ENTRETIEN : SLUG | |
Origine : France Style : trip-hop progressif Formé en : 2008 Composition : Himiko Paganotti – chant John Trap – guitare Gabriel Dilasser – basse Emmanuel Borghi – claviers Antoine Paganotti – batterie Dernier album : SLuG (2009) | Nouveau-venu sur la scène progressive en cette rentrée 2009, SLuG n’est pourtant pas né de la dernière pluie. Cette jeune formation française regroupe sur son premier album trois musiciens de haute volée dont l’expérience et la valeur musicales ne sont plus à prouver. Entretien à bâtons rompus et mise au point salutaire sur un passé qui encombre parfois les perspectives d’un avenir qu’on souhaite radieux.
Progressia : Himiko et Emmanuel ont créé ensemble Paghistree en 2004. Pourquoi avoir mis de côté ce duo au profit d’un véritable groupe ? Himiko Paganotti et Emmanuel Borghi : En 2008, nous avions été contactés par Alain Lefebvre du label Off qui désirait sortir un album de Paghistree. Nous étions donc partis sur cette idée. Entre-temps, nous avons rencontré John Trap et il nous a paru évident de faire fusionner les deux projets, ce qui ne remet d’ailleurs pas en cause l’existence de Paghistree mais déplace simplement dans le temps son développement.
Comment s’est passée la rencontre avec John Trap ? Comment est-il arrivé dans SLuG ? Himiko : Tout s’est passé par le biais d’Internet. On se connaissait virtuellement tout en s’appréciant musicalement depuis un moment déjà, et c’est John Trap qui s’est lancé ! Il m’a d’abord demandé de chanter l’une de ses chansons et tout naturellement Manu s’est proposé de rajouter quelques claviers. On s’est ensuite rencontré en chair et en os après avoir fait ce premier morceau, « I Cannot Sleep in My Room ». Emmanuel : John Trap n’est donc pas « arrivé » dans SLuG puisque le groupe est né de notre rencontre. On peut même dire qu’il a été le déclencheur du projet, puisqu’il a été le premier à proposer une chanson. John Trap : Effectivement, j’ai proposé à Himiko et Manu de travailler sur un morceau que j’avais composé au milieu de l’année 2008. Comme ça s’est très bien passé, on en a fait un deuxième et, de fil en aiguille, tout un album ! SLuG est la rencontre des univers de Paghistree et de John Trap.
Comment travaillez-vous à distance, puisque Emmanuel et Himiko sont en région parisienne et John Trap en Bretagne ? Himiko et Emmanuel : La confection des morceaux se déroule en plusieurs étapes : nous nous envoyons mutuellement des squelettes de chansons, auxquels chacun ajoute ses idées. Petit à petit, la chanson prend corps jusqu’à atteindre sa forme définitive. Cette méthode de travail à distance a été rendue possible par Internet et les connexions haut-débit. John : Une trame de morceau part dans une direction ou une autre, et d’échange en échange, le titre se construit. Depuis la mise en place de la formule live, on se rencontre toutefois en « vrai de vrai ».
Justement, ces nouvelles possibilités changent-elles la façon de composer et dans quelle mesure ? Cela a -t-il un impact sur le résultat musical ? Himiko et Emmanuel : Sans Internet, notre collaboration n’aurait sans doute jamais vu le jour dans la mesure où cela nous a permis de travailler vite malgré l’éloignement géographique. Cela a également imposé une manière de composer un peu « chacun dans son coin », ce qui demande une confiance absolue. On ne s’est jamais retrouvé chacun derrière nos instruments, tous en même temps, pour faire une chanson… Mais c’est une manière de faire que nous apprécions. On compense lorsque l’on se retrouve pour adapter les morceaux pour la scène. Il y a un autre aspect très agréable dans le travail par Internet, une sorte de jubilation à découvrir ce que l’autre propose ! Le résultat musical ne s’en trouve pas réellement modifié hormis le fait que chaque musicien dispose de liberté et de temps pour approfondir ses idées, ce qui donne une réelle identité au travail de chacun. John : Je ne pense pas que ça change la façon de composer. En revanche, ça ouvre des possibilités de collaboration qu’on n’aurait même pas imaginées il y a quelques années. En 2007, j’ai même travaillé avec un musicien de Houston au Texas, sur un morceau en duo.
Antoine Paganotti (batterie) et Gabriel Dilasser (basse) ont-ils un rôle live uniquement ou sont-ils membres du groupe à part entière ? Seront-ils amenés à prendre part à l’écriture à l’avenir ? Himiko et Emmanuel : Lorsque nous avons décidé de donner une dimension live à notre projet, nous avons vaguement évoqué l’idée de tourner dans la même configuration que l’album. Mais très vite, il nous a paru évident que la présence d’une section rythmique s’imposait pour donner plus de vie et d’impact à notre musique. Antoine et Gabriel font donc partie du groupe à part entière et, même si pour l’instant ils n’ont pas encore participé à l’écriture ni à l’enregistrement des morceaux studio, ils contribuent largement au son du groupe et ont donc une influence sur nos compositions futures. John : Pour la suite, tout est bien sûr complètement ouvert !
L’univers de SluG est assez éloigné de la « zeuhl » que vous avez pratiquée pendant des années, pour certains. Pourquoi avoir choisi d’explorer des territoires aussi différents ? Himiko et Emmanuel : Tout d’abord, pour nous, ce terme n’a pas vraiment de sens dans la mesure où il a été créé pour définir un mouvement musical dans lequel nous ne nous reconnaissons pas. Par exemple, One Shot a été étiqueté comme tel car trois de ses membres se trouvaient être également dans Magma. Si l’on analyse les différents critères qui définissent la « zeuhl », on s’aperçoit qu’il suffit de jouer une musique basée sur un son électrique, des riffs répétitifs, une volonté de s’échapper des formats usuels (durée, puissance sonore, complexité des compositions…) pour être immédiatement assimilé à ce mouvement. Cela voudrait alors dire que Herbie Hancock en fait partie, tout comme Miles Davis, Tony Williams et son Lifetime et si l’on va plus loin, James Brown, Sun Ra, Mahavishnu Orchestra et pourquoi pas les Sex Pistols ! Nous n’avons par conséquent pas du tout l’impression de nous éloigner du territoire « zeuhl » car, pour nous, il n’existe que dans l’esprit de ceux qui l’ont créé. John : Je n’ai pas pratiqué la « zeuhl », mais j’ai fait de la « meuhl » quand j’avais quatorze ans ! (rires)
A-t-il été difficile de mettre au point cette nouvelle orientation musicale ou correspondait-elle au contraire à des choses qui vous tentaient depuis longtemps ? John : Pour ma part, le travail dans SluG est dans la continuité de celui que j’effectue depuis maintenant pas mal d’années. Il se nourrit aussi de rencontres, et c’est également le cas avec Himiko et Manu. Himiko et Emmanuel : Comme nous l’avons déjà signalé, nous venons tous les deux d’univers musicaux très différents qui ont cependant la chanson comme dénominateur commun. En effet, comme l’évoque très bien Denis Desassis dans sa chronique de l’album pour Citizen Jazz, il n’y a pas de différence fondamentale entre une chanson de Kate Bush (pour ne citer qu’elle) ou un standard de jazz. Une jolie mélodie, de belles harmonies, c’est ce à quoi nous avons toujours aspiré et ce malgré le fait que nous ayons pu être entendus dans des contextes qui peuvent sembler n’avoir rien en commun avec tout ça. Tout ceci s’est donc fait très naturellement.
Qu’avez-vous retenu de votre expérience avec Magma ? Himiko et Emmanuel : Heuuu… (rires) Plus sérieusement, cela nous a permis d’acquérir une certaine expérience de la scène et de développer une manière de gérer le son et l’énergie. Cela nous a permis également de rencontrer John Trap, qui nous a connus au travers de Magma et ça, on ne peut que s’en réjouir ! John : Qu’il faut bien différencier l’homme de l’œuvre… il paraît… (rires)
Comment vivez-vous tous deux le fait de composer enfin vos propres titres et de pouvoir les jouer en concert ? Himiko et Emmanuel : Nous avons toujours composé et joué nos propres titres, que ce soit au sein de Monkey Toon, de One Shot, Paghistree, etc. C’est donc plus une découverte pour le public que pour nous.
Comment ces concerts se déroulent-ils ? Le public est-il plutôt orienté trip hop et pop, ou est-il majoritairement composé d’amateurs de Magma, One Shot, John Trap, etc. ? Himiko et Emmanuel : Pour l’instant, nous n’avons donné que trois concerts. Il est donc assez difficile de se faire une idée précise sur la question. Nous avons joué dans trois contextes très différents. Le premier concert s’est déroulé en Bretagne dans le fief de John Trap et l’on peut donc dire que le public était plutôt orienté pop rock. Le second a eu lieu au Triton et là, effectivement, on a pu voir de nombreuses « têtes » qui ne nous étaient pas inconnues ! Le dernier en date était un festival de jazz et nous avons reçu un très bon accueil d’un public d’abord surpris puis conquis. Nous pouvons l’affirmer à la lumière du nombre impressionnant d’albums vendus ce soir là ! SLuG semble toucher un public plutôt large et éclectique. John : Tout dépend où nous jouons et c’est aussi ce qui est intéressant. Le fait que l’ombre de Magma plane au dessus de ce groupe est autant un avantage qu’un inconvénient. Les gens qui s’attendent à un dérivé sont forcément surpris, positivement ou négativement d’ailleurs. En fait notre musique n’a rien à voir avec Magma, et je préfère citer Eels, John Williams, ou Iron Maiden. Cet été, nous avons joué à Dinan dans un festival devant un public qui n’a rien à voir avec la « zeuhl » et les retours ont été très enthousiastes. Notre présent et notre avenir sont dans un circuit en dehors de celui de la musique de Magma.
Comment se défait-on de l’étiquette de Magma qui semble avoir la vie dure et vous coller à la peau (même cette interview ne cesse d’en parler) ? Himiko et Emmanuel : Il est vrai que nous ne nous imaginions pas être à ce point marqués au fer rouge ! Le fait est qu’il va falloir du temps pour qu’une certaine partie du public nous voit comme des musiciens « normaux » et non plus comme des entités venues d’une planète mystérieuse. De plus, le rôle de John Trap et Gabriel Dilasser s’en trouve amoindri, ce qui est agaçant pour tout le monde. À nous de faire en sorte que cela ne dure pas trop longtemps… John : Bah, un peu d’éther et hop !
L’ambiance de l’album est assez onirique. Elle évoque Tim Burton, La Nuit du chasseur (l’album contient d’ailleurs une référence explicite à ce film). Bref : votre musique est étonnamment visuelle. Etes-vous d’accord avec ce ressenti ? Le cinéma joue-t-il un grand rôle pour vous ? Himiko : Notre univers est effectivement très visuel. Les trames musicales naissantes me viennent assez souvent d’une impression laissée par un rêve ou un cauchemar, d’une image précise d’un film ou même parfois de l’ambiance particulière d’un moment dont je suis resté imprégné. C’est très subjectif, mais au lieu de parler de ce que l’on a vu, la musique nous sert de témoin et permet de laisser une trace de ces instants. Il n’y a pas de message particulier finalement. Il se trouve aussi que, par hasard ou plutôt par chance, John Trap est lui aussi un grand fan de cinéma ! On affectionne souvent les mêmes films et réalisateurs, et tout naturellement notre travail est constamment stimulé par ce florilège d’images et de sensations ! John : Le cinéma est essentiel. C’est une de mes principales sources d’inspiration, dans les thèmes et dans l’utilisation des samples également. Je suis très touché quand on me parle de Tim Burton.
Quelles sont vos principales influences, musicales et extra-musicales ? Himiko : J’ai baigné dans la musique car j’ai pratiqué la danse classique très intensément pendant près de treize ans. Mon père étant bassiste professionnel, il nous a transmis, à Antoine et moi, le goût de la musique ; même notre mère jouait du piano à ses heures perdues. J’ai mis du temps à pencher vraiment sérieusement mes oreilles sur tout ce que j’entendais. Pendant longtemps, c’était comme un joli bruit de fond pendant que je jouais à la poupée ! Je pense que cela m’a permis d’aborder la musique de manière assez naturelle, comme un langage que j’aurais toujours entendu. Ma culture musicale a été d’abord celle de mon père. On lui piquait ses vinyles. Il y avait de tout, de Marvin Gaye à Kate Bush, Brel, Weather Report, Peter Gabriel, Jack Bruce, Miles Davis, James Brown, Otis Redding, Aretha Franklin, Police, Sting, King Crimson, … pour n’en citer que quelques-uns, et à l’adolescence, j’ai eu une grosse période de boulimie musicale où j’écoutais de tout en boucle, la radio et tous ses tubes des années quatre-vingt, les bons et les moins bons ! Toutes ces musiques me suivent encore et le cercle s’élargit toujours. A vrai dire, aujourd’hui, j’aime toutes les musiques dans la mesure où elles sont « habitées ». Emmanuel : Les différentes musiques que j’ai pratiquées depuis toutes ces années m’ont amené à écouter et à m’inspirer d’une multitude d’artistes. J’ai donc beaucoup de mal à répondre à ce genre de question et préfère ne pas citer de noms mais plutôt des courants musicaux. Le jazz des années be-bop et post-bop reste sans doute aujourd’hui la musique que j’ai le plus écoutée et surtout travaillée. Mes parents étant amateurs de musique classique (ma mère était violoniste d’orchestre), j’ai donc également été nourri des œuvres de Beethoven, Mozart ou encore Chopin lorsque j’étais enfant. Plus tard, j’ai découvert, comme tout adolescent, le rock, le reggae, la pop et ce que l’on appelle le rock progressif, ce qui m’a naturellement amené à découvrir Magma. Vous connaissez la suite… John : J’ai une passion sans limite pour la musique symphonique de films (John Williams, Howard Shore, Bernard Herrmann), mais je ne renie pas non plus mes influences heavy metal (Iron Maiden et consorts). Enfin, je joue de la guitare d’une façon plutôt new wave. En vrac, ça donne : Eels, The Cure, Peter Gabriel, Thomas Newman, Marillion, Poor Boy, James Newton Howard, Angelo Badalamenti, Kim Wilde, PJ Harvey, Dan Ar Braz, etc.
Vous êtes très actifs sur Internet. L’album est écoutable en entier gratuitement sur le web, vous êtes inscrits à de nombreux réseaux sociaux qui servent à promouvoir votre musique (Facebook, MySpace). Vous avez diffusé un teaser live avant la sortie de l’album. Quel est votre rapport à Internet et à la communication autour de SLuG, d’une manière générale ? Quel est votre positionnement par rapport à la dématérialisation de la musique ? Emmanuel : Internet est un outil formidable car il permet avec très peu de moyens financiers de toucher un nombre incroyable de personnes. Il est certain qu’en terme de promotion et de communication cette technologie est une véritable aubaine, surtout pour des projets comme le nôtre qui ne bénéficient pas encore d’une exposition médiatique classique (télévision, radio, presse, etc.). Le revers de la médaille réside dans le fait qu’Internet permet également de télécharger de la musique gratuitement et donc souvent illégalement, ce qui représente certainement un « manque à gagner » pour les artistes qui se font « pirater » et dont nous faisons sans doute partie. En revanche, je reste persuadé que pour des gens comme nous, être « piraté » démontre simplement l’intérêt que nous porte le public. Paradoxalement, ne pas l’être serait le signe d’un désintérêt et serait donc, quelque part, plus négatif. Tout le monde ne sera sans doute pas d’accord avec ce raisonnement mais je pense que, quelle que soit la manière dont notre musique arrive dans les oreilles des gens, l’essentiel est qu’elle y parvienne. John : Nous avons la chance d’avoir dans notre entourage des personnes qui nous soutiennent et font ce qu’elles savent et peuvent faire pour diffuser l’image et la musique du groupe. Je pense à Mathilde Beaujean qui a réalisé le teaser live et le clip, ainsi qu’à ooTiSkulf pour la publicité du groupe sur le net. Concernant Hadopi : on nous vend du haut débit, du CD-R quasi gratos, du lecteur mp3 à gogo, les disques sont trop chers, les gens n’ont plus d’argent… No comment !
Quels sont vos projets pour les mois à venir ? Des concerts sont-ils prévus ? De nouvelles compositions en cours ? Himiko et Emmanuel : Nous avons commencé à travailler sur le prochain album, quelques nouveaux titres sont déjà bien avancés, et nous avons petit à petit des perspectives de concerts. Le Triton nous a proposé de rejouer dans le cadre du festival Les Enchanteuses. La date est prévue pour le 26 mars prochain. Nous allons également animer une semaine de Master Class à Dôle en avril qui se conclura par un concert au Moulin de Brainans. Pour l’instant, notre calendrier est plutôt clairsemé vu que nous n’avons toujours pas de tourneur pour la France. Nous nous occupons donc de tout nous-mêmes, ce qui n’a rien d’évident. John : Notre priorité est de continuer à rôder la formule sur scène. Nous avons aussi de nouveaux morceaux en cours de fabrication. Nous participons par ailleurs à l’émission de Bruno Letort sur France Musique consacrée à la chute du mur de Berlin, dans la nuit du 15 au 16 ou du 22 au 23 novembre à minuit. Nous avons enregistré à cette occasion une pièce de deux minutes trente environ qui sera diffusée parmi les différentes propositions sonores de plus de cinquante compositeurs.
Un dernier mot pour les lecteurs de Progressia ? Himiko et Emmanuel : On espère simplement qu’ils auront envie de nous suivre sur ce nouveau chemin. John : Mangez bio… mais pas trop ! Propos recueillis par Jérémy Bernadou et Fanny Layani Photos de Fabrice Journo site web : SLuG retour au sommaire |