Spock’s Beard – Les rois du X

Suite au départ de Neal Morse, les Américains ont perdu ce petit poil de folie qui les rendait si séduisants et attrayants, sans toutefois jeter aux oubliettes leur qualité d’écriture. Avec X, les musiciens se mettent à nu et renouent enfin avec la fantaisie qui fit leur gloire d’antan.

Progressia : Pourquoi avoir pris cette décision de financer X vous-même tout en faisant appel à vos fans ? Marillion est coutumier du fait depuis quelques années mais qu’est-ce qui a pu motiver ce choix chez Spock’s Beard ?
Nick D’Virgilio : L’idée est venue de notre ami et coauteur John Boegehold. Cela faisait un certain temps que nous étions chez InsideOut Music et nous voulions sentir le vent du changement. Au départ, nous avons jeté cette idée sur notre site afin de prendre un peu la température, et voir si les fans étaient prêts à précommander le disque. Pour être honnête, les retours ont dépassé nos attentes les plus folles, à tel point que nous nous demandions jusqu’où cela irait. Nous avons reçu plus d’argent qu’un label ne nous en aurait donné en guise d’avance. Nous pourrons donc réitérer l’expérience, d’autant que notre public adore le disque – ça tombe bien, nous aussi – et je pense qu’il serait ravi de renouveler ce procédé.

Depuis Feel Euphoria, John Boegehold et Stan Ausmus sont présents en tant que coauteurs et compositeurs, mais plus surprenante encore est la présence de Neal Morse, crédité sur « The Emperor’s Clothes »…
Il faudrait poser la question à Alan [Morse], vu qu’il a écrit la majorité du titre. Je crois me souvenir qu’il se trouvait à Nashville où vit Neal, et qu’ils ont improvisé ensemble.

En réécoutant les albums qui ont suivi le départ de Neal, on peut désormais ressentir une impression de liberté avec X
Je ne peux qu’être d’accord. Quand Feel Euphoria a été publié, Neal venait de partir. L’idée était de se remettre au travail rapidement pour que les fans ne pensent pas que l’aventure Spock’s Beard était terminée. Je reconnais que les titres qui composent ce disque ne sont pas un exemple de cohésion, cependant cela jetait les bases d’un nouveau départ. Nous n’avions jamais réellement expérimenté d’alternative, et je reconnais donc qu’il nous a fallu plusieurs disques pour (re)trouver nos marques.

En as-tu assez d’entendre encore parler de Neal dans les interviews ?
Non, et pour être honnête, on ne nous en parle pas tant que ça. Ce sont souvent les mêmes questions qui reviennent à savoir : « Jouerez-vous de nouveau ensemble ? » ou « Avez-vous écouté son nouveau disque ? ». D’autre part, Neal fait partie de l’histoire de Spock’s Beard, il serait donc difficile et injuste de ne pas l’évoquer.

Quels sont les thèmes évoqués sur ce nouvel album ?
Tout dépend des titres. D’ailleurs, je n’arrive jamais à savoir où Dave [Meros] and John [Boegehold] veulent en venir (rires). Ce dernier écrit des paroles assez délirantes, éthérées et évasives, dans le but que chacun puisse se faire sa propre idée du sens. Un trait propre au rock progressif. J’essaie pour ma part d’être plus littéraire. « From The Darkness » relate par exemple l’histoire d’un lycéen à l’esprit geek, avec des hublots en guise de lunettes, des boutons plein la figure. En marchant dans les couloirs de l‘école, il croise une beauté absolue, tatouée, percée, fumeuse, qui va lui faire croire qu’il lui plaît. Au fil des rencontres, il se rend compte que malgré tout ce qui les oppose, il se retrouve totalement consumé. « Man Behind the Curtain » est quant à lui un morceau écrit en référence au Magicien d’Oz. Nous nous sommes retrouvés à regarder le film un soir et avons commencé à improviser en gardant à l’esprit d’écrire quelque chose sur l’homme derrière le rideau.

X est nettement plus coriace que vos précédentes productions. Cherchez-vous ainsi à vous affranchir du passé, à clamer votre identité et vous détacher ainsi de la dépendance vis-à-vis de Neal Morse ?
Tout d’abord, nous aimons le rock ! Mais comme je l’ai évoqué, Feel Euphoria a été un nouveau départ. Nous sommes un groupe de prog mais nous pouvons aussi sonner très rock et metal. J’aime quand nous sonnons heavy !

« Edge of the In-Between  » rappelle des groupes comme Toto et renvoie à votre amour pour le classic rock. Mais quels sont les artistes actuels qui vous ont tapé dans l’œil ?
Je suis personnellement accro à Muse. Je vénère ce groupe. Appelez-moi « geek fan » sur ce coup-là si vous le souhaitez. Je possède tous les singles, les inédits, les live. Ils sont présents depuis la fin des années quatre-vingt-dix et ont toujours réussi à tenir la dragée haute. Ces mecs donnent près d’une centaine de concerts par an, ce sont de sacrés musiciens, Matt Bellamy en tête, ce qui explique un succès toujours grandissant. J’aime la puissance de leur musique, qui me fait penser à un mélange de Rage Against The Machine avec des éléments plus mélodiques, voire dramatiques par moments, et j’adore ça !

Muse refuse toujours cette affiliation avec les musiques progressives malgré leur influence flagrante sur des formations progressives actuelles. Ici se dresse un intéressant parallèle avec Queen, non ?
Peut-être qu’ils refusent cette étiquette par stratégie. S’ils prétendent être progressifs, qui sait, peut-être cesseraient-ils du jour au lendemain de vendre des disques ? 
 
Penses-tu d’ailleurs qu’un groupe apprend davantage en se produisant beaucoup en concert plutôt qu’en studio ?
C’est la tendance. Je veux dire par là qu’aujourd’hui si un groupe veut avoir une chance d’exister, que ce soit à court ou long terme, il doit tourner car c’est une question de survie. Il faut être réaliste, les ventes de disques sont en chute libre à cause du téléchargement gratuit. Les concerts constituent désormais les principales rentrées d’argent pour les artistes. Plus tu joues, plus les fans viennent te voir et ça te donne envie de leur rendre la monnaie de leur pièce en proposant un bon concert.
 
Le téléchargement ne permettrait-il pas de vous faire connaître davantage, dans le cas de Spock’s Beard ?
Pour être franc, il m’est arrivé de récupérer de la musique gratuitement par le passé, mais j’ai eu envie ensuite de me procurer le CD physique. Et je pense que cela arrive à beaucoup de gens. Les jeunes aujourd’hui téléchargent dans la plus grande banalité, aller dans un magasin de disques et fouiller dans les bacs pour chercher la perle rare ne leur vient pas à l’esprit. C’est une question de génération. Auparavant, on était tout excité à l’idée de savoir ce qu’on trouverait dans les tiroirs et qui pourrait révolutionner notre culture musicale. Heureusement, il reste encore les concerts pour sortir et se déconnecter de l’ordinateur, même si cela se raréfie, car la vie coûte cher. Au fait, avez-vous vu la version vinyle de X ? Voilà une jolie alternative tant pour le plaisir des yeux que des oreilles. C’est un rêve pour moi de pouvoir publier un disque sous ce noble format.
 
Comment t’es-tu retrouvé sur l’album Voice in the Light d’Amaran’s Plight avec D.C. Cooper et Gary Wehrkamp, et Reflections – An Act of Glass d’Andrew Gorczyca ?
Le frère d’Andrew me connaissait de l’époque où je jouais avec Bryan Beller et Mike Keneally dans Beer For Dolphins, et il souhaitait achever l’œuvre de son frère décédé. Il m’a demandé si j’étais d’accord pour chanter sur un des titres de l’album qui est un très bon disque. Pour Amaran’s Plight cela reste assez flou pour être tout à fait honnête. Sean Gordon, le patron de ProgRock Records, m’a sondé et j’ai accepté. Mais je crois qu’il a cherché à monter LE super groupe de son label.
 
Seras-tu de retour avec le Cirque du Soleil en France ?
Je ne sais pas encore. Ça marche plutôt bien, à tel point qu’après la tournée de Spock’s Beard, je serai à Amsterdam pour trois mois avant d’aller à Londres pendant six semaines. C’est vraiment rafraîchissant de jouer dans un tel environnement. Sur le plan de la batterie, ce n’est pas radicalement différent du progressif, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Il y a beaucoup de mesures impaires et c’est assez heavy. Bref, je m’éclate et si une étape à Paris est programmée, je ne manquerai pas de vous prévenir.