommes bien contents de l’accueil réservé à notre travail.
Malgré les quatre ans d’écart entre Mekano et Parade, il semble clairement y avoir une approche identique dans l’écriture et la production, le premier étant un peu plus «rock» que le second. Qu’en pensez-vous ? PG : Parade est, je crois, un « mix » entre Jongleries élastiques et Mekano, avec quelques nouvelles directions. L’approche de l’écriture est effectivement semblable mais je crois qu’elle est plus poussée et plus recherchée sur Parade et la production est selon moi supérieure à Mekano. Dans l’ensemble, la démarche fut la même que pour l’album précédent, mais l’intention était différente. Consciemment ou pas, on travaille souvent en réaction à notre travail précédent. Mekano avait un son plutôt rock pour Miriodor et une approche « in your face », alors qu’avec Parade, on a mis beaucoup l’accent sur les mélodies et une certaine finesse, souvent développées avec des instruments acoustiques. Logiquement, le prochain disque de Miriodor devrait avoir une tendance heavy metal ! (NdlR : nous, on veut bien !). Nicolas Masino : Je crois que vous résumez assez bien la comparaison que l’on peut établir entre ces deux albums. Plusieurs facteurs peuvent bien sûr expliquer à la fois la continuité mais aussi les différences que l’on retrouve entre les deux albums. Sur Mekano, j’ai travaillé sur plusieurs pièces directement sur la basse électrique, alors que j’ai abordé Parade en utilisant davantage le clavier. Dès le départ, les choix d’instrument créent une dynamique différente, et orientent en quelque sorte inconsciemment les choix esthétiques et compositionnels qui seront faits à mesure que les pièces s’élaborent. Par ailleurs, les deux albums ont été enregistrés par Pierre Girard, ce qui confère une homogénéité certaine au niveau de la production. En revanche, notre collaboration était encore toute jeune sur Mekano, et Pierre a eu davantage recours à certains procédés (distorsion, compression, filtrages plus radicaux) hérités de ses projets disons de rock plus « lourd ». Sur Parade, nous avons opté pour une image audio plus « naturelle », mettant plus en évidence la diversité de la palette instrumentale utilisée (accordéon, basson, piano à queue, etc.), tout en permettant une perception plus nette des contrepoints parfois assez denses qu’on y retrouve.
Dans votre musique, vous semblez être de plus en plus concernés par l’écriture que par l’aspect improvisation, particulièrement dans vos deux derniers albums. Est-ce que vous le revendiquez ? Question connexe : de quelle manière travaillez-vous les compos ? PG : Miriodor est avant tout un groupe de musique écrite. C’est ce sur quoi le groupe met l’accent. Ceci dit, il y a toujours un certain degré d’improvisation dans ce que l’on fait, qui n’apparaît peut-être pas dans le produit final mais qui est bien présent dans la méthode de travail. Je crois que les gens ne réalisent pas vraiment qu’il y a un petit nombre de pièces improvisées sur tous nos disques, à l’exception du premier et de Mekano. Il y en a sur Parade et si ce n’est déjà fait, je te laisse les découvrir (NdlR : Merci Nicolas !). Quant à la méthode de composition, elle est différente pour chaque pièce. Il y a des morceaux qui proviennent d’improvisations, mais la plupart du temps, un membre du groupe apporte une ébauche de pièce (plus ou moins avancée) et chacun des membres du groupe trouve sa partition. Habituellement, on brise la pièce en sections et on les travaille séparément. La partie la plus complexe est souvent de rassembler ces sections. NM : Je crois que nous sommes tous plus ou moins conscients du fait que l’originalité et la force de Miriodor se situent d’abord au niveau de l’écriture. Je découvre régulièrement des dizaines de bassistes et de claviéristes dont le jeu est autrement plus développé ou spectaculaire que le mien, j’imagine que j’essaie de compenser en m’efforçant de trouver au moment de l’écriture des thèmes, des rythmes ou des harmonies auxquels j’espère que les autres ne penseront pas. Ceci étant dit, il devait au départ y avoir de l’improvisation sur Mekano, mais des imprévus et des délais au niveau de la production ont fait que tout le temps de studio disponible a servi aux compositions. Par contre, nous avons enregistré quelques improvisations au moment de Parade. Deux d’entre elles, « Checkpoint Charlie » et « Préparatifs de vacances », ont abouti sur l’album. Comme en témoigne l’enregistrement au NEARfest, il y a aussi davantage d’improvisation dans nos spectacles.
Comment s’est passée la collaboration avec Lars Hollmer sur Parade ? PG : Ça s’est vraiment très bien passé, malgré la difficulté de travailler à distance. Nous nous sommes échangés des CD-R par la poste. J’ai toujours aimé le travail de Lars, dont j’écoute la musique depuis vingt ans. Et j’ai toujours trouvé qu’il y avait des similitudes entre l’univers de Lars Hollmer/Samla et celui de Miriodor. Pouvoir fusionner les deux univers fut vraiment génial ! C’est un artiste qui a une multitude d’idées et nous avions l’embarras du choix dans ce qu’il nous a présenté. La bonne nouvelle est qu’il y a une volonté commune de continuer cette collaboration.
Quelles sont les influences de Miriodor ? Sont-elles situées en Europe ou en Amérique ? PG : Les influences varient avec les différents membres du groupe. Il est donc impossible de les résumer ou d’en spécifier quelques-unes. Pour ma part, j’ai été plus influencé par la musique des groupes d’avant-garde d’Europe, les groupes du regroupement Rock in Opposition notamment. J’ai été très peu influencé par des groupes américains, à l’exception de Zappa et Beefheart. NM : J’ai la chance de donner depuis plusieurs années un cours d’histoire de la musique qui va de l’Antiquité à la période contemporaine. J’écoute donc régulièrement un répertoire qui va des chants grégoriens au free jazz, et de John Dowland à Jimi Hendrix. Dans le cadre de mon travail avec Miriodor, je crois que les influences les plus nettement perceptibles se trouvent du côté de Zappa et King Crimson pour ce qui est du rock, et de Stravinsky et Bartok pour ce qui est de la musique « sérieuse ». Mon jeu de basse doit aussi être marqué par mon intérêt éternel pour le funk.
On vous catalogue comme un groupe de RIO. Est-ce que cela vous sied, sachant que votre musique est passablement versatile et difficilement classable ? En fait, on pourrait résumer par la question : quel genre de musique jouez-vous ? PG : Je préfère éviter la dernière question. Pour ce qui est de la première, même si je n’aime pas du tout les étiquettes en général, je ne déteste pas celle de RIO par rapport à notre musique. Je ne sais si nous sommes de la trempe des six groupes d’origine [NdlR : Henry Cow, Univers Zero, Etron Fou Leloublan, Stormy Six, Samla Mammas Manna, Art Zoyd… j’ai juste ?], mais nous avons la même démarche pour ce qui est de l’absence totale de compromis dans notre musique. Il y a aussi le fait que nous rejetons les passages où les influences nous sont apparentes. NM : J’ai écrit tout un texte sur le site web du groupe à ce sujet, et je ne le sais pas davantage aujourd’hui ! Disons simplement que c’est une musique qui cherche à traiter le groupe rock comme un ensemble de musique de chambre, ce qui est finalement assez rare aujourd’hui.
Vous cultivez un humour certain. Est-ce un aspect primordial du groupe ? PG : Oui, l’humour est très important dans notre processus de création. Comme notre musique est instrumentale, on cherche à ce qu’elle génère le plus d’images possible dans la tête de l’auditeur, un peu comme une musique de film. Sans la présence de paroles pour donner une direction à une pièce, nous développons des petites histoires pour la plupart de nos pièces et ces histoires sont plus souvent qu’à leur tour rigolotes, farfelues ou surréalistes. Il y a une grande part d’imaginaire dans ce que l’on fait et l’humour y tient une bonne place. NM : Je crois que j’aurais effectivement de la difficulté à évoluer au sein d’une formation qui se prenne trop au sérieux. La présence d’éléments humoristiques dans notre musique témoigne d’une part d’une forme de distanciation par rapport au discours lui-même, mais elle traduit également un élément important dans la dynamique du groupe, où règne en général une salutaire joie de vivre.
Vous avez joué cette année au festival de Gouveia, qui devient d’année en année plus important dans la scène progressive. Quels souvenirs en gardez-vous ? Votre concert sera-t-il présent dans le prochain DVD publié par laPortugal Progressivo associaçã qui organise ce festival ? PG : Ce fut vraiment très plaisant d’être de retour en Europe, même si c’était que pour un seul concert. Ce fut un grand moment pour plusieurs raisons : nous présentions le matériel de Parade en exclusivité en Europe (le disque sortant au même moment), la fantastique occasion de jouer quelques morceaux avec Lars Hollmer et Michel Berckmans (bassoniste d’Univers Zéro) et le fait d’être l’une des deux têtes d’affiche du festival avec Univers Zéro. Pour ce qui est du DVD annuel de Gouveia, je sais que le spectacle a été filmé, mais nous n’avons toujours rien vu. J’imagine que nous allons être contactés par l’organisation de ce festival cet automne ou cet hiver.
Quels sont les projets futurs de Miriodor ? Aura-t-on la chance de voir le groupe partir en tournée en Europe ? PG : Après quatre ou cinq spectacles dans les derniers mois, on devrait se remettre à composer du nouveau matériel cet automne. Pour ce qui est d’un retour en Europe, nous sommes assez dépendants d’une invitation de la part d’un ou quelques festivals. C’est très dispendieux pour nous d’aller faire des concerts là-bas. Alors, le message est lancé ! NM : Nous n’attendons que ça…
Pourquoi ne sortir qu’un album tous les 4 à 5 ans ? Vous consacrez-vous à d’autres projets ? PG : Les membres du groupe sont tous impliqués dans d’autres sphères d’activités (musicales ou pas). Il est absolument impossible de vivre de la musique de Miriodor… du coup, le groupe est comme un passe-temps (parfois extrêmement prenant !) et c’est pour ça que nous travaillons lentement. Malgré tout, c’est une démarche qui ne nous a pas trop mal servi jusqu’à maintenant. NM : En fait, la composition, l’arrangement, les répétitions, les corrections, l’enregistrement, le mixage, la post-production et le mastering ne prennent que trois semaines. C’est de nous mettre d’accord sur le texte de la pochette qui prend de 4 à 5 ans.
Que pensez-vous des scènes RIO et progressive actuelles ? Est-ce qu’il y a des groupes qui ont titillé votre oreille ? Et qu’en est-il au Québec et au Canada ? PG : Il y a plein de groupes qui font d’excellentes choses. J’aime beaucoup le travail de Dave Kerman, Present, Volapuk, Blast, etc. Au Québec, mon dernier coup de cœur a été pour le groupe Rouge Ciel. NM : Nous avons eu la chance de jouer en programme double avec Present en juillet dernier, et mes oreilles vrombissent rien que d’y penser ! Il y a longtemps que je n’avais pas vu un spectacle à la fois aussi intéressant du point de vue de la composition et aussi décoiffant au niveau des décibels…
Encore un petit mot pour les lecteurs de Progressia ? PG : Merci de votre intérêt pour la musique hors normes ! NM : Merci de vous intéresser à nos élucubrations. Et on espère retourner en Europe très bientôt. Y a-t-il un promoteur dans la salle ? Propos recueillis par Jean-Daniel Kleisl site web : http://www.miriodor.com Label : http://www.cuneiformrecords.com retour au sommaire |