Dave McKean – Dave McKean

ENTRETIEN : DAVE MCKEAN

 

Origine : Royaume-Uni

Lors de la mise en ligne de notre dossier sur le visuel dans le rock progressif, nous n’avions pu, à notre grand désespoir, contacter Dave McKean. Progressia a pu réparer cette erreur et rencontrer l’artiste anglais dans la galerie BDArtiste où il exposait certaines de ses planches. Entretien avec ce graphiste génial dans la capitale. 

Progressia : Dave McKean, tout d’abord, merci de nous accorder un peu de votre temps. Beaucoup de gens connaissent votre travail mais en savent moins sur votre parcours, pourriez-vous revenir dessus ?
Dave McKean
: Bien sûr. D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours dessiné. J’aimais les bandes dessinées et les films. Par la suite, je suis rentré en école d’art où j’ai suivi des études de design ainsi que des classes d’illustration et des cours d’audiovisuel. Je dois avouer que j’ai eu la chance d’avoir de très bons professeurs.

Une rencontre très importante dans votre carrière a été celle avec l’écrivain Neil Gaiman avec lequel vous avez co-signé de nombreux ouvrages, notamment la série The Sandman pour laquelle vous avez fourni toutes les couvertures. Au delà de ce titre, la liste est très longue… 
Effectivement. J’ai rencontré Neil lors de ma dernière année d’études. Nous avons collaboré sur notre premier livre et c’était parti. Nous avons contacté des éditeurs et avons donc sorti Violent Cases. Depuis, nous avons continué à travailler ensemble.

Hormis Neil Gaiman, citons également Grant Morrison avec lequel vous avez formé un binôme sur Arkham Asylum et qui a assis un peu plus votre réputation dans le monde de la bande dessinée américaine.
C’est vrai que ce livre est devenu incontournable, mais il convient d’avouer une chose : si Arkham Asylum a eu tant de succès, c’est essentiellement dû au fait que c’est un livre sur Batman, sans quoi il serait passé inaperçu, j’en suis sûr.

Au travers de la série The Sandman, on peut voir l’évolution à la fois technique et artistique que vous avez connue durant les sept ans d’existence du titre. Au début, vous n’utilisiez pas d’ordinateur. Quelles étaient les techniques employées à cette époque ?
C’était principalement un abus de différents travaux manuels tels que le dessin, la peinture, le collage, l’utilisation d’objets réels, beaucoup de photo argentique avec différents modes de prise de vue et plusieurs temps d’exposition. Je n’arrivais à l’époque à réaliser que vingt à trente pour cent de ce que j’avais réellement en tête. Dès que j’ai eu ma première station numérique, je me suis bien plus rapproché de ce que j’avais à l’esprit. Les plâtres ont, certes, été un peu long à essuyer car il me fallait apprendre à me servir de Photoshop. Bien que ce logiciel soit convivial, il n’en demeure pas moins une source intarissable de mystères pour moi. Cela ne veut pas dire que j’ai abandonné le dessin ou la peinture pour autant, je pars toujours d’un crayonné que j’améliore sur ordinateur. Je ne me suis jamais senti restreint dans mon travail depuis que je suis passé à l’informatique, l’outil permettant en particulier de revenir sur des versions antérieures de projets.

Comment passe-t-on du monde de la bande dessinée, où vous vous êtes imposé comme une référence, à la création de pochettes dans l’industrie musicale ?  
Des directeurs artistiques de maisons de disques, ainsi que des groupes appréciaient mon travail, notamment ceux d’une filiale de Virgin Records. J’ai donc commencé à faire les couvertures de Bill Bruford et de Klaus Schulze. Il y a eu comme un effet boule de neige car, par la suite, j’ai été contacté par Roadrunner Records et Peaceville. D’ailleurs, et sauf erreur de ma part, ma première couverture de disque a été pour eux.

Votre travail pour Paradise Lost, à l’époque, est à ce propos intéressant car il « résume » en quelque sorte votre évolution, à la fois technique et artistique.
Exactement, mais je voudrais insister sur le fait que je ne base pas mon travail uniquement sur mon ordinateur. C’ est un outil qui permet d’aller plus loin dans la recherche graphique. Tous les autres graphistes spécialisés dans le livret CD étaient déjà équipés de station numérique, il était donc nécessaire pour moi de me mettre à jour pour, si je puis dire, lutter à armes égales.

Vous avez par la suite, loué votre talent à de nombreux artistes musicaux sans pour autant vous limiter à un style musical bien défini. Citons par exemple : Tori Amos, The Counting Crows, Michael Nyman. Mais votre plus fructueuse collaboration reste celle démarrée avec Frontline Assembly (NdlR : célèbre groupe d’electro-indus comprenant notamment dans ses rangs Rhys Fulber, producteur de Fear Factory). Etes-vous aussi varié dans vos goûts musicaux que le sont vos clients ?
Absolument, j’écoute beaucoup de musiques différentes, mais à petite dose pour certains styles. Je n’aime pas la musique pop mielleuse et ne suis pas un grand amateur d’opéra. J’adore la musique classique, l’indus, le jazz, le tango ou encore les musiques du monde.

Comment le contact s’est-il établi avec le label estampillé « progressif », Magna Carte, connu de beaucoup d’amateurs du genre ?
Au risque de vous surprendre, je n’ai jamais eu de réel contact avec eux. Je ne sais plus s’il a été engagé via mon éditeur, mon agent aux Etats-Unis ou un ami (rires). Je n’avais jamais vraiment entendu parler d’eux jusque-là. Je ne me souviens plus réellement quel fut mon premier travail pour eux (NdlR : Dali’s Dilemma). Je n’ai pas eu de nouvelles d’eux depuis un bon moment mais j’ai des souvenirs d’une collaboration tout ce qu’il y a de plus simple, sans contraintes. J’étais libre de mes mouvements et le peu de contacts que nous avions me suffisait amplement, c’était facile de travailler avec eux. Sur un plan artistique, ils n’étaient pas particulièrement pointilleux et cela me convenait parfaitement.

Parlons maintenant de votre association avec Dream Theater qui est, à ce jour, le groupe de progressif le plus reconnu dans le monde. Vous avez réalisé pour eux la couverture de Metropolis part 2 : Scenes from a Memory. Comment vous êtes-vous rapprochés de cette formation ?
Je n’ai pas eu de contact avec Dream Theater, pire, je n’en ai jamais eue (rires) ! J’avais réalisé deux pochettes pour les projets solo de James LaBrie. Il a logiquement mentionné mon nom au reste du groupe et l’affaire fut signée. En gros, ils avaient repéré une des couvertures de The Sandman et souhaitaient l’utiliser pour leur disque, car elle correspondait exactement à ce qu’ils cherchaient.

Ce disque a été un énorme succès, a-t-il contribué a élargir votre portefeuille clients ?
Non, pas que je sache. Vous savez, je ne m’intéresse que très peu à cet aspect du business. Je ne sais pas qui regarde les pochettes des disques, encore moins qui les achète. J’ai réalisé plusieurs travaux pour Bill Leeb de Front Line Assembly. Un jour, alors que notre collaboration était déjà bien ancrée, il m’a dit : « Au fait, est-ce toi qui fait The Sandman » ? On ne sait donc jamais vraiment qui regarde quoi ou s’intéresse à quoi, etc.

Pouvez-nous maintenant nous présenter votre approche au moment de commencer une couverture ou un livret ? Habituellement, jetez-vous une oreille sur la musique ou un œil sur les paroles ?
Il y a plusieurs cas de figure. J’écoute la musique si c’est possible, mais cela dépend des cas, car parfois tout n’est pas encore tout à fait terminé. Il arrive aussi que certains artistes soient réticents et refusent d’envoyer quoi que ce soit. J’ai parfois seulement le titre de l’album et une relative connaissance du passé du groupe. Pour finir, et c’est le dernier cas de figure,le groupe a déjà une idée ou bien m’envoie les textes. Certains artistes aiment avoir un réel contrôle sur le processus et insistent sur les étapes intermédiaires de la conception, que ce soit les roughs ou autres croquis et je dois dire que je suis moins à l’aise avec cette manière de faire.

J’ai choisi deux de vos créations afin de revenir sur leur conception. Il s’agit de Monsters and Robots de Buckethead et Manifesto for Futurism de Dali’s Dilemma.
Concernant Buckethead, tout ce que j’ai concevoir pour lui, y compris les clips vidéo, est lié par un fil rouge. Il a l’amour du kitsch, des monstres, des robots, tout ce qui a trait au style Manga. Les Mangas ont pour cible principale les enfants. Or, là, l’imagerie est tout de même assez sombre avec des zombies, entre autres. Faire cohabiter tout cela était un défi intéressant. Au final, la pochette de Monsters and Robots ressemble plus à une affiche de film. Concernant Dali’s Dilemma… déjà, rien qu’avoir le mot « Dali » dans le nom du groupe aide énormément, non (rires) ? Pour ce qui est de cet album, je ne suis pas sûr que le groupe sache réellement ce qu’était le futurisme, à savoir un mouvement artistique né en Italie sous l’impulsion d’Umberto Boccioni notamment. La maison de disques a fait la remarque suivante : « Nous ne savons même pas s’il y a eu un manifeste pour le futurisme, cela a-t-il vraiment existé ? ». C’était également un mouvement politique tendant vers l’extrême droite mussolinienne (NdlR : il semblerait toutefois qu’un amalgame fut fait à tort car le mouvement est né bien avant l’apparition du fascisme). Après coup, le groupe aurait eu un léger malaise à la connaissance de la signification exacte du titre. Pour en revenir à la pochette, les futuristes utilisent des machines, s’inspirent des mouvements, de la place dans l’espace, de la vie moderne, etc.

On a pu remarquer à travers vos livrets que vous sembliez attacher une importance particulière au choix de la police de caractère, pas au détriment de l’image : la place qu’elle occupe chez vous est inhabituelle en comparaison avec le travail d’autres graphistes.
Je ne sais pas… je n’y ai jamais pensé à vrai dire. Le coffret que j’ai réalisé pour Ian Bellamy ne contient pas de texte.

Certes, on pourrait penser que le choix de la typographie est moins important que celui de l’image. Or les deux vont généralement de pair … 
Oui, bien que selon le cas, certains choix se font très rapidement. Prenons par exemple Leonardo : The Absolute Man et son contexte : une comédie musicale sur Léonard de Vinci. Il était clair que j’allais faire porter mon choix sur une typographie ancienne, à la limite manuscrite. Le mot Leonardo est écrit dans un esprit manuscrit pour coller à l’époque. Dans des cas comme celui-ci, les choix s’imposent d’eux-mêmes assez rapidement.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de travail sur un livret de CD ?
Les meilleurs sont ceux qui perdurent. Comprenez par là que je prends un vrai plaisir à entretenir une collaboration sur le long terme, je dois donc citer Bill Leeb et Bill Bruford. Les travaux que j’ai fait pour eux sont ceux dont je suis le plus fier. Il y a en outre cette notion d’échange dans laquelle, eux comme moi, cherchons à nous améliorer et progresser. Que faut-il changer ? Quelles sont les erreurs à ne pas refaire ? C’est gratifiant car le graphiste que je suis se sent impliqué totalement dans un tout qui englobe l’artiste, sa musique et son visuel. A l’inverse, les « moins bonnes » séances de travail concernent les One Shots c’est-à-dire les collaborations uniques, qui se conjuguent au singulier. J’ajoute à cela les travaux que j’ai pu réaliser pour des groupes, « petits » à l’époque, qui sont devenus tellement énormes aujourd’hui qu’ils ne passent plus les portes et avec lesquels il est presque devenu impossible de discuter. Cette remarque est également valable pour les maisons de disques qui oublient qu’elles ont un collaborateur en face d’elles. Après vous avoir révélé tout ça, vous comprendrez parfaitement que je m’abstiendrai de vous donner des noms  ! (rires)

De nos jours, beaucoup de maisons de disques ont cette tendance à proposer un produit fini très fourni avec, par exemple, un digipack, un livret copieux et un DVD bonus, tout ceci dans le but de lutter contre le piratage et le téléchargement illégal. Comment prenez-vous cela ? Comme du bonus ou bien, à l’inverse, vous n’y pensez pas ou presque pas ?
Dans mon travail, rien ne change réellement. Si la couverture le requiert, si cela peut aider des groupes à vendre des disques, soit. Ce qui m’ennuie est le fait que malgré tout, le téléchargement continue. Plus il y en aura, moins il y aura de commandes pour des livrets. Je pense que certains groupes ont expérimenté cette approche – qui est de proposer leur disque sous différentes formes – pour combattre le piratage. A terme, je pense que les vrais fans voudront le fleuron du produit, l’édition la plus luxueuse.

En ce qui me concerne, je pense que les vrais fans achèteront une version de chaque produit.
Dans l’absolu, je suis d’accord mais je pense que c’est pour donner du choix, ou des migraines, aux fans.

Vous faites partie, avec Hugh Syme, Roger Dean et Storm Thorgerson, de cette catégorie d’atistes qui est souvent citée en référence par d’autres graphistes. Vous avez ainsi involontairement donné naissance à des vocations chez certains, qui à priori, n’avaient pas tant de lien que ça avec l’art et se sont mis à étudier le graphisme. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
J’en suis ravi, bien que Storm Thorgerson et Roger Dean soient bien plus âgés que moi. D’ailleurs quand j’étais jeune ils incarnaient deux de mes influences, avec une préférence particulière pour le travail de Storm Thorgerson, que j’ai appris à apprécier davantage avec l’âge.

C’est intéressant… qu’aimez-vous dans son travail ? Est-ce le coté abstrait ou autre chose ?
Techniquement c’est du travail d’orfèvre. Il faut voir aussi avec quels groupes il a collaboré, ils disposaient de gros budgets pour produire quelque chose d’unique. J’aime également son sens du détail et de la finition, ainsi que cette capacité à faire en sorte que la plupart de ses œuvres restent dans les esprits, notamment celles réalisées pour des groupes de rock progressif. J’en écoutais beaucoup lorsque j’étais jeune. Le seul que j’écoute encore aujourd’hui est King Crimson. J’adorerais travailler avec eux… qui sait, un jour peut-être ? Au risque de paraître un peu vieux jeu, je pense que les pochettes de King Crimson et de Pink Floyd, au même titre que les albums, sont parties pour rester ancrées longtemps dans les esprits.

Concernant la bande dessinée, aviez-vous un modèle lorsque vous étiez plus jeune ? J’aurais tendance à dire, en regardant Arkham Asylum, que le travail de Bill Sienkiewicz vous a beaucoup influencé ?
Bill travaillait aux Etats-Unis. Nous avions beaucoup d’artistes en commun, des illustrateurs, des peintres comme Gustav Klimt par exemple, des personnalités en avance sur leur temps. L’influence était donc bien présente dans le travail de Bill comme dans le mien, et elle est perceptible sur d’autres de mes livres comme Cages.

Vous arrive-t-il de vous arrêter dans un magasin de disques et jeter un œil furtif aux pochettes présentées ? Vous pouvez très bien avoir pu flashé sur un disque reconnu comme par exemple l’Album Blanc des Beatles… 
Dernièrement, j’ai été attiré par le travail de Stephen Byram (NdlR : qui a notamment œuvré pour des groupes et artistes de jazz, ainsi que pour Living Colour). Je le trouve très doué. J’aime aussi le travail de John Zorn, un type que je trouve génial.

Vous avez également produit le film Mirrormask avec Neil Gaiman, qui résume parfaitement votre univers visuel. Quel regard portez-vous sur cette production aujourd’hui ? Avez-vous d’autres projets à venir ?
Honnêtement, j’en suis extrêmement déçu. Je me rends compte avec du recul que certaines choses auraient pu être bien meilleures, c’est le souci avec un tel projet. Un petit détail en entraîne d’autres, et au final, on a un gros paquet d’imperfections. De plus, on a mis deux ans à réaliser ce film, ce qui pour moi est beaucoup trop long. Nous avions un budget très limité. Je n’ai pas vu la version finale, j’ai presque honte de l’emporter avec moi lors de festivals que je m’éclipse lors des projections. Hormis Mirrormask, j’ai également réalisé plusieurs court-métrages qui sont compilés sur un DVD. J’ai un autre film en chantier : Luna, mais je cherche actuellement un producteur. Il y a eu des discussions pour adapter à l’écran un livre pour enfants que j’ai réalisé avec Neil et qui s’appelle The Wolves in the Walls. J’ai également écrit un script pour adapter Signal to Noise mais il est bien plus conséquent, il m’a fallu neuf jets pour arriver à obtenir ce que je voulais.

Pour terminer, quand peut-on espérer vous voir en concert avec votre groupe de jazz ?
Un jour, peut-être (rires)

Propos recueillis par Dan Tordjman
Photos de V. Chassat
Remerciements chaleureux à la galerie BDArtiste
sans laquelle cet entretien n’aurait pas eu lieu.

site web : http://www.davemckean.com/

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