Night of the Prog
02/10/2013
- Sankt-Goarshausen
Par Martial Briclot
Photos:
Site du groupe :
Article collaboratif écrit par Martial Briclot, Maxime Delorme et Elisabeth Parnaudeau
Lorelei : un nom qui évoque une nixe germanique dont le chant envoûtait les navigateurs du Rhin, les précipitant à leur perte sur le rocher éponyme. Aujourd’hui, cette nymphe attire un autre type de proies : les festivaliers ! En effet, chaque année à l’été, la commune de Sankt Goarshausen organise une série de concerts et de festivals sur le rocher de Lorelei. Il faut avouer que le cadre magique (un amphithéâtre en extérieur, une acoustique fabuleuse et une vue imprenable sur la vallée du Rhin) particulièrement propice au calme et à la détente en a fait un lieu de concerts privilégié.
Cette année, pour la sixième édition, le rocher de Lorelei accueillait la Night of the Prog, festival de musiques progressives et assimilées les 13 et 14 juillet. Au programme, Steven Wilson, Opeth, Devin Townsend ou encore Magma en têtes d’affiche. Autant dire qu’il nous était impossible de résister à la tentation de couvrir un tel évènement !
Malheureusement, le trajet étant particulièrement long depuis Paris, la chromateam n’est pas arrivée à temps pour les deux premiers groupes : Sanguine Hum et Sound of Contact (projet mené par Simon Collins, le fils du bien connu chanteur/batteur). Le périple commence donc par l’apparition de Pineapple Thief sur scène.
Et il faut avouer qu’il s’agit d’un des concerts les plus décevants du festival. Si l’on veut bien croire que la bande de Bruce Soord a plus de succès à huis clos en salle, en pleine journée sur la scène du Lorelei, l’effet est bien moindre. En effet, malgré l’énergie que déploie son leader, le groupe suscite assez peu l’émoi. Cette molesse peut être attribuée en grande partie à une setlist qui mange à tous les râteliers. Lorsque les mélodies n’évoquent pas d’autres groupes (passés par là de bien plus élégante manière), elles s’avèrent un peu l’apologie du riff à un accord. Si l’effet est amusant sur un morceau, à la longue le tout devient passablement ennuyeux. On notera tout de même un certain effort, notamment l’adaptation au public résolument prog, et l’incitation à taper dans les mains en 6/8. En bref, le set médiocre et le manque de véritable mise en scène laisseront un goût amer. Heureusement, il s’agira d’un des rares points noirs du festival.
Changement de set. Spontanément, lorsqu’un de nos voisins nous demande ce à quoi Crippled Black Phoenix pourrait bien ressembler, nous répondons avec l’assurance de celui qui n’a écouté le dernier album qu’une poignée de fois : un all-star band (incluant des membres de Mogwai et Electric Wizard) de post-rock avec une pointe de prog aux entournures. Et c’est un regard plein d’incompréhension et d’amusement que nous adresse le dit voisin au bout de deux morceaux de la formation anglaise. En live, il n’est plus vraiment question de post-rock mais bien de classic rock musclé, gonflé au progressif floydien et cela fonctionne à deux cents pour cents sur l’assistance. Relativement facile d’accès, ponctuée de riffs bien gras aux relents de stoner et de plages plus atmosphériques, leur musique ne possède pas grand chose d’original, mais lorsque l’on propose deux claviers et trois guitares, il semble évident que l’on cherche avant tout à en imposer par son efficacité. La conclusion mettra l’amphithéâtre à genoux, et c’est au morceau Burnt Reynolds issu de l’album The Resurectionnists/Night Raider que l’on remettra le prix de la plus belle participation du public pour cette année.
C’est ensuite à l’exception culturelle française de démontrer que la musique progressive (même si la définition a toujours été assez marginale dans ce cas) n’est pas étrangère à Magma. Invités spéciaux de Steven Wilson (qui se plaira à nous le rappeler au concert suivant), la troupe de Christian Vander s’impose avec aise, montrant par là même qu’elle n’est pas intimidée par les « petits jeunes ». Il faut avouer que Stella Vander et Hervé Aknin ne sont pas en reste et leur voix envoûtante plonge l’auditoire dans une hypnose béate qui ne cessera qu’à la fin du concert. Au programme des réjouissances, un Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh du meilleur effet ainsi que l’intégralité de Félicité Thösz. Par moments, c’est Vander lui-même qui nous gratifie de sa voix enivrante, narrant et chantant de longues mélopées. Si le show n’aura pas convaincu toute l’assemblée, en raison de sa nature très particulière, une personne au moins aura apprécié plus que tout le spectacle : Mikael Akerfeldt. En effet, le leader d’Opeth, après un bain de foule un peu chargé sur Crippled Black Phoenix, s’est installé pour profiter du spectacle de Magma aux premiers rangs !
C’est après cette baffe que le samedi soir décide de s’achever sur le très attendu Steven Wilson. Et … c’est une autre déception en somme. La troupe de l’Anglais (mentionnons que Marco Minnemann a été remplacé sur ces quelques dates par Chad Wackermann) est toujours aussi impressionnante sur scène, d’une part par la richesse musicale qu’elle prodigue et d’autre part par le jeu de scène, l’énergie et la toujours aussi immersive synesthésie entre la musique et les images projetées. Mais ce millimétrage a un prix : un certain manque de spontanéité d’une saison sur l’autre, que l’on peut déplorer. Si l’on comprend bien que le leader de la bande ne peut pas particulièrement se permettre de faire de fioritures d’un concert à l’autre, on aurait tout de même espéré (naïvement certes) une apparition d’Akerfeldt sur scène. C’eût été en effet, l’occasion ou jamais de pousser la chansonnette ensemble, voire, ô exclusivité, de nous gratifier d’un extrait de Storm Corrosion en live. Malheureusement il n’en sera rien. Heureusement que le concert sera tout de même d’une qualité stupéfiante … comme à son habitude. Et comme à son habitude, le public sera particulièrement réceptif aux morceaux plongeant l’amphithéâtre dans une ambiance hors du commun. Parfaite manière de clore la première journée.
La deuxième journée s’ouvre avec Anima Mundi, une formation d’origine cubaine, une des excellentes surprises de ce festival. Le public ne s’y trompe pas, et dès potron-minet, l’amphithéâtre résonne des applaudissements enthousiastes de centaines de progueux conquis. Le groupe est venu présenter son nouvel album The Lamplighter, et son chanteur, Emmanuel Pirko-Farrath. Essai transformé pour ce dernier : malgré quelques canards dans les aigus, son énergie est communicative et on se serait bien vu aussi se trémousser sur scène avec lui, un tambourin à la main. Même constat pour les autres musiciens : leur plaisir de jouer est extrêmement palpable et assure le plus efficace des réveils. Anima Mundi nous propose un rock progressif très symphonique aux influences floydiennes bien identifiables – le guitariste semble en être inconditionnel, et plusieurs solos sonnent comme un hommage à David Gilmour. La basse n’est pas en reste non plus, avec une grande présence mélodique. De très belles percussions et flûtes accompagnent plusieurs des morceaux, comme pour nous rappeler les origines cubaines du groupe. Et pour le petit côté décalé / melting pot culturel, une cornemuse vient s’ajouter sur « La Montana del Vigia ». Mais à vouloir trop bien faire, cette profusion se fait au détriment d’autres instruments comme la clarinette, à peine perceptible, noyée dans le mix. Malgré un set assez court, Anima Mundi nous a donc mis une patate d’enfer avec leur musique aussi joyeuse, colorée et délirante que la pochette de leur nouvel album. D’ailleurs, nombre de festivaliers se sont précipités sur les stands merchandising pour acheter The Lamplighter. Si ça, ce n’est pas un signe de réussite !…
Dans ce festival à la programmation ultra prog, Maybeshewill représente l’ouverture au post-rock, une des facettes modernes du genre. Mais voilà, avouons-le tout net, ce n’aura pas été un franc succès. La faute sans doute due en partie à ce décalage entre un public composé en grande partie de vieux de la vieille du prog, et ce groupe de jeunes Anglais méchus au look de hipster bonnet-slim roulé. Sans doute ont-ils eux mêmes senti ce décalage car on ne les aura pas senti toujours à leur aise sur scène, surtout que la communication avec le public fut réduite au strict minimum – quoique visiblement, ce soit un comportement récurrent chez certains groupes de post rock ou d’indie. Passé outre l’a priori vestimentaire et la barrière du style, Maybeshewill a délivré un set de post rock purement instrumental classique, efficace et énergique. La présence de deux guitaristes a permis d’envoyer des gros riffs, parfois assez heavy et souvent entraînants, mais couvrant complètement le clavier. Seul le balancement de mèche assez hypnotique du claviériste nous aura indiqué qu’il jouait. Rendons lui justice cependant : ses introductions et ses solos étaient réussis et mélodieux, et instauraient une atmosphère planante plutôt agréable. Ce n’est pas suffisant pour garder l’attention déclinante d’un public poli mais peu conquis. Les motifs et les progressions harmoniques étant répétitifs voire frustrants, on pouvait sentir par instants la lassitude s’installer après des débuts de morceaux prometteurs. Maybeshewill ne fut sans doute pas la révélation du festival, mais inviter des groupes qui ne sont pas progressifs à proprement parler est tout de même une idée à garder et à creuser pour les prochaines éditions !
Comme toute formation culte, Änglagård bénéficie du soutien inconditionnel de nombreux convertis, mais fait également face à l’incompréhension d’une partie de l’auditoire à laquelle nous appartenons. Le groupe a été récemment remanié, c’est un fait (Jaime Salazar, ex-Flower Kings reprend pour le moment le poste de batteur), mais ceci n’explique pas la tournure bancale que pris leur prestation live ce jour là. Si leur prog soigneusement écrit, aux ambiances nordiques ciselées, propose quelques saillies bien lourdes susceptibles de séduire quelques fans d’Opeth on regrette que l’ensemble prenne parfois des allures de répétition générale. Balance à rallonge, erreurs lors des intros, penses-bêtes à droite et à gauche, il arrive également à la meneuse de se tromper en annonçant un morceau. Celle-ci aura malgré tout le mérite de cumuler les casquettes avec aisance, jonglant entre flûtes, samples et saxophone tout du long de leur performance. Pour faire simple, si ceux qui vénéraient Änglagård à ce jour repartirent ravis, les autres n’auront vraisemblablement pas rallié la cause suite à ce concert.
S’installent ensuite les impressionnants racks d’effets d’Amplifier. Les octopus fusent de partout et la balance interminable nous promet un show à la fois massif et subtil comme à l’ habitude du groupe. Les Mancunéens sont désormais accompagnés par Charlie Barnes sur scène tenant le rôle de musicien bonus aux claviers, guitares, chants et lunettes de soleil. Tout semblait partir pour le mieux, notamment avec des interprétations particulièrement réussies de quelques morceaux d’Echo Street (« The Wheel » et « Extra Vehicular » entre autres) et d’une bonne partie de The Octopus (notons un « The Wave » tout à fait splendide). Malheureusement une machine à fumée folle s’empara de la scène, noyant le groupe dans les volutes, occultant celle-ci en intégralité …ainsi que le premier rang. Si les vents auront tendance à balayer de temps à autres la fumée, le groupe passera un bon tiers de son set invisible aux yeux de l’auditoire. C’est d’autant plus dommage qu’il est visiblement en grande forme et que le son de bonne qualité dépasse très largement sa dernière apparition en France (en collaboration avec Anathema). Autre incident, la balance à rallonge et le retard des autres formations fera pâtir Amplifier qui doit évacuer la scène après un set raccourci pour laisser la place aux têtes d’affiche. Sel ne manquera pas de montrer son mécontentement, malgré un remerciement chaleureux du public, tout à fait réceptif.
Que dire de neuf sur Caravan qui n’ait déjà été écrit ? Pour être honnête, il serait simple de vous renvoyer à notre compte-rendu du High Voltage de 2011 tant leur prestation fût équivalente. Nous faisons face à une machine expérimentée, aux rouages certes plus tous jeunes, mais parfaitement huilés. Une spontanéité non feinte et un plaisir totalement communicatif ont permis aux représentants de la scène de Canterbury de toucher le public en plein cœur. Le prog, ce n’est pas qu’une musique complexe, sérieuse, aux arrangements foisonnants, cela peut être direct, enjoué et ludique. Et ce n’est pas le solo de petite cuillères issu de « Golf Girl » qui viendra nous contredire. Les pépites issues d’In the Land of the Grey and Pink ou les violonades énergiques de Geoffrey Richardson achèveront sans peine de convaincre les plus sceptiques, préparant le terrain à un univers bien différent, celui de sieur Devin Townsend.
Un des rares représentant de la section métallique du genre progressif s’est hissé en bonne place sur l’affiche du premier soir, et Devin Townsend ne se prive pas de taquiner un public dont il sait qu’il aura à convaincre la frange la plus conservatrice. Mais ce n’est pas pour autant que le facétieux canadien exercera ce soir un compromis sur sa setlist parfaitement rôdée lors de la précédente tournée. Seule ombre au tableau, il lui manque en ce moment un de ses fidèles acolyte, Dave Young, qui ne sera pas remplacé pour l’occasion, les bandes-son faisant office de roue de secours improvisée. On pourra rétorquer que seul sur scène, Townsend assurerait malgré tout, et force est de constater que cette affirmation a tout pour être crédible. Joueur, il accueillera à ses côtés la silhouette du musicien en arrêt maladie, confectionnée par les fans pour l’occasion, et s’en amusera régulièrement. Il ne se privera pas non plus d’inviter quelques fans sur scène ou de descendre régulièrement dans la fosse, au grand dam du service de sécurité allemand, absolument pas préparé à cette éventualité. Quelques missiles de heavy sympho-prog plus tard, il nous assène l’hymne massive et obsédante « Grace » issue de son dernier album, désormais le point d’orgue de chacun de ses concerts. On aurait aimé plus de musiciens sur scène et moins de bande préenregistrées pour l’occasion, mais cette configuration minimaliste remplit malgré tout son rôle d’introduction de luxe au plat métallique principal de la soirée que représente Opeth.
C’est finalement sur un set absolument irréprochable que le Night of the Prog se termine. Opeth investit la scène pour une bonne heure et demie de concert. Les Suédois, menés par un Mikael Akerfeldt toujours aussi jouasse, arborant fièrement un t-shirt Magma, dispense comme à leur habitude un metal à la fois violent, subtil et complexe. Le groupe réserve quelque surprises à son auditoire (lui …). La première est un son d’une clarté exceptionnelle qui rend l’ambiance particulièrement palpable. Il faut avouer qu’écouter Opeth en plein air, dans un amphithéâtre à la nuit tombée représente probablement les meilleures conditions pour apprécier la musique envoûtante du groupe. Seconde surprise : la setlist nous propose deux inédits : « White Cluster » et « Atonement ». La bonne humeur du groupe déteint sur le public qui participe beaucoup sur les morceaux. On notera que malgré une chute sur les marches de l’amphithéâtre, Akerfeldt assurera parfaitement la fin de « Deliverance ». Le concert et le festival s’achèvent sur un magistral « Blackwater Park », et c’est les yeux brillants que les festivaliers quittent les prémisses pour rentrer.
Une chose est certaine. Si l’équipe du Night of The Prog continue à proposer une programmation de si bonne qualité, dans un lieu aussi enchanteur, elle pourra compter sur la participation de la chromateam à chaque édition. Ce festival est une perle rare, à la fois pour son cadre et la qualité des groupes invités. Et si le déplacement depuis la France est certes un peu fastidieux et long, le jeu en vaut grandement la chandelle.
Article collaboratif écrit par Martial Briclot, Maxime Delorme et Elisabeth Parnaudeau
Lorelei : un nom qui évoque une nixe germanique dont le chant envoûtait les navigateurs du Rhin, les précipitant à leur perte sur le rocher éponyme. Aujourd’hui, cette nymphe attire un autre type de proies : les festivaliers ! En effet, chaque année à l’été, la commune de Sankt Goarshausen organise une série de concerts et de festivals sur le rocher de Lorelei. Il faut avouer que le cadre magique (un amphithéâtre en extérieur, une acoustique fabuleuse et une vue imprenable sur la vallée du Rhin) particulièrement propice au calme et à la détente en a fait un lieu de concerts privilégié.
Cette année, pour la sixième édition, le rocher de Lorelei accueillait la Night of the Prog, festival de musiques progressives et assimilées les 13 et 14 juillet. Au programme, Steven Wilson, Opeth, Devin Townsend ou encore Magma en têtes d’affiche. Autant dire qu’il nous était impossible de résister à la tentation de couvrir un tel évènement !
Malheureusement, le trajet étant particulièrement long depuis Paris, la chromateam n’est pas arrivée à temps pour les deux premiers groupes : Sanguine Hum et Sound of Contact (projet mené par Simon Collins, le fils du bien connu chanteur/batteur). Le périple commence donc par l’apparition de Pineapple Thief sur scène.
Et il faut avouer qu’il s’agit d’un des concerts les plus décevants du festival. Si l’on veut bien croire que la bande de Bruce Soord a plus de succès à huis clos en salle, en pleine journée sur la scène du Lorelei, l’effet est bien moindre. En effet, malgré l’énergie que déploie son leader, le groupe suscite assez peu l’émoi. Cette molesse peut être attribuée en grande partie à une setlist qui mange à tous les râteliers. Lorsque les mélodies n’évoquent pas d’autres groupes (passés par là de bien plus élégante manière), elles s’avèrent un peu l’apologie du riff à un accord. Si l’effet est amusant sur un morceau, à la longue le tout devient passablement ennuyeux. On notera tout de même un certain effort, notamment l’adaptation au public résolument prog, et l’incitation à taper dans les mains en 6/8. En bref, le set médiocre et le manque de véritable mise en scène laisseront un goût amer. Heureusement, il s’agira d’un des rares points noirs du festival.
Changement de set. Spontanément, lorsqu’un de nos voisins nous demande ce à quoi Crippled Black Phoenix pourrait bien ressembler, nous répondons avec l’assurance de celui qui n’a écouté le dernier album qu’une poignée de fois : un all-star band (incluant des membres de Mogwai et Electric Wizard) de post-rock avec une pointe de prog aux entournures. Et c’est un regard plein d’incompréhension et d’amusement que nous adresse le dit voisin au bout de deux morceaux de la formation anglaise. En live, il n’est plus vraiment question de post-rock mais bien de classic rock musclé, gonflé au progressif floydien et cela fonctionne à deux cents pour cents sur l’assistance. Relativement facile d’accès, ponctuée de riffs bien gras aux relents de stoner et de plages plus atmosphériques, leur musique ne possède pas grand chose d’original, mais lorsque l’on propose deux claviers et trois guitares, il semble évident que l’on cherche avant tout à en imposer par son efficacité. La conclusion mettra l’amphithéâtre à genoux, et c’est au morceau Burnt Reynolds issu de l’album The Resurectionnists/Night Raider que l’on remettra le prix de la plus belle participation du public pour cette année.
C’est ensuite à l’exception culturelle française de démontrer que la musique progressive (même si la définition a toujours été assez marginale dans ce cas) n’est pas étrangère à Magma. Invités spéciaux de Steven Wilson (qui se plaira à nous le rappeler au concert suivant), la troupe de Christian Vander s’impose avec aise, montrant par là même qu’elle n’est pas intimidée par les « petits jeunes ». Il faut avouer que Stella Vander et Hervé Aknin ne sont pas en reste et leur voix envoûtante plonge l’auditoire dans une hypnose béate qui ne cessera qu’à la fin du concert. Au programme des réjouissances, un Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh du meilleur effet ainsi que l’intégralité de Félicité Thösz. Par moments, c’est Vander lui-même qui nous gratifie de sa voix enivrante, narrant et chantant de longues mélopées. Si le show n’aura pas convaincu toute l’assemblée, en raison de sa nature très particulière, une personne au moins aura apprécié plus que tout le spectacle : Mikael Akerfeldt. En effet, le leader d’Opeth, après un bain de foule un peu chargé sur Crippled Black Phoenix, s’est installé pour profiter du spectacle de Magma aux premiers rangs !
C’est après cette baffe que le samedi soir décide de s’achever sur le très attendu Steven Wilson. Et … c’est une autre déception en somme. La troupe de l’Anglais (mentionnons que Marco Minnemann a été remplacé sur ces quelques dates par Chad Wackermann) est toujours aussi impressionnante sur scène, d’une part par la richesse musicale qu’elle prodigue et d’autre part par le jeu de scène, l’énergie et la toujours aussi immersive synesthésie entre la musique et les images projetées. Mais ce millimétrage a un prix : un certain manque de spontanéité d’une saison sur l’autre, que l’on peut déplorer. Si l’on comprend bien que le leader de la bande ne peut pas particulièrement se permettre de faire de fioritures d’un concert à l’autre, on aurait tout de même espéré (naïvement certes) une apparition d’Akerfeldt sur scène. C’eût été en effet, l’occasion ou jamais de pousser la chansonnette ensemble, voire, ô exclusivité, de nous gratifier d’un extrait de Storm Corrosion en live. Malheureusement il n’en sera rien. Heureusement que le concert sera tout de même d’une qualité stupéfiante … comme à son habitude. Et comme à son habitude, le public sera particulièrement réceptif aux morceaux plongeant l’amphithéâtre dans une ambiance hors du commun. Parfaite manière de clore la première journée.
La deuxième journée s’ouvre avec Anima Mundi, une formation d’origine cubaine, une des excellentes surprises de ce festival. Le public ne s’y trompe pas, et dès potron-minet, l’amphithéâtre résonne des applaudissements enthousiastes de centaines de progueux conquis. Le groupe est venu présenter son nouvel album The Lamplighter, et son chanteur, Emmanuel Pirko-Farrath. Essai transformé pour ce dernier : malgré quelques canards dans les aigus, son énergie est communicative et on se serait bien vu aussi se trémousser sur scène avec lui, un tambourin à la main. Même constat pour les autres musiciens : leur plaisir de jouer est extrêmement palpable et assure le plus efficace des réveils. Anima Mundi nous propose un rock progressif très symphonique aux influences floydiennes bien identifiables – le guitariste semble en être inconditionnel, et plusieurs solos sonnent comme un hommage à David Gilmour. La basse n’est pas en reste non plus, avec une grande présence mélodique. De très belles percussions et flûtes accompagnent plusieurs des morceaux, comme pour nous rappeler les origines cubaines du groupe. Et pour le petit côté décalé / melting pot culturel, une cornemuse vient s’ajouter sur « La Montana del Vigia ». Mais à vouloir trop bien faire, cette profusion se fait au détriment d’autres instruments comme la clarinette, à peine perceptible, noyée dans le mix. Malgré un set assez court, Anima Mundi nous a donc mis une patate d’enfer avec leur musique aussi joyeuse, colorée et délirante que la pochette de leur nouvel album. D’ailleurs, nombre de festivaliers se sont précipités sur les stands merchandising pour acheter The Lamplighter. Si ça, ce n’est pas un signe de réussite !…
Dans ce festival à la programmation ultra prog, Maybeshewill représente l’ouverture au post-rock, une des facettes modernes du genre. Mais voilà, avouons-le tout net, ce n’aura pas été un franc succès. La faute sans doute due en partie à ce décalage entre un public composé en grande partie de vieux de la vieille du prog, et ce groupe de jeunes Anglais méchus au look de hipster bonnet-slim roulé. Sans doute ont-ils eux mêmes senti ce décalage car on ne les aura pas senti toujours à leur aise sur scène, surtout que la communication avec le public fut réduite au strict minimum – quoique visiblement, ce soit un comportement récurrent chez certains groupes de post rock ou d’indie. Passé outre l’a priori vestimentaire et la barrière du style, Maybeshewill a délivré un set de post rock purement instrumental classique, efficace et énergique. La présence de deux guitaristes a permis d’envoyer des gros riffs, parfois assez heavy et souvent entraînants, mais couvrant complètement le clavier. Seul le balancement de mèche assez hypnotique du claviériste nous aura indiqué qu’il jouait. Rendons lui justice cependant : ses introductions et ses solos étaient réussis et mélodieux, et instauraient une atmosphère planante plutôt agréable. Ce n’est pas suffisant pour garder l’attention déclinante d’un public poli mais peu conquis. Les motifs et les progressions harmoniques étant répétitifs voire frustrants, on pouvait sentir par instants la lassitude s’installer après des débuts de morceaux prometteurs. Maybeshewill ne fut sans doute pas la révélation du festival, mais inviter des groupes qui ne sont pas progressifs à proprement parler est tout de même une idée à garder et à creuser pour les prochaines éditions !
Comme toute formation culte, Änglagård bénéficie du soutien inconditionnel de nombreux convertis, mais fait également face à l’incompréhension d’une partie de l’auditoire à laquelle nous appartenons. Le groupe a été récemment remanié, c’est un fait (Jaime Salazar, ex-Flower Kings reprend pour le moment le poste de batteur), mais ceci n’explique pas la tournure bancale que pris leur prestation live ce jour là. Si leur prog soigneusement écrit, aux ambiances nordiques ciselées, propose quelques saillies bien lourdes susceptibles de séduire quelques fans d’Opeth on regrette que l’ensemble prenne parfois des allures de répétition générale. Balance à rallonge, erreurs lors des intros, penses-bêtes à droite et à gauche, il arrive également à la meneuse de se tromper en annonçant un morceau. Celle-ci aura malgré tout le mérite de cumuler les casquettes avec aisance, jonglant entre flûtes, samples et saxophone tout du long de leur performance. Pour faire simple, si ceux qui vénéraient Änglagård à ce jour repartirent ravis, les autres n’auront vraisemblablement pas rallié la cause suite à ce concert.
S’installent ensuite les impressionnants racks d’effets d’Amplifier. Les octopus fusent de partout et la balance interminable nous promet un show à la fois massif et subtil comme à l’ habitude du groupe. Les Mancunéens sont désormais accompagnés par Charlie Barnes sur scène tenant le rôle de musicien bonus aux claviers, guitares, chants et lunettes de soleil. Tout semblait partir pour le mieux, notamment avec des interprétations particulièrement réussies de quelques morceaux d’Echo Street (« The Wheel » et « Extra Vehicular » entre autres) et d’une bonne partie de The Octopus (notons un « The Wave » tout à fait splendide). Malheureusement une machine à fumée folle s’empara de la scène, noyant le groupe dans les volutes, occultant celle-ci en intégralité …ainsi que le premier rang. Si les vents auront tendance à balayer de temps à autres la fumée, le groupe passera un bon tiers de son set invisible aux yeux de l’auditoire. C’est d’autant plus dommage qu’il est visiblement en grande forme et que le son de bonne qualité dépasse très largement sa dernière apparition en France (en collaboration avec Anathema). Autre incident, la balance à rallonge et le retard des autres formations fera pâtir Amplifier qui doit évacuer la scène après un set raccourci pour laisser la place aux têtes d’affiche. Sel ne manquera pas de montrer son mécontentement, malgré un remerciement chaleureux du public, tout à fait réceptif.
Que dire de neuf sur Caravan qui n’ait déjà été écrit ? Pour être honnête, il serait simple de vous renvoyer à notre compte-rendu du High Voltage de 2011 tant leur prestation fût équivalente. Nous faisons face à une machine expérimentée, aux rouages certes plus tous jeunes, mais parfaitement huilés. Une spontanéité non feinte et un plaisir totalement communicatif ont permis aux représentants de la scène de Canterbury de toucher le public en plein cœur. Le prog, ce n’est pas qu’une musique complexe, sérieuse, aux arrangements foisonnants, cela peut être direct, enjoué et ludique. Et ce n’est pas le solo de petite cuillères issu de « Golf Girl » qui viendra nous contredire. Les pépites issues d’In the Land of the Grey and Pink ou les violonades énergiques de Geoffrey Richardson achèveront sans peine de convaincre les plus sceptiques, préparant le terrain à un univers bien différent, celui de sieur Devin Townsend.
Un des rares représentant de la section métallique du genre progressif s’est hissé en bonne place sur l’affiche du premier soir, et Devin Townsend ne se prive pas de taquiner un public dont il sait qu’il aura à convaincre la frange la plus conservatrice. Mais ce n’est pas pour autant que le facétieux canadien exercera ce soir un compromis sur sa setlist parfaitement rôdée lors de la précédente tournée. Seule ombre au tableau, il lui manque en ce moment un de ses fidèles acolyte, Dave Young, qui ne sera pas remplacé pour l’occasion, les bandes-son faisant office de roue de secours improvisée. On pourra rétorquer que seul sur scène, Townsend assurerait malgré tout, et force est de constater que cette affirmation a tout pour être crédible. Joueur, il accueillera à ses côtés la silhouette du musicien en arrêt maladie, confectionnée par les fans pour l’occasion, et s’en amusera régulièrement. Il ne se privera pas non plus d’inviter quelques fans sur scène ou de descendre régulièrement dans la fosse, au grand dam du service de sécurité allemand, absolument pas préparé à cette éventualité. Quelques missiles de heavy sympho-prog plus tard, il nous assène l’hymne massive et obsédante « Grace » issue de son dernier album, désormais le point d’orgue de chacun de ses concerts. On aurait aimé plus de musiciens sur scène et moins de bande préenregistrées pour l’occasion, mais cette configuration minimaliste remplit malgré tout son rôle d’introduction de luxe au plat métallique principal de la soirée que représente Opeth.
C’est finalement sur un set absolument irréprochable que le Night of the Prog se termine. Opeth investit la scène pour une bonne heure et demie de concert. Les Suédois, menés par un Mikael Akerfeldt toujours aussi jouasse, arborant fièrement un t-shirt Magma, dispense comme à leur habitude un metal à la fois violent, subtil et complexe. Le groupe réserve quelque surprises à son auditoire (lui …). La première est un son d’une clarté exceptionnelle qui rend l’ambiance particulièrement palpable. Il faut avouer qu’écouter Opeth en plein air, dans un amphithéâtre à la nuit tombée représente probablement les meilleures conditions pour apprécier la musique envoûtante du groupe. Seconde surprise : la setlist nous propose deux inédits : « White Cluster » et « Atonement ». La bonne humeur du groupe déteint sur le public qui participe beaucoup sur les morceaux. On notera que malgré une chute sur les marches de l’amphithéâtre, Akerfeldt assurera parfaitement la fin de « Deliverance ». Le concert et le festival s’achèvent sur un magistral « Blackwater Park », et c’est les yeux brillants que les festivaliers quittent les prémisses pour rentrer.
Une chose est certaine. Si l’équipe du Night of The Prog continue à proposer une programmation de si bonne qualité, dans un lieu aussi enchanteur, elle pourra compter sur la participation de la chromateam à chaque édition. Ce festival est une perle rare, à la fois pour son cadre et la qualité des groupes invités. Et si le déplacement depuis la France est certes un peu fastidieux et long, le jeu en vaut grandement la chandelle.