Pure Reason Revolution – Un vent de révolte ?
En publiant dernièrement leur troisième album, les Anglais ont entrepris de faire sonner le marteau et l’enclume, quitte à concasser du fan avec une frappe moins indolore que celles de leurs précédents chantiers. Afin de promouvoir Hammer and Anvil, le groupe s’est produit sur scène sur de petites dates parmi lesquelles l’International de Paris, tout en intimité, idéal pour rencontrer Chloe Alper et Jon Courtney, en compagnie de nos confrères des Éternels.
Progressia / Les Éternels : Les musiciens en général n’aiment pas être étiquetés. Néanmoins, votre premier album The Dark Third a été présenté comme de la musique progressive, et son successeur, Amor Vincit Omnia, désigné comme appartenant au genre pop / electro. Vous sentez-vous encore proche du mouvement progressif ?
Chloe Alper : Je pense que nous écrivons nos morceaux d’une manière progressive. Cependant, nous ne voulons pas être retenus ni définis par un genre ou un ensemble d’instruments, et donc un son fixe. Le nôtre évolue, c’est en ce sens qu’on peut dire que nous sommes « progressif »… certainement pas dans celui correspondant à une acception plus classique (longs morceaux, etc).
Jon Courtney : L’idée de base était de pouvoir utiliser n’importe quel instrument : guitares électriques, batteries programmées ou live, etc. C’est cette liberté de pratiquer qui nous plait depuis les débuts du groupe. Selon moi, le progressif est synonyme d’évolution, et en tant que musiciens, nous découvrons de nouvelles inspirations qui se diffusent immédiatement dans ce qu’on joue. Encore une fois, nous aimons les morceaux structurés quel que soit le format du titre. Nous ne voulons pas nous limiter et ne cherchons pas à planifier quelque chose de différent. Nous produisons ce que nous voulons faire, et c’est tout. Notre objectif est de créer, il est impossible de le concevoir autrement en ce qui nous concerne.
Considérant que The Dark Third et Amor Vincit Omnia sont très différents dans leurs approches et leurs sons, n’êtes vous pas effrayés par l’idée de perdre vos fans ?
Jon : Il ne s’agit pas d’avoir peur, mais bel et bien avancer.
Chloe : Nous avons perdu des fans pour le second album, mais ils ont été remplacés par une autre frange du public. C’est ce qui va sûrement se passer pour Hammer and Anvil. Nous suivons notre instinct et je sais que certains nous tourneront le dos pour ça, notamment ceux qui nous ont découverts dans notre ère « progressive ».
Jon : On retrouve ce phénomène chez les artistes que nous admirons. Par exemple, les premiers albums des Beach Boys sont très différents de Smile [side-project avorté dont les morceaux enregistrés ont donné lieu en 1967 à l’album Smiley Smile, ndlr], ceux de Pink Floyd de Piper at the Gates of Dawn jusqu’à Dark Side of the Moon, les Smashing Pumpkins entre Siamese Dreams et Ava Adore, etc. Et c’est de ces groupes dont nous tirons notre principale inspiration. Il y a en outre certains éléments qui renforcent notre identité. Pure Reason Revolution aura ainsi toujours le même type de chant. C’est notre marque de fabrique, sinon notre musique risquerait d’être un peu confuse.
Chloe : Les mélodies vocales en sont vraiment les fondements, le seul dénominateur commun. C’est à ça qu’on nous reconnaît.
Il aurait donc été impossible de produire un album de la trempe de The Dark Third ?
Jon : Cela n’aurait eu aucun intérêt. Il aurait peut-être sonné mieux que le premier mais n’aurait pas correspondu à nos principes de créativité.
Chloe : Il n’y aurait pas eu de prise de risque et il aurait été ennuyeux, fade, peu inspiré voire inintéressant. C’est bien plus stimulant de se lancer un défi, conquérir de nouveaux territoires.
Jon : Certaines formations ont une composition fixe, le plus souvent guitare, basse, batterie et chanteur. C’est un standard et ils s’y tiennent pour chaque album. Nous ne cherchons pas à nous fixer ce genre de restrictions.
Quelles sont les premières retombées critiques pour ce troisième album ?
Jon : Beaucoup disent qu’il se situe un peu entre les deux premiers.
Chloe : J’ai le sentiment que nous avons produit pourtant quelque chose de complètement différent. Hammer and Anvil se positionne effectivement comme un mélange des deux premiers en terme de jeu à la guitare, d’énergie ou de contenu. Je comprends ces affirmations, même si ça me semble un peu faux.
Le titre d’ouverture, « Fight Fire », montre un changement radical. Il s’agit d’une des chansons les plus agressives que vous ayez composée. Était-ce un choix de te faire chanter seule ? Pourquoi ne pas avoir utilisé vos mélodies vocales habituelles ?
Chloe : Nous voulions entrer en scène en beauté ! Il fallait que ce morceau ponctue vraiment le démarrage. Ne pas être timide, bref pas question d’arrondir les angles. C’était un pari risqué et l’album se veut audacieux.
En parlant de votre évolution entre la seconde et la troisième production, on passe d’un style très eighties à quelque chose de beaucoup plus moderne, notamment pour le son de la batterie. L’électronique semble désormais avoir une part plus importante dans le rendu massif du son. Pourquoi un tel changement de sonorités ?
Jon : Amor Vincit Omnia a été principalement produit par mes soins. Quelques autres personnes sont intervenues sur le mixage des morceaux. Pour Hammer and Anvil, j’ai co-produit l’album avec Tom Bellamy. Il jouait dans un groupe appelé Cooper Temple Clause et vient de la même ville que nous. Nous nous sommes dits que nous ferions quelques pistes ensemble pour le nouvel album. Nous avons écrit trois morceaux assez rapidement. Puisque Tom produit beaucoup de dance et d’electro, nous avions une nouvelle source d’inspiration pour les sons de claviers, de batterie, de samples, etc.
Le concept d’Amor Vincit Omnia était centré autour de l’amour. Qu’en est-il d’Hammer and Anvil ?
Jon : Il n’y a de véritable concept. Ce sont plutôt des choses qui influencent notre manière d’écrire sur le moment. Pour cet album, je me suis penché sur les deux guerres mondiales, après avoir beaucoup voyagé en Europe et passé les six derniers mois à faire des recherches sur ce qu’a vécu mon arrière-grand-père en 1914-1918. Je suis fasciné par ces événements, ces catastrophes, tout comme par les développements scientifiques qui en découlent tels que l’aviation par exemple. J’ai été voir les plages du débarquement en Normandie. C’est tout cet intérêt qui déteint sur la musique.
Chloe : C’est davantage une thématique assez souple dans le sens où nous voulons laisser autant d’interprétation que possible aux gens qui nous écoutent. Nous ne voulons pas estampiller un concept sur le CD. Nous avons la même démarche concernant les paroles, à savoir ne pas révéler leur sens afin que chacun y trouve ses réponses.
Jon : Ce qui importe, c’est que les gens arrivent à tirer leurs propres conclusions. Nos textes sont effectivement très clairs pour certains, mais peuvent également être très abstraits pour d’autres.
Considérez-vous ce procédé comme une approche générale à la musique, ou vous voyez-vous dans le futur publier un véritable album concept ?
Jon : Peut-être, qui sait ?
Chloe : Le groupe évolue en permanence. Nous sommes toujours dans une optique de ne jamais dire « non ».
Avez-vous commencé à réfléchir à votre prochain projet ?
Jon : Pas pour l’instant…
Chloe : Nous venons tout juste de finir celui-ci. (rires) Nous avons besoin d’un peu de temps pour nous reposer maintenant.
Comptez-vous partir en tournée après la sortie de l’album et comment se porte votre notoriété ? Êtes-vous prêts à remplir les salles et les stades ?
Chloe : Oui, l’International ! (rires) C’est une petite salle que nous espérons remplir ce soir. Nous avions peu de moyens pour aujourd’hui mais nous voulions vraiment jouer à Paris.
Jon : Nous serons de retour en novembre. Attendez-vous à quelques shows en tête d’affiche d’une durée de quatre à six semaines, dont un passage à Paris
Chloe : La notoriété est un long processus qui se fait pas à pas. A chaque fois que nous tournons, nous gagnons quelques personnes, même s’il n’y a malheureusement pas de gain massif de fans. Cela nous fait plutôt marrer, mais c’est vrai que nous sommes rattachés à un label qui croit en nous suffisamment pour nous permettre de continuer. Heureusement, nous avons toutefois quelques grands fans qui nous suivent.
On trouvait déjà des gimmick electro sur The Dark Third. Toutes ces parties électroniques à tempo strict ne sont-elles pas un handicap pour jouer en live ?
Chloe : Sommes-nous restreints par les parties electro ? Non, elles représentent une part essentielle de notre musique.
Jon : Nous jouons tous nos concerts au clic à cause des samples. Chloé, Paul [Glover] et moi les déclenchons tous les trois à un moment donné.
Chloe : Nous samplons beaucoup de parties depuis l’album. Il y a beaucoup de trucs qu’on ne peut pas reproduire nous-mêmes, ça prendrait trop de temps et nous ne serions même pas sûrs de les jouer correctement. Tout se passe via des contrôleurs MIDI. Nous ne sommes donc pas limités par ce type de contraintes.
Du coup vous pouvez jouer avec, les utiliser pour créer un groove ?
Chloe : Exactement. Ils sont flexibles jusqu’à un certain point. Nous lançons Logic Audio durant le concert. Steven Wilson est également dingue de ce logiciel.
Les guitares occupent une place plus importante sur scène que sur album. Étant donné que vos deux derniers albums contiennent beaucoup d’arrangements et de parties électroniques, comment vous organisez-vous pour les concerts ?
Jon : Le processus d’écriture est assez particulier, nous ne nous retrouvons pas dans une même pièce à « jammer ». Je compose les morceaux pièce par pièce et une fois l’ensemble terminé, nous débutons un travail de « déconstruction » en nous disant : « On a cette ligne de claviers, mais elle collerait finalement mieux si elle était jouée par la guitare ». Du coup, Jamie [Willcox] s’en charge, de même que Chloe pour la basse…
Chloe : Nous prenons beaucoup de temps durant l’enregistrement, étant donné que nous ne répétons pas toujours ensemble. Nous le faisons pour la pré-production durant une ou deux semaines en nous enfermant dans la même pièce, tout en essayant de rester le plus proche possible de l’esprit original des morceaux. Or il y a souvent tellement de couches qu’il nous est parfois impossible de les reproduire faute de personnel. Une partie des arrangements disparaît forcément, et toute l’idée est de définir ensemble ce qui sonne le mieux dans ce cadre. Les chansons sonnent assez différemment une fois jouées en live, ce qui leur confère un nouveau visage sans les bidouilles de studio.
Lorsque vous ouvriez pour Porcupine Tree en 2007, vous ne disposiez d’aucun dispositif visuel sur scène. Aimeriez-vous intégrer des écrans à vos shows ?
Chloe : Nous l’avons fait en projetant des films d’animation il fut un temps. Ce ne sera malheureusement pas le cas ce soir car la scène est trop petite… mais nous nous produisons dans de plus grandes salles, nous le faisons pour illustrer les titres. Nous aimerions nous investir davantage dans l’éclairage car cela dégage beaucoup de puissance, ce qu’un groupe comme Porcupine Tree gère très bien. Ce serait super, mais il s’agit toujours d’avoir le budget nécessaire et le temps pour.
Chloe, vu que tu as conçu les artworks du dernier album, serais-tu intéressée pour faire ce passage à l’écran ?
Chloe : Oui ! J’ai déjà fait quelques créations graphiques en ce sens pour Amor Vincit Omnia en détournant du matériel existant. J’ai utilisé des images du Metropolis de Fritz Lang et de Jan Svankmajer. Pas mal d’imagerie surréaliste et industrielle. Ce serait fun de recommencer, même si l’argent reste un obstacle.
Ces créations à base de parties de corps humain entremêlées m’ont évoqué les harmonies vocales du groupe. Quelles sont tes sources d’inspirations pour créer ce genre de visuels ?
Chloe : Mon artiste préféré est probablement Francis Bacon. Je suis une grande amatrice de photo, j’apprécie particulièrement l’oeuvre d’un ami qui travaille à base de filtres et de couches superposées et fait de la photographie reconstruite. Il prend des prises de vue différentes d’un même sujet, les superpose, réduit leur opacité jusqu’à ce qu’elles deviennent quelque chose de complètement différent. Je suis très inspirée par ce processus, j’aime essayer de recréer des choses ou des formes à partir de nouvelles valeurs. Je suis fan d’art figuratif : partir de choses que nous connaissons tous, pour parler à ce qui constitue notre for intérieur. C’est très intéressant à explorer, la déconstruction / reconstruction d’éléments figuratifs, la manière la plus facile de procéder étant la photo.
Ne penses-tu pas que ça se rapproche du processus de production de la musique ? On part d’un matériel de base puis il y a les effets, les arrangements.
Chloe : Absolument ! Il y a beaucoup de parallèles à faire. Je suis également très intéressée par la peinture…J’ai traversé une phase où je faisais beaucoup de photo. C’est encore le cas, même si je ne suis plus autant à fond. C’est intéressant de dresser un lien entre la pochette et les voix, mais nous tenons à laisser une grande part à l’interprétation des gens. C’est chouette de ne pas donner trop de réponses directes histoire que les personnes puissent dire : « Ça me fait penser à la manière dont les voix se mélangent ». Je trouve plus stimulant de faire les choses de cette façon.
Pour en revenir à Porcupine Tree, beaucoup de fans semblent rêver d’une collaboration entre Steven Wilson et vous.
Jon : Ah oui ?
N’avez vous pas eu l’occasion de l’approcher pour un tel projet ?
Chloe : Non, mais ce serait génial !
Jon : Ce serait une excellente idée. Nous connaissons bien Steven, vu que nous avons joué avec Porcupine Tree.
Chloe : C’est un ami du groupe, mais il reste quelqu’un de très occupé par ses nombreuses collaborations.
Si cela ne pouvait pas se concrétiser, avec qui aimeriez-vous collaborer ?
Chloe : Justice, ce serait vraiment chouette ! (rires) Sinon, Billy Corgan ?
Jon : Il paraît que c’est un genre de dictateur dans son groupe…
Chloe : Ouais, du genre ses musiciens lui apportent des idées en disant : « J’ai passé des heures là-dessus » et s’entendent dire : « Non, c’est de la merde ! ».
Jon : « Donne-moi cette guitare espèce de tache, tu ne sais pas jouer ! Je n’ai peut-être pas de cheveux, mais j’ai des idées ! » (rire général) Brian Wilson serait une mauvaise idée…
Chloe : Muse, ce serait bien !
Progressia / Les Éternels : Les musiciens en général n’aiment pas être étiquetés. Néanmoins, votre premier album The Dark Third a été présenté comme de la musique progressive, et son successeur, Amor Vincit Omnia, désigné comme appartenant au genre pop / electro. Vous sentez-vous encore proche du mouvement progressif ?
Chloe Alper : Je pense que nous écrivons nos morceaux d’une manière progressive. Cependant, nous ne voulons pas être retenus ni définis par un genre ou un ensemble d’instruments, et donc un son fixe. Le nôtre évolue, c’est en ce sens qu’on peut dire que nous sommes « progressif »… certainement pas dans celui correspondant à une acception plus classique (longs morceaux, etc).
Jon Courtney : L’idée de base était de pouvoir utiliser n’importe quel instrument : guitares électriques, batteries programmées ou live, etc. C’est cette liberté de pratiquer qui nous plait depuis les débuts du groupe. Selon moi, le progressif est synonyme d’évolution, et en tant que musiciens, nous découvrons de nouvelles inspirations qui se diffusent immédiatement dans ce qu’on joue. Encore une fois, nous aimons les morceaux structurés quel que soit le format du titre. Nous ne voulons pas nous limiter et ne cherchons pas à planifier quelque chose de différent. Nous produisons ce que nous voulons faire, et c’est tout. Notre objectif est de créer, il est impossible de le concevoir autrement en ce qui nous concerne.
Considérant que The Dark Third et Amor Vincit Omnia sont très différents dans leurs approches et leurs sons, n’êtes vous pas effrayés par l’idée de perdre vos fans ?
Jon : Il ne s’agit pas d’avoir peur, mais bel et bien avancer.
Chloe : Nous avons perdu des fans pour le second album, mais ils ont été remplacés par une autre frange du public. C’est ce qui va sûrement se passer pour Hammer and Anvil. Nous suivons notre instinct et je sais que certains nous tourneront le dos pour ça, notamment ceux qui nous ont découverts dans notre ère « progressive ».
Jon : On retrouve ce phénomène chez les artistes que nous admirons. Par exemple, les premiers albums des Beach Boys sont très différents de Smile [side-project avorté dont les morceaux enregistrés ont donné lieu en 1967 à l’album Smiley Smile, ndlr], ceux de Pink Floyd de Piper at the Gates of Dawn jusqu’à Dark Side of the Moon, les Smashing Pumpkins entre Siamese Dreams et Ava Adore, etc. Et c’est de ces groupes dont nous tirons notre principale inspiration. Il y a en outre certains éléments qui renforcent notre identité. Pure Reason Revolution aura ainsi toujours le même type de chant. C’est notre marque de fabrique, sinon notre musique risquerait d’être un peu confuse.
Chloe : Les mélodies vocales en sont vraiment les fondements, le seul dénominateur commun. C’est à ça qu’on nous reconnaît.
Il aurait donc été impossible de produire un album de la trempe de The Dark Third ?
Jon : Cela n’aurait eu aucun intérêt. Il aurait peut-être sonné mieux que le premier mais n’aurait pas correspondu à nos principes de créativité.
Chloe : Il n’y aurait pas eu de prise de risque et il aurait été ennuyeux, fade, peu inspiré voire inintéressant. C’est bien plus stimulant de se lancer un défi, conquérir de nouveaux territoires.
Jon : Certaines formations ont une composition fixe, le plus souvent guitare, basse, batterie et chanteur. C’est un standard et ils s’y tiennent pour chaque album. Nous ne cherchons pas à nous fixer ce genre de restrictions.
Quelles sont les premières retombées critiques pour ce troisième album ?
Jon : Beaucoup disent qu’il se situe un peu entre les deux premiers.
Chloe : J’ai le sentiment que nous avons produit pourtant quelque chose de complètement différent. Hammer and Anvil se positionne effectivement comme un mélange des deux premiers en terme de jeu à la guitare, d’énergie ou de contenu. Je comprends ces affirmations, même si ça me semble un peu faux.
Le titre d’ouverture, « Fight Fire », montre un changement radical. Il s’agit d’une des chansons les plus agressives que vous ayez composée. Était-ce un choix de te faire chanter seule ? Pourquoi ne pas avoir utilisé vos mélodies vocales habituelles ?
Chloe : Nous voulions entrer en scène en beauté ! Il fallait que ce morceau ponctue vraiment le démarrage. Ne pas être timide, bref pas question d’arrondir les angles. C’était un pari risqué et l’album se veut audacieux.
En parlant de votre évolution entre la seconde et la troisième production, on passe d’un style très eighties à quelque chose de beaucoup plus moderne, notamment pour le son de la batterie. L’électronique semble désormais avoir une part plus importante dans le rendu massif du son. Pourquoi un tel changement de sonorités ?
Jon : Amor Vincit Omnia a été principalement produit par mes soins. Quelques autres personnes sont intervenues sur le mixage des morceaux. Pour Hammer and Anvil, j’ai co-produit l’album avec Tom Bellamy. Il jouait dans un groupe appelé Cooper Temple Clause et vient de la même ville que nous. Nous nous sommes dits que nous ferions quelques pistes ensemble pour le nouvel album. Nous avons écrit trois morceaux assez rapidement. Puisque Tom produit beaucoup de dance et d’electro, nous avions une nouvelle source d’inspiration pour les sons de claviers, de batterie, de samples, etc.
Le concept d’Amor Vincit Omnia était centré autour de l’amour. Qu’en est-il d’Hammer and Anvil ?
Jon : Il n’y a de véritable concept. Ce sont plutôt des choses qui influencent notre manière d’écrire sur le moment. Pour cet album, je me suis penché sur les deux guerres mondiales, après avoir beaucoup voyagé en Europe et passé les six derniers mois à faire des recherches sur ce qu’a vécu mon arrière-grand-père en 1914-1918. Je suis fasciné par ces événements, ces catastrophes, tout comme par les développements scientifiques qui en découlent tels que l’aviation par exemple. J’ai été voir les plages du débarquement en Normandie. C’est tout cet intérêt qui déteint sur la musique.
Chloe : C’est davantage une thématique assez souple dans le sens où nous voulons laisser autant d’interprétation que possible aux gens qui nous écoutent. Nous ne voulons pas estampiller un concept sur le CD. Nous avons la même démarche concernant les paroles, à savoir ne pas révéler leur sens afin que chacun y trouve ses réponses.
Jon : Ce qui importe, c’est que les gens arrivent à tirer leurs propres conclusions. Nos textes sont effectivement très clairs pour certains, mais peuvent également être très abstraits pour d’autres.
Considérez-vous ce procédé comme une approche générale à la musique, ou vous voyez-vous dans le futur publier un véritable album concept ?
Jon : Peut-être, qui sait ?
Chloe : Le groupe évolue en permanence. Nous sommes toujours dans une optique de ne jamais dire « non ».
Avez-vous commencé à réfléchir à votre prochain projet ?
Jon : Pas pour l’instant…
Chloe : Nous venons tout juste de finir celui-ci. (rires) Nous avons besoin d’un peu de temps pour nous reposer maintenant.
Comptez-vous partir en tournée après la sortie de l’album et comment se porte votre notoriété ? Êtes-vous prêts à remplir les salles et les stades ?
Chloe : Oui, l’International ! (rires) C’est une petite salle que nous espérons remplir ce soir. Nous avions peu de moyens pour aujourd’hui mais nous voulions vraiment jouer à Paris.
Jon : Nous serons de retour en novembre. Attendez-vous à quelques shows en tête d’affiche d’une durée de quatre à six semaines, dont un passage à Paris
Chloe : La notoriété est un long processus qui se fait pas à pas. A chaque fois que nous tournons, nous gagnons quelques personnes, même s’il n’y a malheureusement pas de gain massif de fans. Cela nous fait plutôt marrer, mais c’est vrai que nous sommes rattachés à un label qui croit en nous suffisamment pour nous permettre de continuer. Heureusement, nous avons toutefois quelques grands fans qui nous suivent.
On trouvait déjà des gimmick electro sur The Dark Third. Toutes ces parties électroniques à tempo strict ne sont-elles pas un handicap pour jouer en live ?
Chloe : Sommes-nous restreints par les parties electro ? Non, elles représentent une part essentielle de notre musique.
Jon : Nous jouons tous nos concerts au clic à cause des samples. Chloé, Paul [Glover] et moi les déclenchons tous les trois à un moment donné.
Chloe : Nous samplons beaucoup de parties depuis l’album. Il y a beaucoup de trucs qu’on ne peut pas reproduire nous-mêmes, ça prendrait trop de temps et nous ne serions même pas sûrs de les jouer correctement. Tout se passe via des contrôleurs MIDI. Nous ne sommes donc pas limités par ce type de contraintes.
Du coup vous pouvez jouer avec, les utiliser pour créer un groove ?
Chloe : Exactement. Ils sont flexibles jusqu’à un certain point. Nous lançons Logic Audio durant le concert. Steven Wilson est également dingue de ce logiciel.
Les guitares occupent une place plus importante sur scène que sur album. Étant donné que vos deux derniers albums contiennent beaucoup d’arrangements et de parties électroniques, comment vous organisez-vous pour les concerts ?
Jon : Le processus d’écriture est assez particulier, nous ne nous retrouvons pas dans une même pièce à « jammer ». Je compose les morceaux pièce par pièce et une fois l’ensemble terminé, nous débutons un travail de « déconstruction » en nous disant : « On a cette ligne de claviers, mais elle collerait finalement mieux si elle était jouée par la guitare ». Du coup, Jamie [Willcox] s’en charge, de même que Chloe pour la basse…
Chloe : Nous prenons beaucoup de temps durant l’enregistrement, étant donné que nous ne répétons pas toujours ensemble. Nous le faisons pour la pré-production durant une ou deux semaines en nous enfermant dans la même pièce, tout en essayant de rester le plus proche possible de l’esprit original des morceaux. Or il y a souvent tellement de couches qu’il nous est parfois impossible de les reproduire faute de personnel. Une partie des arrangements disparaît forcément, et toute l’idée est de définir ensemble ce qui sonne le mieux dans ce cadre. Les chansons sonnent assez différemment une fois jouées en live, ce qui leur confère un nouveau visage sans les bidouilles de studio.
Lorsque vous ouvriez pour Porcupine Tree en 2007, vous ne disposiez d’aucun dispositif visuel sur scène. Aimeriez-vous intégrer des écrans à vos shows ?
Chloe : Nous l’avons fait en projetant des films d’animation il fut un temps. Ce ne sera malheureusement pas le cas ce soir car la scène est trop petite… mais nous nous produisons dans de plus grandes salles, nous le faisons pour illustrer les titres. Nous aimerions nous investir davantage dans l’éclairage car cela dégage beaucoup de puissance, ce qu’un groupe comme Porcupine Tree gère très bien. Ce serait super, mais il s’agit toujours d’avoir le budget nécessaire et le temps pour.
Chloe, vu que tu as conçu les artworks du dernier album, serais-tu intéressée pour faire ce passage à l’écran ?
Chloe : Oui ! J’ai déjà fait quelques créations graphiques en ce sens pour Amor Vincit Omnia en détournant du matériel existant. J’ai utilisé des images du Metropolis de Fritz Lang et de Jan Svankmajer. Pas mal d’imagerie surréaliste et industrielle. Ce serait fun de recommencer, même si l’argent reste un obstacle.
Ces créations à base de parties de corps humain entremêlées m’ont évoqué les harmonies vocales du groupe. Quelles sont tes sources d’inspirations pour créer ce genre de visuels ?
Chloe : Mon artiste préféré est probablement Francis Bacon. Je suis une grande amatrice de photo, j’apprécie particulièrement l’oeuvre d’un ami qui travaille à base de filtres et de couches superposées et fait de la photographie reconstruite. Il prend des prises de vue différentes d’un même sujet, les superpose, réduit leur opacité jusqu’à ce qu’elles deviennent quelque chose de complètement différent. Je suis très inspirée par ce processus, j’aime essayer de recréer des choses ou des formes à partir de nouvelles valeurs. Je suis fan d’art figuratif : partir de choses que nous connaissons tous, pour parler à ce qui constitue notre for intérieur. C’est très intéressant à explorer, la déconstruction / reconstruction d’éléments figuratifs, la manière la plus facile de procéder étant la photo.
Ne penses-tu pas que ça se rapproche du processus de production de la musique ? On part d’un matériel de base puis il y a les effets, les arrangements.
Chloe : Absolument ! Il y a beaucoup de parallèles à faire. Je suis également très intéressée par la peinture…J’ai traversé une phase où je faisais beaucoup de photo. C’est encore le cas, même si je ne suis plus autant à fond. C’est intéressant de dresser un lien entre la pochette et les voix, mais nous tenons à laisser une grande part à l’interprétation des gens. C’est chouette de ne pas donner trop de réponses directes histoire que les personnes puissent dire : « Ça me fait penser à la manière dont les voix se mélangent ». Je trouve plus stimulant de faire les choses de cette façon.
Pour en revenir à Porcupine Tree, beaucoup de fans semblent rêver d’une collaboration entre Steven Wilson et vous.
Jon : Ah oui ?
N’avez vous pas eu l’occasion de l’approcher pour un tel projet ?
Chloe : Non, mais ce serait génial !
Jon : Ce serait une excellente idée. Nous connaissons bien Steven, vu que nous avons joué avec Porcupine Tree.
Chloe : C’est un ami du groupe, mais il reste quelqu’un de très occupé par ses nombreuses collaborations.
Si cela ne pouvait pas se concrétiser, avec qui aimeriez-vous collaborer ?
Chloe : Justice, ce serait vraiment chouette ! (rires) Sinon, Billy Corgan ?
Jon : Il paraît que c’est un genre de dictateur dans son groupe…
Chloe : Ouais, du genre ses musiciens lui apportent des idées en disant : « J’ai passé des heures là-dessus » et s’entendent dire : « Non, c’est de la merde ! ».
Jon : « Donne-moi cette guitare espèce de tache, tu ne sais pas jouer ! Je n’ai peut-être pas de cheveux, mais j’ai des idées ! » (rire général) Brian Wilson serait une mauvaise idée…
Chloe : Muse, ce serait bien !