Vox Nostra – Déclinaisons Zeuhl
Anima est le premier album de Pierre Minvielle-Sébastia, un artiste qui se réclame ouvertement du mouvement Zeuhl, mais qui souhaite très clairement ne pas s’encombrer d’étiquettes restrictives et réductrices. Interprété en latin, ce disque laisse la part belle aux jeux de voix masculines et féminines, à la méditation et au sentiment d’apaisement quasi-religieux. Ces audaces ont charmé Progressia…
Progressia : Anima est un disque entièrement composé en latin et ce choix suscite deux questions : d’abord, maîtrises-tu cette langue au point de pouvoir composer seul ou as-tu repris des thèmes existants ? Ensuite, une part évidente de mysticisme rejaillit du choix du latin. Quel était le « message » que tu souhaitais faire passer à tes auditeurs de ce point de vue ? As-tu la foi ?
Pierre Minvielle-Sébastia : Les textes d’Anima sont empruntés à certains écrits chrétiens non prosélytes du douzième siècle – exceptés « Litanie » et « Mater » que j’ai rédigés –, notamment le « Magnificat », le « Tantum Ergo », le « Sanctus ». Je les comprends, ayant derrière moi quelques années de latin au lycée. Il existe plusieurs traductions faciles à trouver sur Internet ou dans n’importe quel missel. Tout cela a été facilité car je venais d’écrire deux commandes de musique sacrée : un requiem pour chœur et orchestre, et une messe ordinaire pour chœur et orgue d’église. Je connais assez bien cette langue, ce qui m’a permis d’écrire moi-même les textes très abordables du second album en préparation intitulé Ubi Es.
Je dirais que le latin est une langue vernaculaire, celle de l’Eglise, même si on le parle et l’étudie dans le monde entier. C’est une langue bien vivante, qui sonne bien en chant, comme l’italien ancien. Nous ne sommes pas les seuls à faire revivre ces sonorités… Le choix est esthétique, essentiellement. Selon moi, le mysticisme est une posture intellectuelle. La foi est une force, un ensemble de croyances qui nous fait aller de l’avant. Nous vivons actuellement dans une sorte de syncrétisme teinté de christianisme installé depuis des siècles. Je pense que les gens attendent autre chose que du prêt-à-penser ou du « prêt-à-prier » désormais. Comme une entente cordiale, c’est une aspiration commune à bien des personnes, en tous cas. Il n’y a pas de message à proprement parler, à chacun et chacune de bien vouloir réfléchir aux thèmes énoncés. Nous allons plutôt vers une inspiration de cette culture que vers une Eglise unifiée… Pour ma part, je crois aux progrès, certes pénibles, de l’humain, et à ses réalisations quotidiennes allant dans le sens d’un monde moins brutal et plus juste. Le chemin est long…
D’une manière générale, les artistes Zeuhl semblent toujours vivre sur une autre planète, se nourrir d’une autre forme de réalité, s’en inspirer : es-tu d’accord avec ce lieu commun ? Qu’apporte aujourd’hui ce genre au monde tel que tu le conçois ?
Un artiste digne de ce nom doit penser ce qu’il dit, le peser, et il a toute sa responsabilité dans cette société en tant qu’acteur et créateur de formes artistiques qui, comme un film ou un ouvrage, donnent à réfléchir sur la vie en général, et sur la sienne en particulier. Nombre de gens ont vu leur vie transformée par un disque, un morceau ou une chanson. Nous ne sommes pas dans l’utopie. Nous espérons par l’accueil fait à nos musiques un mieux être, une confiance. Ecouter Anima, c’est aussi se reposer l’esprit pendant une heure, aller au-delà de soi, ou bien au contraire en soi.
Ce disque est autoproduit, cela représente-t-il pour toi un énorme sacrifice ?
La musique est de toutes les façons un gros sacrifice dans la vie d’un individu. C’est un métier difficile pour qui cherche l’excellence… Nous produisons selon nos moyens actuels.
As-tu démarché un label pour publier ta musique ?
Oui mais aucun ne m’a proposé quelque chose de très sérieux. J’ai donc décidé de lancer une première gravure modeste à compte d’auteur.
Comment la diffuses-tu ? Comment se comportent les ventes ? Qu’en attends-tu ?
Le premier album commence à se vendre un peu. Nous avons deux distributeurs en vente par correspondance pour le moment : Cosmos Music et Progpulsion. J’en attends un peu de notoriété afin de conquérir des possibilités de concerts et une place dans la musique.
Latin, musique classique, jazz-rock aux sonorités très seventies : le décalage avec nombre de productions contemporaines ne semble pas te déranger. Envisages-tu un jour de partir vers d’autres contrées ?
Les modes se suivent, mais dans le progressif ou la Zeuhl, les oreilles sont bien ouvertes et restent fidèles à une façon de composer. Dans les dernières compositions, je me suis un peu lâché sur les rythmes, les couleurs et les textes. Le résultat sonne un peu différent, plus direct je pense. Il y a aussi une jolie chanson en français : tout cela évolue, explore…
Qui s’est chargé du visuel réussi, marquant et séduisant de cet album ? Souhaiterais-tu, comme on le voit désormais souvent, allier ta musique à des concepts visuels plus généraux ?
Merci ! Il a été tourné par Eric Castanet, un très bon réalisateur de métier. Bien sûr que j’aimerais pouvoir porter cette musique somme toute assez théâtrale sur des toiles ou des rencontres avec d’autres domaines, car elle comporte en elle-même une scénographie, ne serait-ce que par ses textes. Le prog’ est assez proche de l’opéra finalement. Il propose des tableaux. Quoi qu’il en soit, Vox Nostra n’exprime pas un monde chaotique ni statique, et ne saurait être représenté par des montages fulgurants mais plutôt une recherche de l’harmonie et de la douceur.
Tes réactions à la chronique parue dans Progressia étaient dénuées d’ambiguïtés ! La comparaison avec Magma semble parfois te peser, tu souhaiterais t’en détacher. Il est pourtant intéressant de mentionner un ou deux artistes connus aux lecteurs qui ne te connaissent pas, cela permet de les aider à t’identifier. Es-tu souvent confronté à ces comparaisons ? En quoi ton style se détache-t-il, selon toi, de celui de la bande à Christian Vander ?
Magma compose dans son propre style qu’il a baptisé lui-même Zeuhl, histoire d’être tout à fait à part, comme l’est sa musique. Cela appartient à César (culture latine oblige…), alors laissons-le lui. Je préfère chercher mes propres couleurs, utiliser d’autres méthodes, rester sobre sur les mesures. En revanche, le noyau chant-piano est totalement dans la veine néo-classique de Magma, c’est indéniable. Franchement, j’avoue humblement que ce groupe a laissé quelques très bons plans qu’il est bien difficile de ne pas emprunter, en les remettant à sa sauce, si possible. Pour complexifier le tout, c’est un groupe qui a lui aussi une histoire, qui vient de quelque part, et son style bien caractéristique évolue. Je me demande souvent comment il trouve une telle musique en lui ! Pour résumer, je dirais que c’est un bel exemple à suivre, mais à ne pas trop imiter quand même…
D’une façon générale, tous les artistes sont dérangés par les étiquettes, mais elles restent malheureusement inévitables, ne serait-ce que par pur intérêt pédagogique. Toi-même, si on jouait à ce petit jeu, quelle copie rendrais-tu ?
Une voire plusieurs étiquettes ne me dérangent pas. Nous avons besoin de repères, comme tu le dis si justement. Néanmoins, dans le cas où il y a trop de colle derrière l’étiquette, je préfère tempérer l’auteur et lui proposer certains détails sur les différences de style, sur la façon d’écrire…
Le public de ta musique a la réputation un peu fausse d’être élitiste, ou tout du moins trié sur le volet. Les musiques dites Zeuhl, ou jazz progressives, sont rarement taxées de populaires ; dans le même temps, tes productions sont très accessibles. Comment se passe le travail de l’artiste de ce point de vue : cherche-t-on à contenter un public déjà familier, ou au contraire, tout l’intérêt est-il de le « désarçonner » un peu ?
Je pense, et tu dois le suggérer aussi, que ce public a de bonnes oreilles. Il n’aime pas le « prêt-à-écouter ». On peut flatter un public de manière à le ramener à un concept tribal ou élitiste, mais cela n’est pas mon propos… et ne le sera pas, même si j’obtiens un jour une plus large audience. Christian Vander dit que sa musique est « une musique populaire européenne », alors…Je suis toujours heureux d’entendre le mot « accessible » lorsqu’il s’agit de mes petits morceaux. Soit on cherche à faire ce qu’on entend, et on prend le risque d’infliger aux auditeurs quelque chose de vraiment trop barré ou de trop personnel (pour rester poli…), soit on essaie de camoufler la complexité inhérente à un morceau, ce qui permet de rester simple à écouter sans être mièvre. Tout cela est une question d’équilibre : ce qu’il faut retenir, c’est que dans un spectacle de marionnettes, les ficelles qui permettent à l’objet de s’animer, ne doivent pas se voir. En somme, tant mieux si ce que je compose est écoutable, sans emmener les gens à perpette. Je ne les embarquerai pas sur Kobaïa, je préfère qu’ils soient mieux sur Terre…
Les influences jazz de ce disque sont très nombreuses. Peux-tu les détailler un peu pour nos lecteurs ?
Je suis aussi pianiste de jazz, j’ai étudié la matière avec Bernard Maury et André Hodeir, deux très bons musiciens ! La partie jazz de mes compositions de Vox Nostra se tient dans les accords utilisés à plusieurs degrés. Maurice Ravel avait déjà conçu tout cela en maître.
Pourrais-tu résumer en quelques lignes ton itinéraire musical, tes compositions, tes albums, éventuellement ?
J’ai débuté le piano classique à six ans, je me suis mis au rock en étant adolescent, puis à la variété et encore à la Zeuhl avec Eider Stellaire, au jazz et au jazz rock… enfin, des groupes plus ou moins bons d’ailleurs, et de la comédie musicale pour aboutir à Vox Nostra, auquel je me consacre à fond.
Vis-tu seulement de ta musique ? Te produis-tu sur scène ? Peux-tu nous éclairer un peu sur la vie d’un artiste Zeuhl en 2010 ?
Entre les bouquins et quelques droits d’auteur, je m’en sors. Nous avons seulement fait deux concerts ! Pas d’autres propositions pour l’instant, malheureusement, ce qui aurait permis de propulser la machine, assez lourde j’en conviens. Un artiste Zeuhl ? Très simple : je me lève le matin, je bois un café, je fais mon footing puis des travaux divers tels que la cuisine, le ménage, le piano, le chant, les répétitions si on peut, un peu de basse aussi, des compositions, de l’écriture… Et le soir, je me couche !
Quelle est la part d’improvisation lorsque tu composes ? Y’a-t-il des reprises ou des changements de direction pendant les sessions d’enregistrement ou l’architecture des différentes compositions est-elle d’emblée mise en place en entrant en studio ?
Une idée de composition arrive en improvisant. On se dit : « Tiens ! Voilà une matière, un thème… ». Dès lors, on développe en fonction de son expérience et de son inspiration. Cela part toujours d’un texte écrit au préalable, je suis donc guidé par la structure et le sens de ce que j’ai posé sur le papier. Lorsque tout est rédigé, je distribue les partitions aux autres ; c’est un peu autocratique, mais ça marche très bien ! Seuls de petits détails viennent agrémenter l’affaire sur l’instant…
Il semble que le nouvel album en cours soit en latin. Ne crains-tu pas la redite ?
Pas du tout ! Il est très différent, bien plus rythmé et plus désinhibé. Ceci dit, il reste le français, et c’est vraiment difficile de bien écrire dans sa langue. J’ai également quelques idées en anglais, je verrai. Mais si le latin est un peu devenu notre marque de fabrique, c’est parce qu’il sonne bien. Sur ce nouvel album, cette langue devient carrément libre. On dirait une langue « normale ». Les textes sont très simples à comprendre, dans la mesure où je les écris moi-même. Je ne suis pas un compliqué de nature…
Chercheras-tu un label cette fois-ci ou préfères-tu garder ta liberté ?
Je ne sais pas trop… La liberté sans label, c’est vraiment cher. Je vais commencer par proposer aux maisons de disques sérieuses le prémaster, et si elles veulent le distribuer, je le ferai presser par mes soins. Le premier album reste aussi libre de toute proposition ou de réimpression.
On dit que Christian Vander a pu participer aux batteries. Est-ce une rumeur ou est-ce exact ?
Oui et non. Il a été une sorte d’éminence grise pour les batteries et la clarification d’Anima. Il recherchait lui-même moins de lourdeur avec sa batterie, plus de sens des percussions, et il n’a pas été difficile de me convaincre, me poussant à assumer la légèreté des harmonies jusqu’à son accompagnement rythmique. Il fallait élaguer, gommer… Nous nous apprécions, nous échangeons. On ne doit pas rester assis sur son popo (sic) sans remettre en question l’ouvrage en cours. D’ailleurs, je trouve que ses dernières compositions sonnent différemment, plus aériennes parfois…
Peux-tu clarifier ta présence sur scène ou dans les festivals ?
C’est le grand paradoxe ! Vox Nostra n’existe pas encore sur scène ! 2010 sera l’année où l’on va passer ce cap, j’espère.
Progressia : Anima est un disque entièrement composé en latin et ce choix suscite deux questions : d’abord, maîtrises-tu cette langue au point de pouvoir composer seul ou as-tu repris des thèmes existants ? Ensuite, une part évidente de mysticisme rejaillit du choix du latin. Quel était le « message » que tu souhaitais faire passer à tes auditeurs de ce point de vue ? As-tu la foi ?
Pierre Minvielle-Sébastia : Les textes d’Anima sont empruntés à certains écrits chrétiens non prosélytes du douzième siècle – exceptés « Litanie » et « Mater » que j’ai rédigés –, notamment le « Magnificat », le « Tantum Ergo », le « Sanctus ». Je les comprends, ayant derrière moi quelques années de latin au lycée. Il existe plusieurs traductions faciles à trouver sur Internet ou dans n’importe quel missel. Tout cela a été facilité car je venais d’écrire deux commandes de musique sacrée : un requiem pour chœur et orchestre, et une messe ordinaire pour chœur et orgue d’église. Je connais assez bien cette langue, ce qui m’a permis d’écrire moi-même les textes très abordables du second album en préparation intitulé Ubi Es.
Je dirais que le latin est une langue vernaculaire, celle de l’Eglise, même si on le parle et l’étudie dans le monde entier. C’est une langue bien vivante, qui sonne bien en chant, comme l’italien ancien. Nous ne sommes pas les seuls à faire revivre ces sonorités… Le choix est esthétique, essentiellement. Selon moi, le mysticisme est une posture intellectuelle. La foi est une force, un ensemble de croyances qui nous fait aller de l’avant. Nous vivons actuellement dans une sorte de syncrétisme teinté de christianisme installé depuis des siècles. Je pense que les gens attendent autre chose que du prêt-à-penser ou du « prêt-à-prier » désormais. Comme une entente cordiale, c’est une aspiration commune à bien des personnes, en tous cas. Il n’y a pas de message à proprement parler, à chacun et chacune de bien vouloir réfléchir aux thèmes énoncés. Nous allons plutôt vers une inspiration de cette culture que vers une Eglise unifiée… Pour ma part, je crois aux progrès, certes pénibles, de l’humain, et à ses réalisations quotidiennes allant dans le sens d’un monde moins brutal et plus juste. Le chemin est long…
D’une manière générale, les artistes Zeuhl semblent toujours vivre sur une autre planète, se nourrir d’une autre forme de réalité, s’en inspirer : es-tu d’accord avec ce lieu commun ? Qu’apporte aujourd’hui ce genre au monde tel que tu le conçois ?
Un artiste digne de ce nom doit penser ce qu’il dit, le peser, et il a toute sa responsabilité dans cette société en tant qu’acteur et créateur de formes artistiques qui, comme un film ou un ouvrage, donnent à réfléchir sur la vie en général, et sur la sienne en particulier. Nombre de gens ont vu leur vie transformée par un disque, un morceau ou une chanson. Nous ne sommes pas dans l’utopie. Nous espérons par l’accueil fait à nos musiques un mieux être, une confiance. Ecouter Anima, c’est aussi se reposer l’esprit pendant une heure, aller au-delà de soi, ou bien au contraire en soi.
Ce disque est autoproduit, cela représente-t-il pour toi un énorme sacrifice ?
La musique est de toutes les façons un gros sacrifice dans la vie d’un individu. C’est un métier difficile pour qui cherche l’excellence… Nous produisons selon nos moyens actuels.
As-tu démarché un label pour publier ta musique ?
Oui mais aucun ne m’a proposé quelque chose de très sérieux. J’ai donc décidé de lancer une première gravure modeste à compte d’auteur.
Comment la diffuses-tu ? Comment se comportent les ventes ? Qu’en attends-tu ?
Le premier album commence à se vendre un peu. Nous avons deux distributeurs en vente par correspondance pour le moment : Cosmos Music et Progpulsion. J’en attends un peu de notoriété afin de conquérir des possibilités de concerts et une place dans la musique.
Latin, musique classique, jazz-rock aux sonorités très seventies : le décalage avec nombre de productions contemporaines ne semble pas te déranger. Envisages-tu un jour de partir vers d’autres contrées ?
Les modes se suivent, mais dans le progressif ou la Zeuhl, les oreilles sont bien ouvertes et restent fidèles à une façon de composer. Dans les dernières compositions, je me suis un peu lâché sur les rythmes, les couleurs et les textes. Le résultat sonne un peu différent, plus direct je pense. Il y a aussi une jolie chanson en français : tout cela évolue, explore…
Qui s’est chargé du visuel réussi, marquant et séduisant de cet album ? Souhaiterais-tu, comme on le voit désormais souvent, allier ta musique à des concepts visuels plus généraux ?
Merci ! Il a été tourné par Eric Castanet, un très bon réalisateur de métier. Bien sûr que j’aimerais pouvoir porter cette musique somme toute assez théâtrale sur des toiles ou des rencontres avec d’autres domaines, car elle comporte en elle-même une scénographie, ne serait-ce que par ses textes. Le prog’ est assez proche de l’opéra finalement. Il propose des tableaux. Quoi qu’il en soit, Vox Nostra n’exprime pas un monde chaotique ni statique, et ne saurait être représenté par des montages fulgurants mais plutôt une recherche de l’harmonie et de la douceur.
Tes réactions à la chronique parue dans Progressia étaient dénuées d’ambiguïtés ! La comparaison avec Magma semble parfois te peser, tu souhaiterais t’en détacher. Il est pourtant intéressant de mentionner un ou deux artistes connus aux lecteurs qui ne te connaissent pas, cela permet de les aider à t’identifier. Es-tu souvent confronté à ces comparaisons ? En quoi ton style se détache-t-il, selon toi, de celui de la bande à Christian Vander ?
Magma compose dans son propre style qu’il a baptisé lui-même Zeuhl, histoire d’être tout à fait à part, comme l’est sa musique. Cela appartient à César (culture latine oblige…), alors laissons-le lui. Je préfère chercher mes propres couleurs, utiliser d’autres méthodes, rester sobre sur les mesures. En revanche, le noyau chant-piano est totalement dans la veine néo-classique de Magma, c’est indéniable. Franchement, j’avoue humblement que ce groupe a laissé quelques très bons plans qu’il est bien difficile de ne pas emprunter, en les remettant à sa sauce, si possible. Pour complexifier le tout, c’est un groupe qui a lui aussi une histoire, qui vient de quelque part, et son style bien caractéristique évolue. Je me demande souvent comment il trouve une telle musique en lui ! Pour résumer, je dirais que c’est un bel exemple à suivre, mais à ne pas trop imiter quand même…
D’une façon générale, tous les artistes sont dérangés par les étiquettes, mais elles restent malheureusement inévitables, ne serait-ce que par pur intérêt pédagogique. Toi-même, si on jouait à ce petit jeu, quelle copie rendrais-tu ?
Une voire plusieurs étiquettes ne me dérangent pas. Nous avons besoin de repères, comme tu le dis si justement. Néanmoins, dans le cas où il y a trop de colle derrière l’étiquette, je préfère tempérer l’auteur et lui proposer certains détails sur les différences de style, sur la façon d’écrire…
Le public de ta musique a la réputation un peu fausse d’être élitiste, ou tout du moins trié sur le volet. Les musiques dites Zeuhl, ou jazz progressives, sont rarement taxées de populaires ; dans le même temps, tes productions sont très accessibles. Comment se passe le travail de l’artiste de ce point de vue : cherche-t-on à contenter un public déjà familier, ou au contraire, tout l’intérêt est-il de le « désarçonner » un peu ?
Je pense, et tu dois le suggérer aussi, que ce public a de bonnes oreilles. Il n’aime pas le « prêt-à-écouter ». On peut flatter un public de manière à le ramener à un concept tribal ou élitiste, mais cela n’est pas mon propos… et ne le sera pas, même si j’obtiens un jour une plus large audience. Christian Vander dit que sa musique est « une musique populaire européenne », alors…Je suis toujours heureux d’entendre le mot « accessible » lorsqu’il s’agit de mes petits morceaux. Soit on cherche à faire ce qu’on entend, et on prend le risque d’infliger aux auditeurs quelque chose de vraiment trop barré ou de trop personnel (pour rester poli…), soit on essaie de camoufler la complexité inhérente à un morceau, ce qui permet de rester simple à écouter sans être mièvre. Tout cela est une question d’équilibre : ce qu’il faut retenir, c’est que dans un spectacle de marionnettes, les ficelles qui permettent à l’objet de s’animer, ne doivent pas se voir. En somme, tant mieux si ce que je compose est écoutable, sans emmener les gens à perpette. Je ne les embarquerai pas sur Kobaïa, je préfère qu’ils soient mieux sur Terre…
Les influences jazz de ce disque sont très nombreuses. Peux-tu les détailler un peu pour nos lecteurs ?
Je suis aussi pianiste de jazz, j’ai étudié la matière avec Bernard Maury et André Hodeir, deux très bons musiciens ! La partie jazz de mes compositions de Vox Nostra se tient dans les accords utilisés à plusieurs degrés. Maurice Ravel avait déjà conçu tout cela en maître.
Pourrais-tu résumer en quelques lignes ton itinéraire musical, tes compositions, tes albums, éventuellement ?
J’ai débuté le piano classique à six ans, je me suis mis au rock en étant adolescent, puis à la variété et encore à la Zeuhl avec Eider Stellaire, au jazz et au jazz rock… enfin, des groupes plus ou moins bons d’ailleurs, et de la comédie musicale pour aboutir à Vox Nostra, auquel je me consacre à fond.
Vis-tu seulement de ta musique ? Te produis-tu sur scène ? Peux-tu nous éclairer un peu sur la vie d’un artiste Zeuhl en 2010 ?
Entre les bouquins et quelques droits d’auteur, je m’en sors. Nous avons seulement fait deux concerts ! Pas d’autres propositions pour l’instant, malheureusement, ce qui aurait permis de propulser la machine, assez lourde j’en conviens. Un artiste Zeuhl ? Très simple : je me lève le matin, je bois un café, je fais mon footing puis des travaux divers tels que la cuisine, le ménage, le piano, le chant, les répétitions si on peut, un peu de basse aussi, des compositions, de l’écriture… Et le soir, je me couche !
Quelle est la part d’improvisation lorsque tu composes ? Y’a-t-il des reprises ou des changements de direction pendant les sessions d’enregistrement ou l’architecture des différentes compositions est-elle d’emblée mise en place en entrant en studio ?
Une idée de composition arrive en improvisant. On se dit : « Tiens ! Voilà une matière, un thème… ». Dès lors, on développe en fonction de son expérience et de son inspiration. Cela part toujours d’un texte écrit au préalable, je suis donc guidé par la structure et le sens de ce que j’ai posé sur le papier. Lorsque tout est rédigé, je distribue les partitions aux autres ; c’est un peu autocratique, mais ça marche très bien ! Seuls de petits détails viennent agrémenter l’affaire sur l’instant…
Il semble que le nouvel album en cours soit en latin. Ne crains-tu pas la redite ?
Pas du tout ! Il est très différent, bien plus rythmé et plus désinhibé. Ceci dit, il reste le français, et c’est vraiment difficile de bien écrire dans sa langue. J’ai également quelques idées en anglais, je verrai. Mais si le latin est un peu devenu notre marque de fabrique, c’est parce qu’il sonne bien. Sur ce nouvel album, cette langue devient carrément libre. On dirait une langue « normale ». Les textes sont très simples à comprendre, dans la mesure où je les écris moi-même. Je ne suis pas un compliqué de nature…
Chercheras-tu un label cette fois-ci ou préfères-tu garder ta liberté ?
Je ne sais pas trop… La liberté sans label, c’est vraiment cher. Je vais commencer par proposer aux maisons de disques sérieuses le prémaster, et si elles veulent le distribuer, je le ferai presser par mes soins. Le premier album reste aussi libre de toute proposition ou de réimpression.
On dit que Christian Vander a pu participer aux batteries. Est-ce une rumeur ou est-ce exact ?
Oui et non. Il a été une sorte d’éminence grise pour les batteries et la clarification d’Anima. Il recherchait lui-même moins de lourdeur avec sa batterie, plus de sens des percussions, et il n’a pas été difficile de me convaincre, me poussant à assumer la légèreté des harmonies jusqu’à son accompagnement rythmique. Il fallait élaguer, gommer… Nous nous apprécions, nous échangeons. On ne doit pas rester assis sur son popo (sic) sans remettre en question l’ouvrage en cours. D’ailleurs, je trouve que ses dernières compositions sonnent différemment, plus aériennes parfois…
Peux-tu clarifier ta présence sur scène ou dans les festivals ?
C’est le grand paradoxe ! Vox Nostra n’existe pas encore sur scène ! 2010 sera l’année où l’on va passer ce cap, j’espère.