ENTRETIEN : IMMUNE | |
Origine : Grande Bretagne Style : Art-rock Formé en : 2002 Composition : Paul Tinsley – chant, guitares Rich Blakey – guitares, claviers Adam Tinsley – basse Shorn Keld – batterie Dernier album : 1/f (2006) | Après notre chronique de 1/f, illustrée par le morceau « Selling Screen », Progressia se penche encore d’un peu plus près sur Immune, un nouveau venu de Leeds auteur d’un grand premier album. A la croisée de Tool et de Radiohead, les anglais font déjà preuve d’une étonnante maturité.
Progressia : Bonjour! Pouvez-vous nous rappeler brièvement l’histoire du groupe jusqu’à ce jour ? Paul : Nous nous sommes rencontrés en 2002 et avons passé une grosse première année à développer notre son avant de décider de sortir et de jouer en concert. Nous avons enregistré notre premier mini-album, Elek, à la fin de l’année 2002, disque sorti chez Gizeh Records en 2003. Nous avons ensuite constitué un répertoire de concert et avons joué à Leeds et dans les alentours. Pendant les deux années qui ont suivi, nous avons préparé les titres de notre premier album, tout en tournant en Grande Bretagne, en tant que groupe de première partie pour des artistes comme 90 Day Men, Oceansize, Pelican et d’autres. Nous sommes entrés en studio à l’été 2005, et avons enregistré 1/f en trois mois. Le disque est sorti en mai 2006, et nous le promouvons en concert depuis lors.
Comment décririez-vous votre musique à quelqu’un qui n’en a jamais écouté une seule seconde ? Adam : Il est difficile de décrire une chose par des mots, lorsqu’elle n’existe que sous une autre forme. C’est sans doute la question la plus difficile que l’on puisse nous poser. Mais, en tant que groupe, nous essayons de repousser les limites du contenu et des textures sonores utilisés dans la musique. Pourrait-on dire que vous êtes le chaînon manquant entre Tool et Radiohead ? Paul : Dans la presse et les chroniques que nous avons eu à ce jour, ces deux groupes ont été nommés pour nous définir, cependant je pense que c’est plus leur éthique qui fait qu’on nous compare, plutôt qu’une similarité entre nos sons ou nos musiques respectives. Ils expérimentent et font progresser tous deux à la fois leur musique et la musique en général, ce sont des pionniers, que nous admirons. Mais bien d’autres artistes nous inspirent pareillement, donc nous limiter à un chaînon manquant, je dirais non… Votre biographie précise explicitement que plusieurs écoutes sont nécessaires pour entrer dans votre univers, ce qui est vrai. Comment expliquez-vous que vos titres ne se révèlent que progressivement ? Rich : On présume parfois que vous savez tout de votre propre musique car vous l’avez créée. Cependant, nous concernant, nous développons des chansons en tant qu’individus marchant vers un but final, chacun de nous quatre offrant quelque chose de différent mais lié aux trois autres. Cela nous a pris du temps pour arriver à contrôler le processus et faire que chacun de nous tende vers une même direction, et je crois que nous continuons de découvrir comment cela fonctionne. En conséquence, toutes ces relations à découvrir expliquent pourquoi l’album ne prend tout son sens que lorsque l’on a fait soi-même ce chemin. Quelque chose de frappant avec 1/f : la variété de l’instrumentation (violons, pianos, trompettes). Avez-vous écrit les arrangements pour les titres, ou se sont-ils ajoutés au fil de l’enregistrement ? Shorn : Pour gagner du temps lors de l’enregistrement, nous avons réalisé des démos de l’album d’un niveau qualitatif raisonnable dans notre propre studio, de sorte que les instrumentations étaient prêtes et arrangées par le biais d’échantillons sonores, sachant que nous voulions remplacer ces parties par de vrais instruments. Rich est allé en Thaïlande et a récupéré un dulcimer à cordes que l’on peut entendre quelques fois sur le disque. Ce n’était bien entendu pas prévu, mais il savait qu’il ne voulait pas faire ce son avec une guitare ou un clavier… Une autre chose intéressante est l’influence de la musique électronique. Comment avez-vous abouti à un titre comme « Flux », qui est de l’ electro abstraite ? Shorn : En réalité, « Flux » existait sous une autre forme, plus basée sur la guitare et la batterie, mais nous savions qu’ainsi, le titre ne fonctionnait pas. Nous voulions avant tout conserver l’ambiance créée par les voix. Nous avons juste senti que le titre nécessitait un fond sonore exclusivement synthétique. Encore une fois, nous avons réalisé le morceau en démo, mais une fois en studio, Steve (notre producteur / ingénieur du son) nous a proposé quelques claviers analogiques, et nous avons ensuite jeté quelques nappes de claviers à travers des filtres, puis à travers d’autres claviers, en expérimentant avec les sons que nous avions créés. Je ne crois pas que cette chanson soit si différente musicalement des autres, c’est juste qu’elle porte un autre costume… Retrouvera-t-on encore plus cette influence dans le futur ? Rich : Nous sommes particulièrement influencés par la musique électronique, donc on ne peut que dire oui. Mais nous le sommes tout autant par les sonorités organiques, alors pourquoi se limiter à l’un ou l’autre ? Le son de basse est également très distinctif chez Immune… Adam : Je crois que chez nous la basse provient aussi de la guitare, des samples et des claviers. Une chose que nous aimons sont les gros sons de basses mal dégrossis, ils attirent toujours notre attention. Mais je crois aussi que nous portons aussi beaucoup d’intérêt aux textures des basses fréquences, plutôt que de nous focaliser sur les plus hautes. Cela demande un peu plus de concentration pour s’occuper de cette partie du spectre sonore, mais cela vaut définitivement le coup. Et votre approche du chant ? Paul possède une voix versatile, agressive mais pouvant aussi rappeler Jeff Buckley… Adam : Une approche naturelle… Ce qui est bien avec Paul c’est qu’il a en effet peu de limites en ce qui concerne sa voix, et qu’il couvre donc un large panel de fréquences. S’il enfilait son pantalon en cuir ultraserré, il pourrait même atteindre des notes élevées à la Buckley, à condition de l’y aider ! « Selling Screen » est en écoute sur notre site. Nous trouvons qu’elle vous illustre bien : un mot sur ce titre en particulier ? Paul : J’ai toujours vu en « Selling Screen » une bête à deux têtes : la première partie est presque enregistrée en direct tandis que la seconde la duplique au sein d’une atmosphère électronique, ce qui explique peut être pourquoi tu la vois comme une bonne représentation du groupe. Il s’agit d’une même progression, représentée de deux manières différentes. Et le titre continue de croître alors qu’on pourrait penser qu’il n’a plus de dynamique, et c’est là qu’il prend un autre tournant. Je crois que c’est un titre dur, mais d’une manière inédite et différente de ce que l’on entend par musique heavy. Sur les paroles, la chanson aborde les questions liées au magma d’informations qui fait le tour de la planète chaque jour, essayant de nous vendre un produit ou un autre, entraînant le plus souvent une surcharge d’information. La musique tend à représenter cela aussi. Votre musique est souvent en équilibre entre l’abstraction et l’accessible… Rich : Ce n’est pas délibéré. Je crois que ce qui nous rend accessible sont les mélodies, et pas juste les mélodies vocales. Mais la structure des titres et les strates de sons utilisées produisent une approche abstraite de la composition. C’est ce que nous aimons instinctivement dans la musique que nous écoutons, une musique mélodique qui vous touche émotionnellement et qui en même temps vous stimule mentalement. Je pense que la musique « couplet-refrain-couplet » dont on nous gave à longueur de journées est devenue stagnante et peut parfois ne pas être plus intéressante ou inventive que les programmes télévisés quotidiens. Mais si les gens apprécient de se nourrir à la diète, c’est leur choix. Cependant, nous aimerions que les grandes multinationales qui leur proposent ce genre de choses leur soumettent quelques options alternatives. Vos visuels et votre site web sont très sophistiqués. Qui est en charge de cet aspect et quelle image souhaitez-vous véhiculer à travers Immune ? Paul : Les visuels de l’album ont été réalisés par un vieil ami, Alex Gilmartin. Nous lui avons juste donné une démo de l’album, en lui laissant évoquer ses idées. Cependant, nous lui avons demandé d’utiliser le thème des mannequins, afin qu’il soit utilisé quelque part au cours du processus créatif. Nous connaissions son travail, et savions qu’il créait ses œuvres comme nous créons les nôtres, donc nous y avons vu un bon partenariat. Beaucoup de personnes ont évoqué la pochette, donc je crois qu’on peut dire qu’il a fait un très bon travail. Le site est surtout conçu par Shorn, qui a utilisé les thèmes d’Al en y ajoutant ses propres idées. Dans l’ensemble, on retrouve souvent un élément sombre et introspectif, tout comme dans notre musique je suppose. Vous avez tourné avec Oceansize. Vous trouvez des parallèles avec ce groupe ? Shorn : Nous n’avons pas vraiment tourné avec eux, nous avons juste ouvert quelques concerts pour eux, il y a quelques temps à présent. Il existe une base commune entre nous, car je crois que comme nous, ils aiment composer une musique qui met à l’épreuve l’auditeur et qui également possède des éléments électroniques. Au-delà de ces aspects, je crois que nous sommes deux groupes vraiment distincts. Considérez-vous votre musique comme « progressive », étant noté que cet adjectif est explicitement cité sur votre site Myspace ? Rich : Il est difficile de parler de sa propre musique, car on la voit avec un regard bien différent de l’auditeur. Nous essayons de créer quelque chose de nouveau, c’est certain. Nous voulons être nous-mêmes et ne pas régurgiter la musique d’autres artistes, même si quelqu’un qui vous écoute va toujours essayer de se rattacher à quelque chose qu’il connaît et comprend déjà. Mais au final, il vous verra en tant que vous-même, et ce sont ces gens là qui pourront décider mieux que nous si nous sommes progressifs ou pas. A votre avis, y a-t-il un renouveau du genre avec Oceansize, Pure Reason Revolution ou Biffy Clyro ? Adam : Non, je crois qu’il y a toujours eu de la musique progressive, à toutes les ères musicales, il faut juste creuser un peu pour la trouver. La Grande Bretagne a été frappé par une vague indie-pop d’un coup, et lorsqu’une culture émerge, une anti-culture la suit et devient alors un peu plus apparente, je crois. Suite à cette vague pop, il y a eu plus de gens qui voulaient crier plus fort le nom des groupes n’évoluant pas dans cette catégorie, et il est heureux de constater qu’ils sont nombreux, ceux qui veulent que la musique leur apporte plus qu’une simple dose. Qu’en est-il de vos tournées, pour finir ? Shorn : Nous avons prévu de tourner pour promouvoir le disque le plus possible cette année, de sorte que l’Europe et les Etats-Unis sont une de nos priorités dans notre agenda. Une tournée en Grande Bretagne est également au programme, à compter de septembre. Propos recueillis par Djul site web : http://www.be-immune.com retour au sommaire |