Steven Wilson
27/01/2019
La Laiterie - Strasbourg
Par Jean-Philippe Haas
Photos: Jean-Christophe Lebrun
Site du groupe : stevenwilsonhq.com/
Setlist :
Intro (« Truth », court métrage) - Nowhere Now – Pariah - Home Invasion - Regret #9 - The Creator Has a Mastertape – Refuge - The Same Asylum As Before – Ancestral – (entracte) - Arriving Somewhere But Not Here – Permanating - Song of I – Lazarus – Detonation – Vermillioncore - Sleep Together – Rappel : Even Less - Blackfield - The Sound of Muzak – The Raven That Refused to SingÇa y est. Steven Wilson accède enfin à la notoriété qu’il poursuit depuis quelques années. Une reconnaissance méritée, serait-on tenté de dire, avec toute la subjectivité de l’amateur de musiques progressives. To The Bone a eu l’effet escompté : passages en radio, télévisés, couvertures de magazines, articles dans la presse mainstream. Le résultat ? Une tournée marathon qui a fait carton plein en 2018 avec plusieurs dates en France, (notamment quelques festivals comme le Hellfest ou Retro C Trop) et un témoignage filmé des plus convaincants, Home Invasion : In Concert At The Royal Albert Hall. Il ne fallait pas moins que ce succès pour que Wilson se lance dans une nouvelle tournée européenne, privilégiant en France la province avec pas moins de huit dates. C’est Strasbourg qui ouvre la bal avec un concert à guichets fermés, proximité avec l’Allemagne oblige.
C’est un public très varié (lire « pas uniquement composé du quinquagénaire typique des concerts et festivals de prog »), qui arrive ce soir nombreux à La Laiterie. Les commentaires vont bon train parmi cette foule de tous âges, entre les nouveaux venus dans l’univers du Britannique, ceux qui l’ont découvert via Blackfield et les fans qui le suivent depuis les débuts de Porcupine Tree. On annonce trois heures de concert avec une pause médiane. De quoi nourrir les spéculations concernant les titres qui vont être joués, même si les setlists disponibles en ligne des concerts espagnols et portugais de la semaine passée donnent déjà une indication sur ce que proposera cette soirée.
Le concert s’ouvre par un court métrage projeté sur un rideau transparent qui traverse l’avant-scène. Des images fixes, équivoques, sobrement légendées par un mot (« Truth », « Religion », « Fake », « Science »…) se déroulent pendant quelques minutes, leur succession s’accélérant petit à petit. Les mots-clés changent au fur et à mesure, matérialisant probablement la confusion d’une époque et le pouvoir des médias sur les idées.
Singles taillés pour la scène, les deux premiers titres, « Nowhere Now » et « Pariah » (avec Ninet Tayeb projetée sur l’écran) cueillent le public à chaud, qui n’est pas avare d’enthousiasme. Ceux qui ont découvert Steven Wilson avec To The Bone, ont peut-être été quelque peu surpris par la tournure que prennent ensuite les événements, car les choses « sérieuses » commencent avec « Home Invasion/ Regret #9 » suivi de l’hypnotique « The Creator Has A Master Tape », des titres parfois assez furieux, tout comme le très progressif « Ancestral » clôturant la première partie du concert. Les réactions enthousiastes indiquent néanmoins que ce regain d’énergie ne semble pas en avoir dissuadé beaucoup !
Après un entracte d’une vingtaine de minutes, le concert reprend sur le très consistant « Arriving Somewhere But Not Here » de Porcupine Tree qui précède « Permanating ». Wilson prend le temps d’introduire (de justifier?) ce titre « abba-esque » par un petit discours assez honnête sur la puissance d’exposition médiatique d’un tel titre… et sur sa non-interprétation au Hellfest, flattant au passage l’ouverture d’esprit des métalleux. Le choix dans la succession des titres a donc visiblement été mûrement réfléchi pour ne laisser personne sur la route. L’Anglais prend d’ailleurs le temps d’expliquer ce qu’il va jouer, plaisantant d’un chroniqueur canadien qui parlait dans un article de « reprises de Porcupine Tree ». Des titres emblématiques de son ancien groupe alternent ainsi avec des compositions plus récentes, selon un équilibre censé mêler ce qui est accessible (« Permanating », « Lazarus »), et ce qui l’est moins : l’enchaînement « Detonation / Vermillioncore / Sleep Together » a dû en contenter plus d’un parmi les progueux comme il en a probablement dérouté d’autres !
Les éléments visuels ont également été très travaillés, comme on a déjà pu s’en apercevoir sur Home Invasion : In Concert At The Royal Albert Hall ; l’élément féminin est notamment très présent (chorégraphies ou personnages dans les clips). On est parfois plus attiré par ce qui est projeté sur le rideau ou sur l’écran derrière la scène que par ce qui se passe sur celle-ci proprement dite. Il faut dire que malgré sa toute nouvelle assurance, Steven Wilson ne peut assurer à lui seul le show, d’autant que son groupe (Nick Beggs à la basse, Adam Holzman aux claviers, Alex Hutchings à la guitare et Craig Blundell à la batterie) est aussi efficace que peu démonstratif.
Le rappel, qu’on espérait énergique, sera en réalité plutôt calme ; peut-être pour laisser une bonne impression aux derniers arrivants dans le monde musical de Wilson ? Celui-ci interprète seul à la guitare électrique une version dépouillée d’« Even Less », suivie du morceau-titre « Blackfield » à la guitare acoustique. Après qu’il ait non sans humour prévenu le public que les deux derniers morceaux allaient être déprimants, le concert s’achève sur le très accessible « The Sound of Muzak » tiré d’ In Absentia et le très emphatique « The Raven That Refused To Sing » de l’album éponyme, accompagné de son superbe clip, d’une tristesse à se pendre illico à une poutre. Mais cette note finale élégiaque ne dissuade nullement le public de faire une bruyante ovation au groupe.
Il est loin le temps des débuts de Porcupine Tree où Steven Wilson jouait en regardant ses pieds. Sa notoriété grandissante de ces dernières années a eu un effet très bénéfique sur sa présence scénique. Cette nouvelle tournée s’annonce donc très fructueuse pour le principal intéressé : un public conquis, élargi et nombreux. On pourra tiquer sur l’omniprésence de l’image et des effets visuels, pas très « rock’n’roll » (et en contradiction avec son aparté sur la guitare électrique), mais on ne peut nier le grand soin apporté au spectacle. Il faut saluer également un désir sincère de plaire à tous ses publics, qu’ils soient récents ou de la première heure.