Queen & Paul Rodgers
29/03/2005
Zénith - Paris
Par Florian Gonfreville
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Setlist :
Reachin Out - Tie Your Mother Down - Can't Get Enough Of Your Love (Bad Company) - I Want To Break Free - Fat Bottomed Girls - Crazy Little Thing Called Love (Paul Rodgers guitare acoustique) - Seagull (Paul Rodgers guitare acoustique, Roger Taylor aux bongos) - '39 (Brian May solo) - Love Of My Life (Brian May solo et public du Zenith) - Hammer To Fall (version folk / rock - Brian May / Paul Rodgers au chant) - A Little Bit Of Love (Free) - I'm In Love With My Car (Roger Taylor) - Guitar Solo (Brighton Rock) - Last Horizon - These Are The Days Of Our Lives (Roger Taylor) - Radio Ga Ga (Roger Taylor) - I Want It All - A Kind Of Magic - Feel Like Making Love (Bad Company) - Bohemian Rhapsody (Freddie Mercury / Paul Rodgers) - The Show Must Go On - All Right Now (Free) - We Will Rock You - We Are The Champions - God Save The Queen (enregistrement)La Reine redescend dans l’arène ! Queen est repassé en France, événement aussi inconcevable qu’une tournée des Beatles avant la disparition de George Harrison, ou un concert des Doors il y a encore quelques années.
On a d’ailleurs beaucoup glosé sur ces reformations chimériques de monstres sacrés désormais très tendance : planche à billet ou amour de l’art, don au public ou charité bien ordonnée ? Brian May et Roger Taylor ont-ils pris un risque ?
Alors que May déclarait encore en 2001 à la très sérieuse Süddeutsche Zeitung à propos de la reformation du groupe sans son meneur historique, « Nous aurions ressenti cela comme une trahison par rapport à Freddie« , la formation est repartie en tournée. Toute la formation ? Non : hors l’excentrique icône populaire Mercury, le bassiste, John Deacon, manque aussi à l’appel. Jeune retraité, il n’a pas souhaité se joindre à une résurrection contre laquelle il n’a néanmoins formulé aucune opposition.
Ce sont donc les deux traditionnels hérauts qui s’y collent. On les avait déjà vus en de nombreuses autres occasions, dont l’érection d’une statue au chanteur à moustache pour l’inauguration du musical We Will Rock You à Londres, et dont le CD sortait d’ailleurs le 28 mars 2005 en France – veille du concert parisien – où la pièce n’est pourtant jamais venue : il n’y pas de hasard.
May et Taylor ont désormais pris l’habitude d’assumer l’ambassade de Queen, multipliant les déclarations depuis dix ans et cependant laissant le suspense en place : reformation ? George Michael ? Album caché ? Rééditions avec des inédits ? Certes, le guitariste Brian May par exemple, pourrait être taxé de bien mener son fond de commerce, lui qui sur son Live at the Brixton Academy solo pioche facilement dans ses contributions queeniennes, et recase le souvenir de l’idole disparue dans un » Love of My Life » désormais érigé en classique. Certains réflexes, comme aussi le » Brighton Rock solo « , ne se perdent pas.
Bref : voici un challenge à la hauteur de nos mythes vivants : faire oublier que seul un demi-Queen sera présent sur scène ce soir, accompagné d’une demi-légence en la personne de Paul Rodgers, ex-Free, ex-Bad Company, ex-The Firm – quelles références ! – qui n’a pas la place facile et le sait bien, la preuve : l’affiche annonce Queen + Paul Rodgers pour désamorcer les aigreurs et Rodgers partagera même sa gratitude pour avoir été autorisé à entrer dans la salle ce soir-là !
S’il s’agit d’une fraction du groupe d’origine, les sièges demeurent à un tarif entier et respectable : le public s’en ressent et la distance du fan à la scène est proportionnelle à sa proximité de la retraite. Car on est venu en famille, et souvent d’outre-Manche ! Grand-père tient la main de la petite dernière, douze ans, qui connaissait » We Will Rock You » mais chanté par des gosses dans une pub. Papa et maman entament une leçon de choses : la vie des seventies à leur ado lycéen, qui n’a pas encore saisi par quel miracle il se retrouve dans la fosse d’un concert de rock avec ses parents. Pourvu qu’il n’y ait pas un copain dans la salle ! Au second rang, un quinquagénaire encravaté explique à son fils skaterde dix-neuf ans que oui, Brian, le guitariste, a façonné son instrument seul avec son père dans un manteau de cheminée. Et l’on trépigne, à tout âge, on s’impatiente, on piaffe : c’est vrai, c’est tout de même Queen que l’on attend.
Pourtant c’est Eminem qui commence ! On pourra se poser des questions sur le choix de cette pré-ouverture sonore, elle apporte néanmoins deux éléments : la salle se lève et chauffe, et Queen marque son parti pris pour une ère moderne, pas forcément un revival de la grande époque. On entre avec ses idées, on repart avec celles que le groupe a voulu orchestrer sur scène.
Voilà justement une dualité qui sera difficile à assumer durant tout le concert. Queen n’a rien de nouveau à vendre, pas d’album, pas d’inédit, et va se battre pour imposer ses choix durant deux heures en soumettant des classiques rebattus chantés par une grande voix réputée pour ses accents soul, au parfum infiniment années quatre-vingt. Aussi, après » Tie Your Mother Down » choisi pour secouer un peu le Zenith et qui ne surprend pas dans le registre de Rodgers, le groupe lance » Can’t Get Enough of Your Love « , signé Bad Company.
La révélation, le choc stylistique se produira sur » I Want to Break Free « , titre mercurien à outrance sur lequel Rodgers montre une certaine rigidité. Trop soul, c’est sûr. Il faudra attendre les chœurs d’introduction de » Fat Bottomed Girls « , titre inattendu et heureuse attention, pour que le concert décolle. Désormais, la politique s’affiche clairement : Brian May a un son et Roger Taylor une frappe, immédiatement reconnaissables. Donc tous les risques reposent sur le chant, alors le partage se fait : les titres les plus rock à Paul qui malgré les réajustements une octave plus basse de certains couplets et refrains, et une adaptation stylistique difficile voire douloureuse, démontre quand même un talent authentique, et les autres morceaux à Brian et Roger en fonction de leur auteur et/ou affinité.
Dès lors que ceci est admis, le spectacle peut commencer. Alternant apartés intimistes et grands classiques, Queen se permettra même de livrer quelques titres jusqu’alors inédits sur scène. Ainsi, alors que May s’assied sur un tabouret, tous les briquets s’allument pour un » We-do-this-one-for-Freddie-Love of My Life « . Attention : une salle de cinq mille personnes chantant avec émotion ce titre devenu l’un des hymnes de la Reine, est une expérience d’une rare intensité que même le guitariste soulignera. Les premières larmes coulent sur les joues des plus anciens fans.
May, en vieux routier, tisse une transition avec un » Hammer to Fall » à mi chemin entre la ballade et la folk, très Tracy Chapman mais qui reprendra rapidement son rythme original pour accueillir Rodgers. La différence de charisme éclabousse, au détriment du chanteur : alors que chacune de ses interventions fait un peu retomber l’ambiance, les retours de May ( » ’39 « , » Love Of My Life « , » Hammer To Fall » ) ou de Taylor ( » I’m In Love With My Car « , princier, » These Are The Days Of Our Lives » parfait, » Radio Ga Ga » d’anthologie) redélivrent sans forcer un parfum de la Grande Heure à ce Zenith qui ne s’y trompe pas. Un instant, on pourra même se dire qu’un Mercury est tapi dans l’ombre et surgira dans une seconde sur un » Lleeeeeeeeeeeeehhhhhlo ! » fracassant.
Cependant, l’ex-Free dispose de plusieurs atouts qui font forte impression à tous ceux qui pensaient un tel moment impossible : certes, » These Are The Days… » était inédite en concert, mais que dire d’ » I Want It All » et de » The Show Must Go On » ? Ces titres ont sans aucun doute offert aux spectateurs un peu plus que ce qu’ils attendaient pourtant : sur certains visages, c’est déjà la mousson. Grands temps forts, soulignés comme tout le reste du concert par des jeux de lumière simples mais très bien menés aux projecteurs si gros qu’il faut un opérateur dédié pour chaque.
Inutile de souligner une fois encore le talent de la formation : lorsque plusieurs milliers de personnes frappent spontanément des mains en parfait ensemble sur » Radio Gaga » ( » All we hear is – clap-clap – Radio Gaga » etc), ou » We Will Rock You « , lorsque les incontournables sont donnés parce qu’encore attendus ( » Brighton Rock solo « , » We Are The Champions « …) et qu’on arrive pourtant encore à séduire, conquérir, innover même grâce à ces titres qui n’avaient jamais connu la scène ou encore à ces grands tubes importés par Paul Rodgers ( » All Right Now » pour n’en citer qu’un), lorsque, aux rappels venus, nombre de quadra- et quinquagénaires ont les yeux rougis d’émotion – hé oui ! – et que dans la vingtaine de titres joués ne se trouvent que des hits planétaires, et lorsque l’on sait, enfin, qu’il en reste encore deux fois plus en stock qui ne seront pas joués ce soir ! Alors le charme Queen a encore opéré et la puissance du mythe force le respect.
Certes, même Queen n’est pas à l’abri des erreurs : beau massacre que ce Bohemian Rhapsody chanté et joué par Freddie Mercury sur écran géant. Le choix d’inviter Freddie pouvait déjà être discuté – quel poids supplémentaire sur les épaules de Rodgers que son prédécesseur affiché sur plusieurs dizaines de mètres carré, et quelle exploitation ouverte de la gloire passée ou quel clin d’œil, c’est selon ! – mais le manque total de synchronisation entre la bande enregistrée et les musiciens, la cacophonie qui s’ensuivit lors de la reprise du groupe sur la partie électrique, font tiquer. De façon plus générale, même après s’être fait séduire, le spectateur pourra toujours se demander à propos de » La Voix Soul du Rock » ce que diable pouvait-il faire dans cette galère, tant lutter contre un cher disparu peut s’avérer épuisant, vain et plus encore lorsqu’en plus on cherche à forcer la voie(x) pour faire passer ses accentsbluesy.
La question demeure donc : cash machine ou amour de l’art et de son public ? Sans doute un peu des deux, même si, au passage, ce qui reste de Queen montre encore bien plus de professionnalisme et de talent que nombre de formations pourtant bien entières.
Florian Gonfreville
Second regard, à l’approche bien moins académique que son illustre rédacteur en chef. Mais vous avez là deux versions et deux visions différentes de cet événement. Commençons par le début. Une entrée en matière plus ou moins controversée et discutable au son d’Eminem. Plaisanterie, scandale, cette intrusion hip-hop dans un monde rock suscite les rires, les interrogations et les sifflets. Peu de temps après, les choses « pas encore sérieuses » commencent avec « Reaching Out » sur lequel Paul Rodgers traverse le rideau sous l’ovation d’un Zénith complet (surpris ?) Rejoint peu de temps après par Brian May sur « Tie Your Mother Down » le rideau tombe et on les voit tous enfin : Roger Taylor, Spike Edney, Danny Miranda et Jamie Moses. Quel choix on ne peut plus judicieux pour démarrer cette soirée où l’on croise des gens de tous les âges, preuve que Queen est l’un de ces rares groupes a traverser et fédérer les générations. D’emblée le son est colossal, ce qui est très rare au Zénith. Le public chante à tue-tête (il ne fera que ça d’ailleurs tout le long du concert). « Can’t Get Enough Of Your Love » vient juste derrière et l’on tape du pied sur cette chanson que l’on a tous forcément entendu sans savoir vraiment qui jouait ce titre. « I Want To Break Free » fait toujours son effet, encore plus important lorsque Rodgers sollicite le public en lui proposant de chanter avec lui. Public impertinent : comme un seul homme, il répond !
Si cette soirée s’annonce riche en émotion, une première surprise a pour nom « Fat Bottomed Girls » que personne n’attendait en concert. Et c’est là pour beaucoup que le concert a décollé. Deux spectateurs également : même a un concert de Queen, il y a des slammers ! On se remua encore sur « Crazy Little Thing Called Love ».
Premier moment d’accalmie : Paul Rodgers empoigne une guitare acoustique pour interpréter « Seagull » sur lequel Roger Taylor l’accompagne aux bongos. On reste sur le mode tendre lorsque May arrive à son tour, l’acoustique à la main, pour reprendre « Ô surprise » le méconnu mais néanmoins mythique « ’39 » repris en chœur par le Zénith. Assis sur son tabouret, May met du temps a enchaîner et pour cause : l’une des chevelures frisées les plus connues de l’histoire du Rock est émue car cela fait près de vingt ans que Queen n’avait foulé une scène française. Du coup l’émotion atteint une dimension énorme et elle touchera une première fois à son paroxysme sur « Love Of My Life ». Oui : Les premières larmes coulent sur les joues des plus anciens fans. Sur celles des journalistes aussi.
On le sait Queen est passé maître dans la finesse musicale, par conséquent l’alternance « Love Of My Life » / « Hammer To Fall » sans véritable transition aurait pu paraître maladroite. Il n’en est rien grâce à une version « folk » du Marteau dont les premiers couplets sont chantés par May avant d’enchaîner crescendo sur la version que vous connaissez tous ! Paul Rodgers réclame au public un peu d’amour, « A Little Bit Of Love » et le public parisien, reconnu pour sa générosité, lui en donne. On n’a pas encore entendu Roger Taylor chanter, et trépignaient bien ceux qui attendaient d’entendre le batteur faire ses vocalises. Vœu exaucé : « I’m In Love With My Car » que, disons-le franchement, peu de gens attendaient, a provoqué un remous sympathique avant de laisser la place à Doctor May pour le désormais traditionnel mais toujours aussi impressionnant et à la limite attendu par le public, « Brighton Rock Solo », suivi de « Last Horizon ». Roger Taylor, son ami de quarante ans, s’empare du micro pour un émouvant « These Are The Days Of Our Lives ». Comment en effet ne pas penser à l’image de Freddie Mercury, émacié dans la vidéo de cette chanson, la dernière qu’il tourna.
De l’émotion au frisson, il n’y a qu’un pas, franchi sur les premières mesures de « Radio Ga Ga ». Imaginez six mille cinq cent personnes tapant dans leurs mains – ça fait treize mille mains ! – lors du célébrissime All we hear is Radio Ga Ga et là vous avez une sérieuse définition du mot « frisson ». On sent le public du Zénith chaud comme une braise : même s’il fut exemplaire dès les premières notes jouées en début de concert, on atteint a ce moment précis un sommet d’émotion. C’est ce dont profitent May, Taylor et leurs amis pour passer en mode « puissance » et jeter un « I Want It All » (version album s’il vous plait) familial en pâture, repris en chœur par le public. Paul Rodgers se donne vocalement, ne cessant de solliciter la foule. Une formule qui a également payé sur « A Kind Of Magic » encore plus puissant grâce aux deux guitares. Une pioche rapide dans le répertoire de Bad Company avec « Feel Like Making Love » avant d’arriver au moment que TOUS, oui tous sans exception ont attendu : la Rhapsodie Bohémienne.
Malheureusement, ce qui fut prévu comme le point d’orgue de la soirée se transforma rapidement en cauchemar, certains iront jusqu’à employer le terme « hérésie ». Lorsque le Zénith vit apparaître sur grand écran, la silhouette de Freddie Mercury, assis au piano sur des images venant du Live At Wembley il était clair que le défunt chanteur se devait de participer à la fête. Une intention plus que louable d’un point de vue sentimental, mais pas au niveau musical. Que le groupe joue sur les bandes duWembley, certes, mais qu’il soit alors synchrone avec la bande-son ! Quelques secondes d’ajustement se montrèrent nécessaires pour que les musiciens aillent plus vite que la musique et la rattrapent enfin. Bien trop.
La partie opéra fut l’occasion de resserrer quelques boulons et Queen se reprit de fort belle manière sur la partie rock, lourde comme il faut, qui vit toute la fosse du Zénith sauter en l’air comme un seul homme. Certes ils ont redressé la barre, mais que l’on aurait souhaité que ce revirement de situation n’arriva jamais.
La deuxième crise paroxystique survient alors que le Zénith résonne de « The Show Must Go On » jamais interprété sur scène hors le Freddie Mercury Tribute. Là aussi impossible de ne pas se passer le clip dans la tête et de revoir les images de Mercury. A n’en pas douter, « The Show Must Go On » fut Le moment fort de la soirée.
Tout au long de ce concert, Paul Rodgers a invité le public a chanter avec lui. Ravi tout au long de la soirée de voir que celui-ci répondait présent, s’attendait-il franchement à une telle participation sur le tube éternel de Free, LA chanson qui l’identifie le mieux, le mythique « All Right Now » ? On pourra en douter. Quoi qu’il en soit, ce fût une belle manière de chauffer une dernière fois l’ambiance avant de clôturer par les deux classiques parmi les classiques : « We Will Rock You » et « We Are The Champions » fédérateurs au possible d’un Zénith qui lève les bras au le ciel alors même que certains font écouter au téléphone portable des bribes de ce qui, à n’en pas douter restera dans les souvenirs. Un concert royal en hommage à une reine ; pardon : à une diva du rock. La Reine est – hélas – morte, vive la Reine, et quel titre mieux que « God Save The Queen », infaillible clôture des concerts de Queen, pouvait le souligner…