ENTRETIEN : FERDINAND RICHARD | |
Nationalité : France Métier : Directeur de l’AMI Date de Création du MIMI : 1985 | Fondateur de l’AMI (Aide aux Musiques Innovatrices), qui organise chaque année le Festival MIMI, Ferdinand Richard est également le bassiste d’Etron Fou Leloublan, et un personnage actif au sein du réseau des musiques nouvelles en France. Il dresse pour nous un état des lieux de ce secteur culturel laissé en friche par l’industrie musicale, et discute des initiatives technologies, économiques mais aussi politiques à mettre en œuvre pour son développement. Progressia : Quelles sont les initiatives et les objectifs de l’AMI ? Ferdinand Richard : l’AMI a été fondée pour organiser le Festival MIMI. Ce festival a été, pendant un certain nombre d’années, la seule et unique activité de l’AMI, sa seule justification. Mais comme nous souhaitions présenter des signatures originales, innovantes et qui mélangent ce qui n’est pas autorisé dans le » manuel « , nous nous adressions à des artistes dont nous savions qu’ils avaient des difficultés d’accès au marché, de professionnalisation ou même de survie économique, tout simplement parce qu’ils n’étaient pas en phase avec les principaux distributeurs de musique en France. Et très vite, l’idée d’organiser un festival dans une région qui en compte beaucoup pour présenter ce genre de musiciens au public, et les renvoyer dans leur cave dès le lendemain, nous a parue un peu idiote et certainement pas efficace si l’on souhaitait les aider réellement. Nous nous sommes donc posé la question trois cent soixante et un autres jours de l’année. Et lorsque l’on soulève cette question, on se rend très vite compte qu’il n’y a pas de structures pour soutenir ces courants musicaux et contrairement à ce que les maisons de disques et le Ministère de la Culture peuvent nous dire, rien de tout cela n’est ni organisé ni clair. Nous avons donc cherché à savoir où ces artistes répétaient, comment ils survivaient, qui les accompagnait, les formait. Nous nous sommes aussi interrogés sur l’espace occupé par ces artistes : à quel niveau de » surface géographique couverte » ces artistes pouvaient-ils survivre ? International ou régional ? Et quelles structures pour les accueillir à ce niveau géographique ? Toutes ces questions sont passionnantes, et après dix-neuf ans, se limiter à un festival n’aurait que peu d’intérêt. Ce qui nous intéresse, c’est toute cette chaîne, c’est de partir du studio de répétition, voir qui gravite autour (manager, médias), pour aller vers la maquette, l’accès aux maisons de disques, jusqu’au disque. Lorsqu’en 1991, on m’a proposé d’être l’un des fondateurs de la Friche de la Belle de Mai (NDLR : la Belle de Mai est un quartier de Marseille, et la Friche un centre culturel orienté vers les avant-gardes de toutes sortes), on a sauté sur l’occasion. C’était l’opportunité de développer grandeur nature ces questions, puisque nous avions la possibilité de créer des studios de répétitions, aujourd’hui au nombre de sept, de construire des ateliers de pratique artistique, pour permettre la transmission du savoir des artistes plus expérimentés aux plus jeunes, et de commencer à mettre certains artistes en résidence. Par exemple, aujourd’hui, Otomo Yoshihide joue au Festival, mais il a été invité par notre association en 1996 avec Christian Marclay, pour une résidence avec 6 jeunes DJ du hip-hop marseillais. Ils ont fait un travail de confrontation, de répétitions et de studio, de compréhension du matériel discographique, et le tout a débouché sur un disque (NDLR : Memory and Money), puis sur un concert au MIMI et enfin à l’émergence de jeunes artistes comme Erik M., qui est sorti du lot grâce à cette résidence. Il serait sans aucun doute sorti de l’ombre autrement, mais cette rencontre de quinze jours, très personnelle et très intime avec Otomo lui a changé la vie et l’a fait avancer. Et si nous présentons aujourd’hui Otomo, ce n’est pas juste pour le montrer au passage et le renvoyer le lendemain. On crée du lien toute l’année, sur plusieurs années. Il n’y a donc pas deux projets distincts, le MIMI et l’AMI, et c’est pour cela que tout cela s’articule et que ce festival est un » Festival – Ateliers « , qui s’inscrit dans la continuité. À propos de cette initiative d’atelier, nous avons cru comprendre que vous développiez l’idée à l’échelon international, pour croiser les cultures… Bien sûr. En France, en Afrique ou en Russie, les problèmes sont les mêmes : être en région à huit cent kilomètres de Paris, c’est faire face aux même problèmes que les artistes des pays étrangers. Pourquoi les artistes, dès lors qu’ils sont confirmés, s’en vont-ils ? À Marseille, dès que nous avons un bon manager ou un bon musicien, il s’en va. À Kinshasa, un musicien est considéré comme professionnel lorsqu’il quitte son pays. Tant qu’il y reste, il n’est pas professionnel. Ici, il faut être à Paris, Bruxelles, Londres ou Tokyo : ceux qui restent n’ont pas » réussi « . Nous voulons inverser ce phénomène, cette perception. Cette problématique de développement se retrouve ici, dans une région un peu excentrée, au sein de l’Europe, pour laquelle le plan est d’avoir huit à dix grandes villes centres culturels. Pour la région Nord-Méditérannée, la ville en question sera Barcelone, pas Marseille. En dehors de ces villes, le reste est considéré au pire comme un désert, au mieux comme une réserve de matériaux bruts, à exploiter, pour le développer dans ces centres. Or, la coopération culturelle internationale que nous cherchons à développer consiste à fixer les gens sur place, les laisser indépendants et inventifs, et qu’ils soient reconnus sur toute la planète, sans être obligés de s’exiler à New York. S’ils s’en vont, c’est une perte. C’est ce que nous faisons à Marseille, ce travail d’accompagnement, c’est ce que nous avons ensuite développé à l’international Pour beaucoup, la coopération internationale consiste à présenter l’excellence française à l’étranger, ou éventuellement à repérer un ou deux artistes locaux pour les intégrer dans des festivals européens. Mais envoyer des équipes françaises ou internationales travailler sur place à la structuration de micro-entreprises, à la consolidation des groupes et des studios d’enregistrement, c’est quelque chose qui ne se faisait pas trop. Et notre ambition est de devenir les spécialistes de ce type d’initiative. On refuse de plus en plus de propositions, venant du Pérou, de Pologne ou d’ailleurs, car ce type de développement est évidemment durable, sur quatre ou cinq ans, et demande un lourd suivi. Mais cette démarche porte ses fruits : depuis que nous sommes allés à Dakar et Abidjan par exemple, tout le monde s’accorde à reconnaître à Dakar le statut de plate-forme du hip-hop africain, avec des artistes qui font des choses très intéressantes et inventives. Les membres des groupes de cette scène, managers compris, sont passés dans nos ateliers, pendant notre programme sur trois années. Je ne dis pas que cette scène n’aurait pas émergé sans nous, mais nous y avons contribué. Et ensuite, nous emmenons ces artistes : lors des débuts d’intervention à Kinshasa, nous avons six sénégalais, anciens stagiaires devenus formateurs, qui nous ont accompagnés. C’est cette dynamique que nous voulons initier. Le festival MIMI est la partie émergée de cet iceberg. Vous parliez de l’importance de garder les artistes chez eux. Comment se matérialisent ces échanges locaux ? » Simples » échanges culturels ou également financement de leurs projets ? Ça, c’est l’avenir. Pour l’instant, nous réfléchissons à des partenariats financiers, ici et là-bas, pour créer des fonds de garantie, des crédits mutuels, pour aider les artistes à entrer dans l’économique. Accéder à l’économie, c’est s’ouvrir à la démocratie, c’est développer son entreprise. On a tendance à croire que c’est le travail des majors, mais l’objectif de ces structures, c’est justement d’empêcher les initiatives privées pour conserver un monopole. C’est cette initiative privée que nous voulons développer et l’un des obstacles, c’est la crédibilité financière : il faut un partenaire qui se porte garant, il faut des systèmes, comme la tontine en Afrique ou le micro-crédit. A Nantes, avec le Trempolino ou à Lille, avec Domaine Musiques, il y a des organisations qui ont investigué la question, et ont mis en place des initiatives, qui ont fonctionné. Les garanties bancaires à Nantes n’ont joué que dans vingt pour cent des cas : le pied à l’étrier a donc fonctionné. En dehors de cela, l’artiste reste dans le cercle vicieux des demandes de subventions, à la frontière entre privé et public, où l’on maquille une initiative privée (le commerce de disques) en initiative publique et inversement. Il manque donc un maillon, et c’est étonnant de voir qu’un tel discours passe mieux auprès des Chambres de Commerce que des Maisons de la Culture. Nous entretenons un excellent contact avec la Chambre de Commerce de Marseille, car lorsque nous leur parlons de micro-entreprises, ses représentants comprennent bien notre discours. Pour revenir à vos propos sur la concentration du marché du disque, les chiffres montrent que la France est particulièrement touchée par ce phénomène (NDLR : En France, les producteurs discographiques indépendants ne représentent que 3,3 % de parts de marché, contre 16,1 % en moyenne dans les autres pays européens et 23,5 % dans le monde). Est-ce une des explications de la difficulté de l’émergence d’une scène indépendante en France ? Oui, je pense que le problème est bien la surconcentration entre quelques mains. Les majors ne sont pas plus mauvaises que d’autres maisons de disques, mais elles sont liées par une problématique simple : elles doivent utiliser le matériau brut dont nous parlions tout à l’heure et rentabiliser des capitaux étrangers. C’est comme la forêt à Bornéo que l’on exploite sans replanter derrière. Pour la musique en France, c’est la même chose : on trouve l’artiste qui va vendre deux millions de disques, on l’exploite ou on le coupe. Moi, je pense que c’est du mauvais business, pas intégré, pas » écologique « , sans recherche et développement, ce qui nécessiterait de soutenir des initiatives comme les nôtres, idée qui les éberlue totalement. Ces gens travaillent à l’anglo-saxonne, comme l’industrie lourde : ils exploitent un fonds de catalogue, en vinyle, puis en CD, sans investir sur un artiste. Mais c’est aussi un peu la faute des pouvoirs publics : pendant des décennies, l’innovation en musique était considée comme relevant du domaine public : l’Etat, le département, la région, mettaient de l’argent, et dès que quelqu’un sortait du lot, les majors rappliquaient et le faisaient signer. Mais c’est une fausse bonne idée. Et encore faut-il chercher le talent émergent, ce qui n’est pas franchement le cas… Bien sûr… Je suis en contact permanent avec ce type de problèmes : tous les jeunes tapent à leur porte sans arrêt. La politique de signature des majors est lamentable, leur but est » d’assurer au maximum » et ils favorisent le règne de la » copie conforme « . Il n’y a plus de prise de risque : pour les majors, cette prise de risque est aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, au Japon, – un peu – dans les pays nordiques, et c’est tout. C’est de l’économie à la petite semaine ! Avec les nouvelles technologies, l’industrie centralisée c’est fini, il existe des milliers de petits centres pouvant produire de l’économique. Concernant le MIMI, vous avez mis en place différents festivals, à Marseille mais aussi dans les pays du Nord et du Sud : y a-t-il des interactions, des artistes qui passent de l’un à l’autre ? Bien sûr ! Il y a des ateliers et surtout des opérateurs qui passent de l’un à l’autre. Nous emmenons des artistes de continent en continent, et ils se retrouvent ici, à Marseille. En deux semaines, par rapport à ce qu’ils peuvent connaître chez eux, ils gagnent une expérience incroyable, et ils s’orienteront de manière très différente ensuite. Y a-t-il des aboutissements discographiques de ces échanges ? Cela n’entre pas dans notre projet : c’est à eux de faire aboutir les échanges que nous initions. Nous ne travaillons pas sur des produits finis : si nous organisons un festival, c’est en rapport avec l’échange qui a eu lieu précédemment, ou qui aura lieu dans le futur. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas le projet discographique, mais le trajet. Nous essayons d’être en mouvement, en cohérence avec les nouvelles technologies et non un système concentré, pyramidal. C’est aux labels de prendre le risque, de s’engager vis-à-vis de l’artiste et d’investir. Nous, nous les interrogeons sur leur projet, sur ce qu’impliquent leurs idées, leur promotion, leur futur. Le Festival MIMI en est à sa dix-neuvième édition, une belle longévité pour un événement souvent éphémère, notamment en France. À quoi est-ce dû ? Je crois que c’est le choix des artistes et la manière que nous avons de travailler avec eux. Il y a aussi le Musique Action à Nancy, et la Semaine des Musiques Innovatrices à Saint Etienne, qui existent depuis des années. Pourquoi ? Parce que ce sont des gens attachés à des relations profondes avec certains artistes, qui n’ont pas pour objectif de faire la promotion pour les maisons de disques : il y a du fond. Ce qui fait la force du MIMI, ce sont les artistes et leur développement. … et côté public, souhaitez-vous vous ouvrir au plus grand nombre ? Bien entendu, mais pas à n’importe quelle condition. De plus en plus de gens sont intéressés par un nouveau type de relations à l’artiste et à l’organisation, qui ne veulent plus aller dans un » terminal de consommation « , manger ce qu’on leur donne. Beaucoup de gens au sein du public du MIMI ne connaissent pas les artistes de l’affiche. Mais ils viennent parce qu’ils savent que ça sera » différent « . Ils se sentent partie prenante d’une dynamique. C’est une question de respect du public. Dans la programmation MIMI, ils n’aimeront pas tout, et c’est normal. Ce qui est intéressant, c’est de prendre un risque. Beaucoup ne veulent plus être traités comme du bétail, notamment les jeunes, et je suis très optimiste pour l’avenir de ce point de vue là. Quels sont les critères de sélection pour figurer sur l’affiche du MIMI ? C’est difficile… . On ne fonctionne pas au coup de cœur : il y a des groupes que j’apprécie beaucoup qui ne passeront jamais au Festival et d’autres que je n’aime pas mais qui y figureront. Je ne crois pas qu’il soit juste de se faire plaisir avec de l’argent public. Il y a une ligne directrice, qui tourne autour des mélanges contre-nature, de tout ce qui est déstabilisant, et qui ne correspond pas à qui est écrit dans le » manuel « . Après, il y a un travail de » mariage » des groupes au sein d’une même soirée, et de mariage des soirées entre elles. Il ne faut pas huit groupes évoluant dans le même domaine esthétique, dans le même monde. Il faut des variations importantes, et des groupes de tous les horizons. Il y a donc des groupes qui ne sont pas programmés cette année, mais qui seront là l’année prochaine. Cette année, Otomo Yoshihide et Katz jouent, alors que je ne pouvais pas les faire venir l’année dernière pour des raisons de cohérence de programmation. Vous recevez également diverses représentations de théâtre… Cette année, je voulais particulièrement témoigner de ce phénomène. Je rencontre de plus en plus d’artistes qui ne sont plus seulement musiciens mais aussi plasticiens ou autres : il fallait montrer l’interdisciplinarité, comme avec Silent Block, qui touche aux arts visuels, ou les représentations mises en scène par Pesenti mais en musique, et voir interagir Tinariwen et la compagnie Maat. Ce sont trois spectacles que j’avais déjà vus, et dans lesquels le musicien n’est pas seulement un illustrateur mais aussi un acteur à part entière du spectacle. L’année prochaine, il y aura certainement encore du théâtre, toujours dans cette approche multidisciplinaire… Propos recueillis par Djul site web : http://www.amicentre.biz/ |