Star One – Victime de la mode
Arjen Lucassen ne sait décidément pas rester inactif. Deux ans après 01011001 et un an après l’escapade Guilt Machine, le Hollandais revient pour le deuxième volet des aventures spatiales de Star One, en compagnie de ses petits camarades présents sur le premier épisode. Casting prestigieux s’il en est, cette nouvelle sortie n’a pourtant pas manqué de susciter quelques discussions quant à la (non) recherche d’originalité, tant sur le plan musical qu’au vu des invités. Arjen a répondu en toute franchise.
Progressia : Le moins qu’on puisse dire, c’est que tu ne sais pas rester sans rien faire. Depuis le premier volet de Star One, tu as publié deux albums d’Ayreon, deux disques de Stream of Passion et Guilt Machine… Au rythme d’un album par an, est-ce la vitesse de croisière que tu souhaitais ?
Arjen Lucassen : Le fait est qu’à l’inverse de nombreux amis musiciens, je ne fais pas de concerts. Or, cela représente un investissement colossal en termes de temps, j’irais même jusqu’à dire que les trois quarts d’une année sont bloqués par le processus. Entre les répétitions, les réservations de salles, les billets, tu ne vois pas l’année passer. Or je n’ai pas ce souci. J’ai du temps, d’autant plus que je n’ai pas d’enfants à charge. Je n’ai pas réellement de vie sociale, je vois peu d’amis, je ne sors que très peu. Je peux paraître asocial, présenté comme ça, mais en vivant ainsi, en composant dans mon studio, je reste très créatif et j’aime ça. J’ai traversé une période difficile après mon divorce, pendant les enregistrements du dernier Ayreon. J’étais plus bas que terre, presque à vouloir en finir avec la vie. C’était horrible, mais comme dit le dicton, ce qui ne tue pas rend plus fort. J’ai remis de l’ordre dans ma vie grâce à ma nouvelle compagne, Lori, qui est également mon manager, je vois la vie du bon côté, et tout cela ne fait que renforcer ma créativité.
Ce nouvel album de Star One, comme le précédent, est très imprégné de science-fiction, avec des références extrêmement pointues au cinéma. Ne serais-tu pas un peu geek sur les bords ?
(rires) Mais oui, absolument ! Pour moi, le cinéma est une échappatoire presque vitale. Quand je vois ce qui se passe dans ce monde, je n’ai pas l’impression d’en faire partie. Je me dis que la Terre tourne à l’envers. Entre les programmes télé à vingt centimes qu’on nous sert et ce qui se passe à l’échelle internationale, je ressens un réel besoin de déconnecter. J’aime l’heroic fantasy tout autant que la science. De manière générale je suis féru de tout ce qui a trait au Big Bang, à la création du monde, etc.
Puises-tu ton inspiration dans des lectures particulières ?
Je lis peu (rires), à part quelques comics dans ma jeunesse comme Spider-Man, les X-Men, etc. Mais j’apprécie beaucoup les séries télé. Star Trek a marqué le point de départ de mon amour pour la science-fiction. Par la suite j’ai découvert Farscape, Firefly, The X-Files, La Quatrième Dimension. Je suis un très grand fan de Dexter, je pense que c’est ce qui se fait de mieux en terme d’écriture aujourd’hui. J’aime cette dualité proposée entre ce gendre a priori idéal et sa personnalité machiavélique.
Penses-tu que tu pourrais développer à l’avenir un concept autour d’une histoire similaire pour un prochain disque d’Ayreon ?
J’y ai pensé. À vrai dire, je songe à construire le prochain Ayreon autour d’une histoire d’horreur ou d’épouvante. En fait, je ne sais pas du tout. (rires) Qui sait ? Pourquoi pas ? C’est une option !
Que ce soit pour Star One ou Ayreon, tes concepts sont très élaborés. Comment procèdes-tu ? Établis-tu d’abord ton histoire, puis la musique ?
Non, c’est assez bizarre. Je compose toujours la musique en premier. Pour moi c’est plus important que le concept. Je ne cherche pas à me limiter. Je compose, j’enregistre puis j’écoute et là, me viennent des images et des thèmes. Sur le premier album d’Ayreon, par exemple, j’avais ces ambiances médiévales et seulement ensuite, j’ai eu l’idée d’y ajouter mettre des sons plus modernes. C’était simple, je souhaitais narrer une histoire se déroulant au Moyen Âge, avec un lien vers le monde du futur, représenté par les synthétiseurs.
Certains de tes plus anciens et de tes plus exigeants fans sont un peu mal à l’aise avec certains de tes choix… Pourquoi donnes-tu autant d’importance à trois projets radicalement différents, alors que beaucoup semblent penser que tu restes beaucoup plus à l’aise sur des formats plus longs, qui impliqueraient sans doute de te concentrer sur un projet ?
Si le titre est long, c’est que je regorge d’idées, généralement à partir d’un accord ou d’une simple mélodie. Je l’enregistre tout de suite en studio puis je complète immédiatement après avec un nouveau riff. Si je trouve vraiment ce plan intéressant, je m’attarde dessus et j’en fais un titre d’une certaine durée. Avec Guilt Machine, mes titres favoris sont justement ces longues pièces. Je n’ai jamais aimé les titres courts de manière générale, j’ai toujours eu une préférence pour des morceaux tels que « Kashmir », « Stargazer » ou d’autres œuvres aventureuses qui sortaient en leur temps des sentiers battus.
Ne penses-tu pas que la formule employée pour Star One, qui est ton projet le plus proche d’Ayreon, n’ait eu tendance à s’user un peu avec le temps ? As-tu songé à collaborer avec un autre musicien par exemple, afin d’avoir une approche plus fraîche et des idées nouvelles ?
Pour être franc, je suis invivable. Il y a une part en moi qui me rend égocentrique au possible. Un travail de groupe comme avec Vengeance ou Bodine implique des concessions à faire, chose que j’ai de plus en plus de mal à supporter avec le temps. De l’extérieur, vous pensez sans doute que la composition est une chose aisée pour moi, mais la réalité est toute autre. La réalisation d’un album me prend en moyenne un an. Je suis capable de rester deux semaines sur la même idée alors que d’autres ont tendance à cravacher. Je peux la modifier constamment quitte à me lever au milieu de la nuit ! Je pose les bases tout seul, et quand vient le moment d’enregistrer les autres musiciens, différents aspects en modifient le contenu. Sur Victims of the Modern Age, je donne les pistes de chant à mes invités, mais je n’ai qu’un seul souhait en vérité, c’est qu’ils se les approprient et qu’ils fassent leur propre truc, c’est même pour cela que je les ai choisis. Alors oui, il existe une collaboration. Elle n’apparait qu’au moment de l’enregistrement, certes, mais elle est bel et bien présente.
Pourquoi avoir choisi les mêmes chanteurs que sur le premier volet ?
J’ai répété inlassablement que je ne ferai pas un deuxième album de Star One car je n’arriverais probablement jamais à recréer l’alchimie présente sur le premier volet. Peut-être aurai-je dû concevoir un album purement metal sans l’appellation Star One ? Quand j’ai commencé à chercher des chanteurs, je me suis demandé qui pouvait remplacer Russell. La réponse est simple : personne. Et le même raisonnement s’est fait pour Damian, Floor et Dan. J’en suis arrivé à la conclusion qu’Ayreon est un projet en mouvement constant, avec sans cesse de nouveaux chanteurs, alors que Star One est une entité à part, ponctuelle. C’est la première fois que je travaille avec les mêmes chanteurs sur un même projet. Naturellement j’ai pensé à d’autres chanteurs mais sincèrement, c’est très difficile. Pour remplacer Russell Allen, j’ai pensé à Jörn Lande ou Tony Martin, qui figure d’ailleurs sur le CD bonus de ce nouvel album. C’était un rêve pour moi de l’avoir. Mais pour le reste, j’ai eu beau chercher, impossible de dénicher la perle rare. Ces quatre voix se complètent de manière quasi parfaite, je pense qu’en changer une aurait brisé la magie.
Tu as commencé ta carrière il y a un long moment. Tu peux ainsi témoigner de l’évolution des techniques d’enregistrement, passant des bandes audio aux disques durs et logiciels. Cela a-t-il affecté ta manière de travailler, que ce soit tant au niveau de l’approche de la production que de la composition ?
C’est une très bonne question. Aujourd’hui c’est effectivement nettement plus facile, mais la qualité n’en est pas pour autant meilleure. Je repense notamment à Into the Electric Castle qui fut enregistré sur bandes. Nous étions tellement restreints en termes de pistes qu’il était impossible de corriger les imperfections vocales. Tout se faisait à la main. Et pourtant, quand je réécoute ce disque, c’est en terme de rendu sonore, le meilleur album que j’ai produit et composé à ce jour. Les ordinateurs facilitent la tâche et permettent d’atteindre une certaine forme de perfection, mais cela en devient quelque part dommage, presque honteux, car on perd en expression, en spontanéité et en émotion. Ce que je viens de dire sonne cliché, peut-être, mais c’est tellement vrai. Nous sommes « victimes de l’âge moderne », moi le premier. C’est un véritable engrenage, une fois que l’on y a mis le doigt, il est difficile de s’en sortir. Par exemple, enregistrer une ligne de chant était l’enfer à l’époque car il fallait rester juste du début à la fin, quelle que soit la difficulté. Aujourd’hui, tu peux chanter faux et un logiciel te corrige. Finalement, il est très difficile de ne pas se dire qu’après tout, on se moque de chanter faux, puisque le logiciel corrigera ensuite ! (rires) Bref, je préférerais finalement être limité technologiquement parlant car cela me permettrait de chercher à nouveau à atteindre la perfection.
Quels sont les premiers retours concernant Victims of the Modern Age ? Certains pensent que tu es moins inspiré en employant la même recette utilisée pour le premier volet. À part répondre que tu ne peux plaire à tout le monde, qu’as-tu à dire ?
Je peux comprendre. Ne prenez pas cela pour de l’arrogance, mais je dirai que je développe mon propre style. Pour moi c’est dans la continuité du premier album. C’est un disque plus heavy, plus moderne, plus chargé en guitare. Ce n’est pas un album d’Ayreon ou de Guilt Machine, c’est un disque de Star One et il est essentiel de replacer les choses dans leur contexte. Je ne pense pas qu’il devrait être foncièrement différent de son grand frère. En outre, je n’aime pas me répéter, j’espère ne pas l’avoir fait et que cela n’arrivera jamais à l’avenir. Aujourd’hui avec Internet, on a accès à tellement d’avis divergents…
Justement, parlons d’Internet. Au vu de tes bandes-annonces sur YouTube, tu sembles être très doué pour titiller la curiosité et l’impatience des fans…
Merci. J’aime prendre la température, impliquer à la fois amis et fans. J’avoue que c’est amusant de mettre en place ces concours tels que « Quel est le film qui a servi de trame pour ce titre ? », etc. Les retours sont encourageants. Je me souviens que lorsque j’ai réalisé la première bande-annonce, j’étais très nerveux, j’ai demandé à Lori si on faisait bien de la mettre en ligne, s’il fallait vraiment le faire (rires) ! Une fois publiée, nous sommes allés sur le forum et les réactions étaient nombreuses. Je dois dire que j’ai une certaine chance d’avoir des fans généralement unanimes. J’accepte toute critique, bonne ou mauvaise, du moment qu’elle est construite. Je n’ai jamais eu de mail haineux ou chargé d’insultes. J’ai d’ailleurs une anecdote à propos de ce forum, où une « émoticône » est souvent revenue dans les messages, sous forme de banane dansante. Cela a pris une ampleur incroyable, à tel point que pour la soirée de lancement de The Human Equation, dans le public certains fans étaient déguisés en bananes ! Imaginez-moi sur scène, avec le plus grand mal à me concentrer pour ne pas éclater de rire (rires) ! C’est le genre d’événement qui fait chaud au cœur, qui montre qu’on a réussi à fédérer quelque chose.
Tu es connu pour « débaucher » des chanteurs et des musiciens de leurs groupes respectifs, mais as-tu été sollicité pour contribuer à d’autres productions ?
Je reçois des invitations toutes les semaines, que je décline en grande majorité, principalement par manque de temps. Il m’est difficile d’écouter tous les groupes qui me sollicitent, soit pour jouer soit pour les produire. Au début je ne pouvais pas dire non, et dans certains cas je me suis retrouvé sur des productions que j’aurais préféré esquiver. J’ai fait pas mal d’apparitions en tant qu’invité et souvent je me suis demandé ce que je faisais là. Cela tient plus du retour de faveur ou d’amitié musicale… Or ce n’est pas si gratifiant finalement. J’ai donc arrêté. L’un de mes meilleurs souvenirs de collaboration reste « I Understand » de Rob van der Loo, l’ex-bassiste de Sun Caged. J’ai adoré cette expérience car j’avais une totale liberté de manœuvre, le but était de se faire plaisir.
As-tu déjà des idées pour le nouvel Ayreon ?
Pas dans l’immédiat. Or il faudra bien que je m’y remette un jour. C’est encore trop tôt et je suis un peu vidé, niveau inspiration. J’ai aujourd’hui en tête de faire plutôt un album solo, cela fait plusieurs années que j’y pense, et je crois que le moment est venu de m’y mettre. C’est un véritable défi pour moi.
De nouvelles têtes sont-elles à prévoir dans un futur proche sur l’un de tes disques ?
Ted Leonard d’Enchant possède une voix qui m’attire car il me rappelle Steve Walsh. (réfléchissant) J’ai également contacté Nils K. Rue de Pagan’s Mind, Michael Eriksen et Truls Haugen de Circus Maximus. J’aime beaucoup ces deux groupes, aussi impressionnants sur disque que sur scène, et je me verrais bien dans un futur proche ou lointain collaborer avec eux. Ils sont sur ma liste… composée d’au moins une cinquantaine d’autres noms. (rires)
Tu as dû apprendre la disparition tragique de Steve Lee…
Nous avons perdu un excellent chanteur, et à titre beaucoup plus personnel, je perds un collaborateur devenu par la suite un ami. Quand je repense à Steve, je revois une personne souriante qui respirait l’envie de bien faire en studio. 2010 n’est pas une bonne année : Peter Steele, Ronnie James Dio et maintenant Steve Lee ? Sans oublier Mike Baker il y a deux ans…
A ce propos, es-tu allé voir Gary Wehrkamp et Shadow Gallery lors du ProgPower Europe ?
Bien sûr, je n’aurais manqué ça pour rien au monde. Mais l’ambiance avait beau être bonne, j’aurais bien donné quelques coups de fouet à leur ingénieur du son pour le réveiller ! Il a véritablement saboté leur set et ça m’a mis dans une colère que vous ne pouvez pas imaginer ! J’ai pu voir cependant un groupe très heureux d’être sur scène et… ils ont largement compensé l’incompétence du gars derrière la console.
Le mot de la fin ?
J’ai une question si tu me le permets : qu’avez-vous pensé de Victims of the Modern Age ?
Pour être totalement franc, nous t’avons connu bien plus inspiré. Quelques rédacteurs l’ont écouté et pensent que tu es beaucoup plus à l’aise sur des longs morceaux que sur des titres courts plus directs.
C’est très important pour moi car c’est un disque direct, aux antipodes d’Ayreon et de Guilt Machine. Qu’il ne plaise pas, soit. C’était important dans tous les cas pour moi de le faire. Merci pour votre franchise et votre opinion.
(avec des questions de Fanny Layani & Jérôme Walczak)
Progressia : Le moins qu’on puisse dire, c’est que tu ne sais pas rester sans rien faire. Depuis le premier volet de Star One, tu as publié deux albums d’Ayreon, deux disques de Stream of Passion et Guilt Machine… Au rythme d’un album par an, est-ce la vitesse de croisière que tu souhaitais ?
Arjen Lucassen : Le fait est qu’à l’inverse de nombreux amis musiciens, je ne fais pas de concerts. Or, cela représente un investissement colossal en termes de temps, j’irais même jusqu’à dire que les trois quarts d’une année sont bloqués par le processus. Entre les répétitions, les réservations de salles, les billets, tu ne vois pas l’année passer. Or je n’ai pas ce souci. J’ai du temps, d’autant plus que je n’ai pas d’enfants à charge. Je n’ai pas réellement de vie sociale, je vois peu d’amis, je ne sors que très peu. Je peux paraître asocial, présenté comme ça, mais en vivant ainsi, en composant dans mon studio, je reste très créatif et j’aime ça. J’ai traversé une période difficile après mon divorce, pendant les enregistrements du dernier Ayreon. J’étais plus bas que terre, presque à vouloir en finir avec la vie. C’était horrible, mais comme dit le dicton, ce qui ne tue pas rend plus fort. J’ai remis de l’ordre dans ma vie grâce à ma nouvelle compagne, Lori, qui est également mon manager, je vois la vie du bon côté, et tout cela ne fait que renforcer ma créativité.
Ce nouvel album de Star One, comme le précédent, est très imprégné de science-fiction, avec des références extrêmement pointues au cinéma. Ne serais-tu pas un peu geek sur les bords ?
(rires) Mais oui, absolument ! Pour moi, le cinéma est une échappatoire presque vitale. Quand je vois ce qui se passe dans ce monde, je n’ai pas l’impression d’en faire partie. Je me dis que la Terre tourne à l’envers. Entre les programmes télé à vingt centimes qu’on nous sert et ce qui se passe à l’échelle internationale, je ressens un réel besoin de déconnecter. J’aime l’heroic fantasy tout autant que la science. De manière générale je suis féru de tout ce qui a trait au Big Bang, à la création du monde, etc.
Puises-tu ton inspiration dans des lectures particulières ?
Je lis peu (rires), à part quelques comics dans ma jeunesse comme Spider-Man, les X-Men, etc. Mais j’apprécie beaucoup les séries télé. Star Trek a marqué le point de départ de mon amour pour la science-fiction. Par la suite j’ai découvert Farscape, Firefly, The X-Files, La Quatrième Dimension. Je suis un très grand fan de Dexter, je pense que c’est ce qui se fait de mieux en terme d’écriture aujourd’hui. J’aime cette dualité proposée entre ce gendre a priori idéal et sa personnalité machiavélique.
Penses-tu que tu pourrais développer à l’avenir un concept autour d’une histoire similaire pour un prochain disque d’Ayreon ?
J’y ai pensé. À vrai dire, je songe à construire le prochain Ayreon autour d’une histoire d’horreur ou d’épouvante. En fait, je ne sais pas du tout. (rires) Qui sait ? Pourquoi pas ? C’est une option !
Que ce soit pour Star One ou Ayreon, tes concepts sont très élaborés. Comment procèdes-tu ? Établis-tu d’abord ton histoire, puis la musique ?
Non, c’est assez bizarre. Je compose toujours la musique en premier. Pour moi c’est plus important que le concept. Je ne cherche pas à me limiter. Je compose, j’enregistre puis j’écoute et là, me viennent des images et des thèmes. Sur le premier album d’Ayreon, par exemple, j’avais ces ambiances médiévales et seulement ensuite, j’ai eu l’idée d’y ajouter mettre des sons plus modernes. C’était simple, je souhaitais narrer une histoire se déroulant au Moyen Âge, avec un lien vers le monde du futur, représenté par les synthétiseurs.
Certains de tes plus anciens et de tes plus exigeants fans sont un peu mal à l’aise avec certains de tes choix… Pourquoi donnes-tu autant d’importance à trois projets radicalement différents, alors que beaucoup semblent penser que tu restes beaucoup plus à l’aise sur des formats plus longs, qui impliqueraient sans doute de te concentrer sur un projet ?
Si le titre est long, c’est que je regorge d’idées, généralement à partir d’un accord ou d’une simple mélodie. Je l’enregistre tout de suite en studio puis je complète immédiatement après avec un nouveau riff. Si je trouve vraiment ce plan intéressant, je m’attarde dessus et j’en fais un titre d’une certaine durée. Avec Guilt Machine, mes titres favoris sont justement ces longues pièces. Je n’ai jamais aimé les titres courts de manière générale, j’ai toujours eu une préférence pour des morceaux tels que « Kashmir », « Stargazer » ou d’autres œuvres aventureuses qui sortaient en leur temps des sentiers battus.
Ne penses-tu pas que la formule employée pour Star One, qui est ton projet le plus proche d’Ayreon, n’ait eu tendance à s’user un peu avec le temps ? As-tu songé à collaborer avec un autre musicien par exemple, afin d’avoir une approche plus fraîche et des idées nouvelles ?
Pour être franc, je suis invivable. Il y a une part en moi qui me rend égocentrique au possible. Un travail de groupe comme avec Vengeance ou Bodine implique des concessions à faire, chose que j’ai de plus en plus de mal à supporter avec le temps. De l’extérieur, vous pensez sans doute que la composition est une chose aisée pour moi, mais la réalité est toute autre. La réalisation d’un album me prend en moyenne un an. Je suis capable de rester deux semaines sur la même idée alors que d’autres ont tendance à cravacher. Je peux la modifier constamment quitte à me lever au milieu de la nuit ! Je pose les bases tout seul, et quand vient le moment d’enregistrer les autres musiciens, différents aspects en modifient le contenu. Sur Victims of the Modern Age, je donne les pistes de chant à mes invités, mais je n’ai qu’un seul souhait en vérité, c’est qu’ils se les approprient et qu’ils fassent leur propre truc, c’est même pour cela que je les ai choisis. Alors oui, il existe une collaboration. Elle n’apparait qu’au moment de l’enregistrement, certes, mais elle est bel et bien présente.
Pourquoi avoir choisi les mêmes chanteurs que sur le premier volet ?
J’ai répété inlassablement que je ne ferai pas un deuxième album de Star One car je n’arriverais probablement jamais à recréer l’alchimie présente sur le premier volet. Peut-être aurai-je dû concevoir un album purement metal sans l’appellation Star One ? Quand j’ai commencé à chercher des chanteurs, je me suis demandé qui pouvait remplacer Russell. La réponse est simple : personne. Et le même raisonnement s’est fait pour Damian, Floor et Dan. J’en suis arrivé à la conclusion qu’Ayreon est un projet en mouvement constant, avec sans cesse de nouveaux chanteurs, alors que Star One est une entité à part, ponctuelle. C’est la première fois que je travaille avec les mêmes chanteurs sur un même projet. Naturellement j’ai pensé à d’autres chanteurs mais sincèrement, c’est très difficile. Pour remplacer Russell Allen, j’ai pensé à Jörn Lande ou Tony Martin, qui figure d’ailleurs sur le CD bonus de ce nouvel album. C’était un rêve pour moi de l’avoir. Mais pour le reste, j’ai eu beau chercher, impossible de dénicher la perle rare. Ces quatre voix se complètent de manière quasi parfaite, je pense qu’en changer une aurait brisé la magie.
Tu as commencé ta carrière il y a un long moment. Tu peux ainsi témoigner de l’évolution des techniques d’enregistrement, passant des bandes audio aux disques durs et logiciels. Cela a-t-il affecté ta manière de travailler, que ce soit tant au niveau de l’approche de la production que de la composition ?
C’est une très bonne question. Aujourd’hui c’est effectivement nettement plus facile, mais la qualité n’en est pas pour autant meilleure. Je repense notamment à Into the Electric Castle qui fut enregistré sur bandes. Nous étions tellement restreints en termes de pistes qu’il était impossible de corriger les imperfections vocales. Tout se faisait à la main. Et pourtant, quand je réécoute ce disque, c’est en terme de rendu sonore, le meilleur album que j’ai produit et composé à ce jour. Les ordinateurs facilitent la tâche et permettent d’atteindre une certaine forme de perfection, mais cela en devient quelque part dommage, presque honteux, car on perd en expression, en spontanéité et en émotion. Ce que je viens de dire sonne cliché, peut-être, mais c’est tellement vrai. Nous sommes « victimes de l’âge moderne », moi le premier. C’est un véritable engrenage, une fois que l’on y a mis le doigt, il est difficile de s’en sortir. Par exemple, enregistrer une ligne de chant était l’enfer à l’époque car il fallait rester juste du début à la fin, quelle que soit la difficulté. Aujourd’hui, tu peux chanter faux et un logiciel te corrige. Finalement, il est très difficile de ne pas se dire qu’après tout, on se moque de chanter faux, puisque le logiciel corrigera ensuite ! (rires) Bref, je préférerais finalement être limité technologiquement parlant car cela me permettrait de chercher à nouveau à atteindre la perfection.
Quels sont les premiers retours concernant Victims of the Modern Age ? Certains pensent que tu es moins inspiré en employant la même recette utilisée pour le premier volet. À part répondre que tu ne peux plaire à tout le monde, qu’as-tu à dire ?
Je peux comprendre. Ne prenez pas cela pour de l’arrogance, mais je dirai que je développe mon propre style. Pour moi c’est dans la continuité du premier album. C’est un disque plus heavy, plus moderne, plus chargé en guitare. Ce n’est pas un album d’Ayreon ou de Guilt Machine, c’est un disque de Star One et il est essentiel de replacer les choses dans leur contexte. Je ne pense pas qu’il devrait être foncièrement différent de son grand frère. En outre, je n’aime pas me répéter, j’espère ne pas l’avoir fait et que cela n’arrivera jamais à l’avenir. Aujourd’hui avec Internet, on a accès à tellement d’avis divergents…
Justement, parlons d’Internet. Au vu de tes bandes-annonces sur YouTube, tu sembles être très doué pour titiller la curiosité et l’impatience des fans…
Merci. J’aime prendre la température, impliquer à la fois amis et fans. J’avoue que c’est amusant de mettre en place ces concours tels que « Quel est le film qui a servi de trame pour ce titre ? », etc. Les retours sont encourageants. Je me souviens que lorsque j’ai réalisé la première bande-annonce, j’étais très nerveux, j’ai demandé à Lori si on faisait bien de la mettre en ligne, s’il fallait vraiment le faire (rires) ! Une fois publiée, nous sommes allés sur le forum et les réactions étaient nombreuses. Je dois dire que j’ai une certaine chance d’avoir des fans généralement unanimes. J’accepte toute critique, bonne ou mauvaise, du moment qu’elle est construite. Je n’ai jamais eu de mail haineux ou chargé d’insultes. J’ai d’ailleurs une anecdote à propos de ce forum, où une « émoticône » est souvent revenue dans les messages, sous forme de banane dansante. Cela a pris une ampleur incroyable, à tel point que pour la soirée de lancement de The Human Equation, dans le public certains fans étaient déguisés en bananes ! Imaginez-moi sur scène, avec le plus grand mal à me concentrer pour ne pas éclater de rire (rires) ! C’est le genre d’événement qui fait chaud au cœur, qui montre qu’on a réussi à fédérer quelque chose.
Tu es connu pour « débaucher » des chanteurs et des musiciens de leurs groupes respectifs, mais as-tu été sollicité pour contribuer à d’autres productions ?
Je reçois des invitations toutes les semaines, que je décline en grande majorité, principalement par manque de temps. Il m’est difficile d’écouter tous les groupes qui me sollicitent, soit pour jouer soit pour les produire. Au début je ne pouvais pas dire non, et dans certains cas je me suis retrouvé sur des productions que j’aurais préféré esquiver. J’ai fait pas mal d’apparitions en tant qu’invité et souvent je me suis demandé ce que je faisais là. Cela tient plus du retour de faveur ou d’amitié musicale… Or ce n’est pas si gratifiant finalement. J’ai donc arrêté. L’un de mes meilleurs souvenirs de collaboration reste « I Understand » de Rob van der Loo, l’ex-bassiste de Sun Caged. J’ai adoré cette expérience car j’avais une totale liberté de manœuvre, le but était de se faire plaisir.
As-tu déjà des idées pour le nouvel Ayreon ?
Pas dans l’immédiat. Or il faudra bien que je m’y remette un jour. C’est encore trop tôt et je suis un peu vidé, niveau inspiration. J’ai aujourd’hui en tête de faire plutôt un album solo, cela fait plusieurs années que j’y pense, et je crois que le moment est venu de m’y mettre. C’est un véritable défi pour moi.
De nouvelles têtes sont-elles à prévoir dans un futur proche sur l’un de tes disques ?
Ted Leonard d’Enchant possède une voix qui m’attire car il me rappelle Steve Walsh. (réfléchissant) J’ai également contacté Nils K. Rue de Pagan’s Mind, Michael Eriksen et Truls Haugen de Circus Maximus. J’aime beaucoup ces deux groupes, aussi impressionnants sur disque que sur scène, et je me verrais bien dans un futur proche ou lointain collaborer avec eux. Ils sont sur ma liste… composée d’au moins une cinquantaine d’autres noms. (rires)
Tu as dû apprendre la disparition tragique de Steve Lee…
Nous avons perdu un excellent chanteur, et à titre beaucoup plus personnel, je perds un collaborateur devenu par la suite un ami. Quand je repense à Steve, je revois une personne souriante qui respirait l’envie de bien faire en studio. 2010 n’est pas une bonne année : Peter Steele, Ronnie James Dio et maintenant Steve Lee ? Sans oublier Mike Baker il y a deux ans…
A ce propos, es-tu allé voir Gary Wehrkamp et Shadow Gallery lors du ProgPower Europe ?
Bien sûr, je n’aurais manqué ça pour rien au monde. Mais l’ambiance avait beau être bonne, j’aurais bien donné quelques coups de fouet à leur ingénieur du son pour le réveiller ! Il a véritablement saboté leur set et ça m’a mis dans une colère que vous ne pouvez pas imaginer ! J’ai pu voir cependant un groupe très heureux d’être sur scène et… ils ont largement compensé l’incompétence du gars derrière la console.
Le mot de la fin ?
J’ai une question si tu me le permets : qu’avez-vous pensé de Victims of the Modern Age ?
Pour être totalement franc, nous t’avons connu bien plus inspiré. Quelques rédacteurs l’ont écouté et pensent que tu es beaucoup plus à l’aise sur des longs morceaux que sur des titres courts plus directs.
C’est très important pour moi car c’est un disque direct, aux antipodes d’Ayreon et de Guilt Machine. Qu’il ne plaise pas, soit. C’était important dans tous les cas pour moi de le faire. Merci pour votre franchise et votre opinion.
(avec des questions de Fanny Layani & Jérôme Walczak)