Crescendo
10/10/2015
Esplanade du Concie - St Palais sur Mer
Par CHFAB
Photos: Thierry de Haro
Site du groupe :
17ème édition (!) pour ce festival toujours gratuit, toujours aussi réjouissant, et proposant trois jours de concerts de musiques progressives, pour qui veut bien soit déambuler par hasard le long de la mer, devant l’Esplanade du Concié , à Saint Palais Sur Mer (près de Royan ), soit réserver son billet de train à l’avance, pour loger à l’hôtel, au bungalow, ou tout simplement sous la tente, dont l’emplacement est, lui aussi, comme chaque année, offert ! Ouf ! Que de bonnes nouvelles en une seule phrase !
Une fois de plus la météo céleste, comme musicale, se présentait sous les meilleurs auspices, assénant son soleil vainqueur, entre scène ombragée et vue sur mer, imprenables ! Chaque année on envie un peu plus les musiciens qui jouent en ce site enchanteur… Et chaque année, depuis quelques saisons maintenant, l’on constate une présence sans cesse accrue du public, ce dès l’ouverture du premier jour, à 17h. Merci, et bravo à tous, rien que pour ce constat.
JEUDI 20 août
17h :
Ce sont les jurassiens de Motis, déjà vieux complices de Crescendo, puisque c’est leur troisième apparition, qui entament le festival…. Ils ouvriront également le bal le lendemain, avec donc deux sets différents d’à peu près 45 minutes chacun. Pour le premier jour, ils ont choisi le versant folk et chanson de leur répertoire, portant avec beaucoup de classe leur univers médiéval très identifiable. Changement notable par rapport à leurs dernières prestations cinq ans auparavant : ils sont de nouveau trois désormais (contre deux précédemment), rejoints par Martial Baudoin à la basse, présent sur leur dernier album. D’entrée le son est excellent, mettant en valeur les trois larrons, et la présence de ce nouveau bassiste ne fait qu’asseoir un peu plus les prouesses rythmiques de Tony Carvalho (batterie, et très jolies interventions au vibraphone), ainsi que les acrobaties (littéralement !) d’Emmanuel Tissot (Motis), qui au chant, qui au bouzouki électrique, qui aux claviers ! Toujours aussi performant ! La recette fait mouche, même si le répertoire semble un peu sage, pour ce set du moins. Les gaillards s’y entendent pourtant pour faire monter la sauce, augurant d’un lendemain encore plus alléchant. Le public finit par être séduit, voire conquis ! Vivement demain !
18h :
Inepsys est un groupe français du sud ouest de la France (Midi-Pyrénées), pratiquant un métal symphonique comme on en trouve un peu partout actuellement, et dont les influences très largement partagées vont vers Dream Theatre. Leur musique, égrainant les plans reconnus et rebattus du genre, se pare régulièrement de séquences gothiques symphoniques, pop rock, électro rock, funk rock, soul, jazz etc. Beaucoup de guitares, riffs à l’appui, grosse caisse plombée et chant lyrique au menu, pas très progressif en fait (ce sera d’ailleurs une sorte de fil rouge tout au long du festival, un point un peu regrettable). On pourra pointer du doigt un certain manque d’originalité, certes desservi par un son assez moyen. Saluons tout de même le professionnalisme du combo, en espérant que leur prestation leur aura permis d’élargir leur public, ainsi que de vendre un maximum de disques (nouvel album : The Chaos Engine) . C’est tout le mal qu’on leur souhaite !
20h :
L’Italie est cette fois-ci à l’honneur (comme ce sera encore deux fois le cas) avec les acolytes de Paolo « SKE Botta », claviériste et éminent compositeur, prolixe s’il en est. Not A Good Sign avait frappé très fort, avec un premier album de toute beauté, alliant symphonisme, fusion et tensions sous contrôle. Depuis, le guitariste Francesco Zago, deuxième fondateur du groupe, a quitté le navire, emportant avec lui la part la plus sombre de leur musique. Le deuxième album a pourtant peu divisé, tourné désormais vers des pièces plus mélodiques et chantées. La prestation qui a suivi a tôt fait de réconcilier les uns et les autres tant la set-list fut synthétique, et brillante. Tout d’abord, saluons l’enthousiasme très contagieux des musiciens, Botta en tête, jubilant totalement sur ses claviers (pourtant empruntés en catastrophe, et à la dernière minute, du fait d’un souci de transport aérien !), suivi de près par Alessandro Cassani, le bassiste, exubérant, et visiblement très fier de l’être (section rythmique de feu !). Il faut aussi louer la prestation vocale remarquable d’Alessio Calandriello (La Coscienza Di Zeno), dont la technique et l’intensité n’ont jamais faibli, de bout en bout ; justesse, tessiture très assurée, présence scénique, registre aigu puissant et précis, en plus du plaisir d’être là, on peut dire qu’il aura durablement marqué les esprits. Seul le nouveau guitariste, finalement, détonnait dans ce registre de très haute volée, son jeu très fusion tournant en boucle, pour des soli fournis et démonstratifs, toujours les mêmes, et manquant cruellement d’âme… Ce sera, également, une certaine constante pour cette édition 2015, comme vous le verrez… Mais c’est faire la fine bouche, tant ce concert fut véritablement brillantissime. L’un des concerts phare de cette édition, sans aucun doute.
22h :
L’organisation est, comme chaque année, très ponctuelle, et c’est au trio français Mörglbl de prendre d’assaut l’audience. Attention, le spectacle qui s’annonce sera total ! Outre les prouesses guitaristiques de Christophe Godin (maître ès 6 cordes, méthodes d’enseignement à l’appui) , on va avoir droit à un festival de poilades, invectives thrash, chauffage de salle et autres tueries musicales, tous azimuts ! Essayer de résumer ce concert serait une gageure, tant les trois musiciens (monstrueux de technique) semblaient totalement libres, improvisant quasiment de bout en bout ce show à l’américaine ! Le bassiste, d’apparence mesurée (en contraste avec l’allure très « hache de combat » de Godin) ne fut pas en reste pour dispenser pitreries et houspillages de public. Toute l’histoire de la musique, ou presque, y est passée ; riffs ultra métal, arrachage de vertèbres, meeting Vai-Satriani, jazz retro, sauteries blues, Petite Musique De Nuit, et tout ce qui n’a pas été mentionné ci avant… Difficile de résister à un tel rouleau compresseur, si ce n’est, parfois, le sentiment de ne pas trop savoir on l’on va, et d’avoir passé une bonne moitié du temps à se faire engueuler, pour pas tant de musique que ça au fond. Mais la marrade était au rendez-vous, ça c’est sûr ! Ce sont les aléas de ce genre de prestation, mais au vu du triomphe qui fut réservé, montant d’un cran à chaque fois (ils ont du métier et ça se voit !), la soirée fut chaude !
VENDREDI 21 août
17h :
Motis est de retour, pour cette fois un deuxième set beaucoup plus ambitieux, progressif à n’en pas douter, faisant honneur à leur tout dernier album. Josquin Messonnier est en effet un disque concept, très axé sur les claviers analogiques, et à qui il sera fait diablement honneur. Mellotron, Moog, Hammond et autres sonorités seventies ont émaillé les chansons et morceaux du trio (dont un bel instrumental), enfonçant le clou de la journée précédente, et embarquant les quelques derniers circonspects. Manu Tissot, capitaine du projet, fut impérial, malgré des textes nombreux et conséquents, jonglant une fois de plus entre micro, cordes, orgues (si !) pour des soli , accompagnements rythmiques et changements de sons : un véritable funambule musical, donnant de sa voix claire et puissante, entraînant la foule à lui tout seul. André Balzer, monsieur Atoll, vint partager le chant sur le morceau déjà présent dans leur dernier disque, faisant affleurer quelques effluves d’émotion et démontrant, le temps de quelques dialogues mélodieux, combien il n’avait pas perdu la main, ou plutôt la voix. Oubliée la teinte médiévale un peu sage et cliché, les Jurassiens ont, une fois encore, laissé un très heureux souvenir à l’auditoire.
18h :
A l’annonce d’une reformation d’Atoll, groupe plus que mythique, voire culte, faisant partie des tous meilleurs du genre de l’âge d’or (hors hexagone s’entend), la surprise était totale ! L’enthousiasme aussi ! Pensez-donc, ce Yes français, comme on le présentait à l’époque, n’avait plus jamais foulé la scène depuis plus de 25 ans au moins. André Balzer, chanteur historique, avait récemment sorti un disque solo, dans un registre plutôt pop sophistiquée, tout en réactivant, avec Joelle Gehin aux claviers, la musique d’Atoll, et avec un tout nouveau groupe de « p’tits jeunes »… Déjà c’était une nouvelle formidable, L’Araignée-Mal étant encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs albums de rock progressif de tous les temps, même s’ils sont très nombreux, je vous l’accorde. Les quelques documents postés sur Youtube (vive internet !) auguraient d’un niveau tout à fait encourageant. Restait la performance de Balzer, seul rescapé de la flotte originelle. Les parties de chant de cette musique étant particulièrement marquantes, l’interprétation jouant un rôle maître, toutes ces années passées nous laissaient dans une certaine… expectative, augurant soit du meilleur, soit du pire. Et bien disons-le d’entrée : le résultat fut époustouflant, dépassant très largement les attentes de chacun d’entre nous. Avec son allure neo punk, ses cheveux rasés orange fluo, ses costumes bigarrés mêlant Orient et étrange, jamais passéistes, évoquant de réels voyages transversaux, le chanteur nous a délivré un concert d’une rare intensité. Sa voix, certes chargée d’usure, d’un grain encore inédit, véhiculait des émotions d’une très grande sincérité, sans aucune auto complaisance, et ce avec une aisance et une technique véritablement inédites. Il fallait le voir et entendre dans son registre falsetto, tutoyant les anges, tenir le souffle, asséner une rage toute hard rock, et empoigner sa musique comme si sa vie en dépendait. L’assistance en était pétrifiée, et nombreux (dont votre serviteur) en ont versé des larmes, à plusieurs reprises ! Le répertoire, pourtant court (pourquoi ne pas les avoir programmés en tête d’affiche ?) fut absolument idyllique : « Musiciens-Magiciens », « L’araignée-Mal » (d’anthologie !), « Paris C’est Fini », « Les Dieux Même » « Smarto Kitchy »(dépoussiéré !), on en passe et des meilleures… Merveilleux de se souvenir à quel point Atoll a produit une musique qui confine au génie. Beaucoup de groupes actuels devraient s’en inspirer, soit dit en passant. La qualité des musiciens était de mise, avec une mention particulière pour la paire de claviers, d’une précision et d’un à-propos hors pair, un batteur très juste, très fin (malgré le spectre indépassable d’Alain Gozzo). Fred Schneider (Éclat, entre autre), assurait la relève, sans doute due à une absence provisoire du bassiste. En lieu et place du violon, un excellent flûtiste-saxophoniste, insufflant une touche jazz, voire jazz rock, relayait quelques parties de chorus avec beaucoup de sensibilité. Ce jeune homme est une trouvaille : bravo ! Seul le guitariste, finalement, jurait par ses démonstrations stériles de virtuosité, lors de solos qu’il administrait avec beaucoup de forfanterie, et que le mixage de départ avait mis bien trop en avant. N’est pas Latimer qui veut, ni Hackett… Ceci dit, lorsqu’il se fondait dans la composition, il était parfait. Quoiqu’il en soit, ce fut un pur moment de grâce (un rappel fut accordé, malgré le timing serré, et le répertoire achevé), un concert absolument inoubliable, laissant espérer une tournée triomphale, et, au-delà, qui sait, un nouvel album. Avec un tel niveau, tout est permis ! André Balzer’s Atoll ? Magnifique!
20h :
Profusion est un quintette italien tout droit venu de Sienne, pratiquant une sorte de néo prog chanté, légèrement musclé, et entrecoupé de parties instrumentales dérivant parfois vers les années 70. La prestation fut très appliquée, si ce n’est qu’elle manquait un peu de conviction. On ne peut rien reprocher au niveau technique des musiciens, ni du chanteur d’ailleurs, mais la prestation est restée un peu scolaire. Pourtant, les compositions ne s’illustraient pas particulièrement par leur degré de sophistication… Les plans pourtant annoncés métal par le programme(Dream Theater en tête) étaient très convenus, plutôt tranquilles, et il fallait beaucoup de patience pour découvrir ça et là quelques séances sortant du lot. Ne gâchons pas le plaisir de ceux qui apprécièrent, car il en est toujours qui, conquis par la dimension scénique , manifestent leur enthousiasme. On peut cependant affirmer que ce groupe manque encore d’originalité. Il ne fut pas le seul.
22h00 :
La Norvège revient, après un an d’absence de festival, pour renouer avec les senteurs pop rock seventies. En effet, en 2013, le quatuor Arabs In Aspic avait conquis l’esplanade, ré-épluchant le catalogue des citations de la grande époque. La sortie d’un nouvel album fut l’occasion pour faire montre, à nouveau, de leur plaisir, et de leur aisance. Rien de nouveau, bien sûr, tant leur discographie ne dévie pas d’un iota. Quelques grands moments sortirent du lot, évoquant les grands Deep Purple, et surtout Black Sabbath (mention spéciale, quelques récalcitrants se précipitant d’un seul coup vers la scène… mais cette séquence fut de courte durée). Le reste, d’un abord très sympathique, prolongeait des couleurs psyché, à grands renforts d’orgue Hammond, et de chorus archi bluesy… Le public fut ravi. Les gens sont toujours contents! On regrettera, comme dit précédemment, qu’Atoll n’ait pas eu la possibilité d’assurer ces quasi deux heures, sauf le respect dû aux Norvégiens, bien sûr…
SAMEDI 22 août
17h :
Aujourd’hui c’est la saint Fabrice! Mais c’est aussi au tour d’Hyskal, groupe local, d’ouvrir le bal. Aux dires du programme, c’est un groupe révolu qui se présente sur scène, puisque celui-ci a déjà splitté, lors de l’enregistrement de son deuxième album (un premier cependant est paru : Insight). Crescendo fut donc pour eux l’occasion de se réunir. Leur musique s’apparente à du métal progressif (encoooore !), mais ce sextette propose une certaine originalité, dans la mesure où sa musique comporte un chant en français, doublé d’interventions de saxophone, un instrument plutôt atypique dans ce genre. Écrire et chanter en français, lorsqu’on fait du rock, qui plus est du métal, n’est pas chose aisée, encore faut-il maîtriser la langue, mais aussi avoir un solide bagage littéraire. Le piège est de tomber dans les clichés que le métal prog distribue à profusion, entre citations judéo-chrétiennes, aphorismes déclinant lumière et ténèbres, raccourcis hasardeux sur la psyché humaine, le sens de la vie etc. On aurait aimé être séduit par l’emploi du sax (on se remémore la folie géniale de Panzerballett, en même lieu et place), mais il se montra plutôt parcimonieux, et sage, hélas, tout à l’instar des claviers, qui se contentèrent de nappes encore plus discrètes. Les joutes plombées et appuyées entre grosse caisse et guitare occupaient le terrain, forcément. Le mimétisme du chanteur avec celui de Dream Theater – voix, auto complaisance et réajustement de cheveux en tête – furent plus gênants au final qu’autre chose, d’autant que les textes n’étaient pas très audibles (et fameux ?). En fait, ce groupe, assez mal sonorisé, aurait sans doutes plus retenu l’attention si le festival n’avait déjà programmé au moins deux autres formations à l’identique; en ces circonstances, passer en troisième place n’est que peu enviable. On peut aussi s’interroger sur la présence d’un groupe, qui, officiellement, n’existe plus. A moins qu’il ne se soit reformé ?
18h :
L’Italie est de nouveau à l’œuvre, avec un quintette déjà acclamé lors de festivals réputés, à Veruno (équivalent de notre Crescendo national), et Gênes. Une chose frappe d’entrée : les similitudes avec Jethro Tull : chanteur-flutiste ad hoc, à la gestuelle identique au grand Ian Anderson ! Même façon de scander les riffs et accentuations, même énergie, et intonations voisines, donc heavy prog et folk à tous les étages. Les compositions de Psycho Praxys ont fait montre d’une belle inspiration, empreintes de très bons passages, sans pourtant trop plagier ni parodier leur modèle. Le seul hic, mais de taille, fut la fiabilité des musiciens, et tout particulièrement celle du batteur, qui semblait ramer, tant il donnait l’impression d’avoir un demi train de retard ! A moins que ce ne soit le clavier, trop pressé, ou trop affairé à mener à bien ses arpèges véloces. Dommage, car les arrangements, une fois ces défauts mis de côté, apparaissaient comme vraiment réussis, et parfois même somptueux. Passé le problèmet récurrent de la rythmique à la ramasse (mais tout le monde s’en est-il aperçu ?), le plaisir a bien fini par s’installer, et les plus exigeants finirent même par tendre l’oreille. Mission presque remplie finalement ! De quoi donner envie, en tous cas, de découvrir leur travail en studio. Un seul album paru, pour le moment : Echoes From The Deep, sorti en 2012.
20h :
En préambule de la suite, Denis Longo, disparu dans le courant de l’année passée, fut évoqué ; compagnon exceptionnel, fondateur de l’excellentissime site Progressive Area, festivalier fidèle, passionné émérite, son absence se fit ressentir parmi les nombreux témoins qui furent appelés à rejoindre le devant de l’estrade. Le concert qui suit lui fut dédié. Et nombreux étions-nous à traverser l’esplanade, pour témoigner de notre attachement et notre admiration. Un moment de silence, et d’émotion.
Place à la musique : si ce cru 2015 s’avérait prometteur au regard d’au moins une tête d’affiche, c’était bien avec Wobbler, l’un des derniers fers de lance du renouveau nordique des années 90. Trois albums seulement émaillent leur carrière, dont les deux premiers prolongeaient l’ambition d’un Änglagård, à la sauce ELP puisque les claviers analogiques y étaient portés très en avant. Leur tout dernier (déjà ancien) explorait les eaux plus contemplatives et positives du Yes de l’âge d’or, avec un chanteur cette fois-ci presque omniprésent. Quoi qu’il en soit la réputation scénique de ces Norvégiens n’étant plus à faire, toute l’assistance était au rendez-vous. Et personne ne fut déçu, bien au contraire. Même les plus sceptiques (ceux qui appréciaient les circonvolutions tendues et bouillonnantes des débuts) furent emportés par l’excellence, d’abord, du son, mais aussi des compositions (dont une inédite), des arrangements (deux guitares désormais) et de l’excellent chanteur, tant la qualité et la classe furent de mise. Incroyable de voir comment, avec une décontraction et une simplicité de chaque instant, quasiment l’air de rien, ils ont délivré un set superbe, parfaitement équilibré, entre tensions crimsonniennes et harmonies célestes. On pressentait déjà sur disque une technique sans faille, mais ce fut un bonheur de chaque instant de constater combien cette excellence était au service de la nuance et de la sensibilité. Une mention toute particulière pour le guitariste, presque effacé, à gauche de la scène, à la justesse et au toucher absolument splendides, aux antipodes de tous les guitar-héroes qui s’étaient succédé jusque là, eux si souvent bavards et prétentieux. C’était un réel bonheur ; des effluves de Mellotron et orgue Hammond hantaient les lieux, soutenus par une paire rythmique absolument réjouissante (basse Rickenbacker aux petits oignons, précise, généreuse ou mesurée : magnifique).Quelque chose d’inhabituel flottait dans l’air… enfin ! Un très grand bravo, pour l’un des grands moments du festival, toutes saisons confondues !
22h :
Ceux qui étaient présents il y a déjà quelques années le savaient, ceux qui, depuis, avaient acquis le DVD promotionnel du festival aussi : Crazy World avait déjà su mettre le feu avec son hard rock déjanté. Epaulé par l’ancien claviériste de Wigwam (groupe jazz rock pop des années 70, dont les trois premiers albums sont absolument exceptionnels), ces joyeux drilles norvégiens savent replonger quiconque dans la marmite hard rock, avec une jubilation façon Woodstock, pas moins ! Le chanteur et mentor, Mika Jarvinen, crinière d’or, silhouette dégingandée (qui a dit Robert Plant ?), allure et voix déglinguées, s’y connaît comme pas deux pour lever la jambe (littéralement !), avec son français approximatif, faisant fi des barrières, des pylônes de scènes, et s’immergeant à plusieurs reprises dans la foule, micro en main (qui ose encore les bains de foule, à plus de 50 piges ?), tel une pure star du rock tout droit échappée de l’asile du coin. Il faut le voir vous filer la banane, avec sa loufoquerie qui n’a d’égale que celle d’un Daevid Allen, hélas déjà au pays des théières volantes, ou bien encore Raoul Petite (qui connaît ce génial artiste marseillais ?). Le pays des Crazy World se situe radicalement du côté de l’autoroute du paradis. La recette se veut simple et sans détour : un morceau de Crazy World, un morceau de Led Zeppelin ! Le concert va ainsi se dérouler, entre ballades rock à final en crescendo, saillies guitaristiques dantesques, feeling (enfin !) de folie, riffs hallucinés, et catalogue ultra groove du Zep ! La voix du coyote de service a perdu de sa justesse, de sa superbe, certes, les aigus en ayant pris un coup, mais ce fut compter sans l’énorme sens de l’’autodérision de Jarvinen. Le public est aux anges, fourmis dans les pieds, bas du ventre aux abois et head banging à tous les étages. Et le groupe en a sous la pédale : gratteux ultra rock (enfin !), riffs, chorus et bends incandescents, paire basse-batterie infernale, et orgue Hammond chauffé à blanc, libérant ça et là les nuées d’un Mellotron (un vrai !) stratosphérique, sans compter les soli de Mini Moog à tomber par terre ! L’ambiance est à la surchauffe, d’autant que le ciel commence à résonner du marteau des dieux, comme une sorte de reconnaissance. Tonnerre, grondements colossaux, puis tempête, tout va de pair ! Et puis… la pluie débarque sagement d’abord, puis se déverse peu à peu en cordes de piano sous les halos rouges, vert et bleu de la scène. Le guitariste s’interrompt, lâche tout, Jarvinen disparaît comme une flèche dans sa camionnette blanche (parole !), suivi du bassiste, laissant seuls batteur et Hammond, pour une joute furibarde, disputant fureur et hurlements aux éléments, qui finiront quand même par avoir le dessu. L’esplanade devient alors déluge biblique, les quelques rescapés en capuchonnés ont tôt fait de s’éparpiller, à l’instar de votre serviteur, qui termina ce festival dans sa tente de poche, rouée par les trombes furibardes de tout un été de pluie !
Difficile d’en dire plus, si ce n’est que la nuit fut autant tellurique que blanche, assourdie par les explosions hallucinées d’éclairs. Le marteau a bien frappé, sans retenue ! Vive le rock, vive le prog, vive l’électricité. Un grand salut aux amis qu’on n’a évidemment pas eu le temps ni la possibilité d’embrasser.
Ainsi s’achève Crescendo 2015, avec tout le courage du lendemain, celui des bénévoles qui aidèrent au démontage. Une fois de plus, ce festival résonnera comme un moment vraiment singulier, à tous points de vue, où musique, fraternité et beauté géographique se sont disputé la place. Un plaisir certain des retrouvailles.
A l’année prochaine !